Créée au milieu des années 60, la Garde républicaine du Gabon est passée de protectrice à détentrice du pouvoir. Mondafrique revient sur cette armée à part entière, qui a fini par porter à la tête du Gabon son commandant en chef : le général Brice Oligui Nguema. Voici le troisième volet de cette série qui lui est consacrée.
Le 7 janvier 2019, des militaires de la Garde Républicaine, se présentant comme membres du Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité du Gabon, annoncent, par la voix de leur chef, le Lieutenant Kelly Ondo Obiang, le lancement d’une insurrection visant à renverser le régime d’Ali Bongo. Les mutins demandent aux militaires du Gabon de les rejoindre ainsi qu’aux populations de descendre dans la rue pour accompagner les militaires : « La victoire de ce lundi 7 janvier 2019 doit être celle du peuple gabonais soutenu par son armée », déclare le jeune officier, formé en Côte d’Ivoire. Les mutins, au nombre de quatre, ne sont rejoints que par deux militaires. Cette tentative de coup d’État est écrasée dans le sang par les loyalistes de la Garde Républicaine, et deux des insurgés, le Sergent Etienne Nzé Cekirge et l’Adjudant de Gendarmerie Simon Pierre Ekong, sont exécutés.
L’AVC d’Ali Bongo
Cette tentative de coup d’État de la Garde Républicaine (la première du genre) trouve son origine dans l’accident vasculaire cérébral qui a frappé Ali Bongo quelques mois plus tôt, le 24 octobre 2018, alors qu’il participait au « Davos du désert » en Arabie Saoudite. Depuis, alors qu’Ali Bongo était indisponible, le pouvoir avait fini par échoir de facto à son épouse Sylvia Bongo, qui n’a jamais caché son désir de voir son fils aîné devenir président du Gabon. Sylvia Bongo est rapidement entrée en conflit avec le patron de la Direction Générale des Services Spéciaux (DGSS-Garde Républicaine), le Colonel Frédéric Bongo.
Cette tentative de coup d’État menée par un jeune officier brillant de la Garde Républicaine, mais soldat perdu tout de même, démontre l’efficacité de la Garde Républicaine, qui a su circonscrire l’appel à l’insurrection de son jeune officier, lequel ne disposait d’aucun réseau au sein de la Garde Républicaine, où il n’était d’ailleurs, eu égard à son jeune âge, pas suffisamment connu.
L’arrivée de Brice Oligui Nguema
Ce coup d’État permet aussi à Sylvia Bongo de renforcer sa mainmise sur le pouvoir d’un Ali Bongo définitivement affaibli. Sylvia Bongo effectue une véritable purge parmi les plus proches collaborateurs de son mari. S’il résiste dans un premier temps, le Colonel Frédéric Bongo finit par être démis de ses fonctions à la tête des services de renseignements de la Garde Républicaine du Gabon le 15 octobre 2019.
Pour remplacer Frédéric Bongo, Sylvia Bongo fait appel à un des anciens aides de camp d’Omar Bongo, qui avait été éloigné du pouvoir par Ali Bongo, lequel l’avait envoyé en diplomatie au Maroc puis au Sénégal : le Colonel Brice Oligui Nguema.
Brice Oligui Nguema, méthodique et efficace en tant que patron du plus puissant service de renseignements du Gabon, réussit à gagner la confiance de Sylvia Bongo. On lui doit une autre purge, officiellement présentée comme une opération anti-corruption. Six mois après sa nomination à la tête des services de renseignements de la Garde Républicaine, Brice Oligui Nguema est de nouveau promu et devient le commandant en chef de la Garde Républicaine.
« Honneur et fidélité au président de la République »
À la tête de la Garde Républicaine, Brice Oligui Nguema veille à renforcer les capacités opérationnelles de la Garde Républicaine (dont il a fait augmenter le budget), déjà démesurément armée, tout en expliquant que c’est dans l’intérêt d’Ali Bongo.
Très intelligent, Brice Oligui Nguema sait ce que les dictateurs aiment : des flatteries à n’en plus finir. Ainsi, il n’hésite pas à déployer dans les casernes de la Garde Républicaine des affiches jurant « Honneur et Fidélité » à un Ali Bongo en uniforme de général, lui qui n’a jamais suivi la moindre formation militaire ! Dès que l’occasion se présente, Brice Oligui Nguema se montre et n’hésite pas à jurer « honneur et fidélité au président de la République ».
C’est d’ailleurs lui qui développe une unité d’élite créée par Ali Bongo, la faisant passer de 50 à 300 hommes, et dont il compose même le chant, un chant d’allégeance au patron [Ali Bongo] : la Section d’interventions Spéciales (SIS). Cette unité d’élite, placée sous son autorité directe (en théorie du moins), bénéficie de toute l’attention de Brice Oligui Nguema.
Brice Oligui Nguema veille aussi au bien-être des éléments de la Garde Républicaine du Gabon. Ainsi, il développe une véritable politique sociale à l’endroit des agents de la Garde Républicaine, pour lesquels il fait construire des logements, une école (qui portera le nom de Sylvia Bongo) et même un économat où les militaires et leurs familles peuvent se procurer des denrées alimentaires à des prix bas. Il est secondé dans cette tâche par son épouse, le Colonel Zita Oligui Nguéma, née Nyangui, qui est présidente des deux associations des épouses des militaires gabonais. « Madame le Commandant en Chef » est une femme très à l’écoute, qui n’hésite pas à apporter son soutien aux femmes des militaires gabonais qui la sollicitent…
Le Coup d’État du 30 août 2023
En août 2023, des élections présidentielles ont lieu au Gabon. Une nouvelle loi électorale particulièrement scélérate (dans un pays qui en a pourtant vu d’autres) en fait un scrutin particulièrement inique en obligeant à lier le vote de son député à celui du Président.
Pourtant, les Gabonais, fidèles à leur rejet du pouvoir Bongo père et fils, se prononcent dans les urnes en faveur d’Albert Ondo Ossa, l’opposant d’Ali Bongo. Albert Ondo Ossa remporte haut la main cette élection dans les urnes, mais n’est pas déclaré vainqueur par le Centre Gabonais des élections, contrôlé par un officier des renseignements, le 30 août 2023 à 3 heures du matin.
Le clan Bongo est serein, comptant sur son armée pour réprimer toute contestation, notamment sur sa bonne vieille Garde Républicaine, qui dispose d’un véritable savoir-faire en la matière.
Mais Brice Oligui Nguema sait que son heure est venue. Il donne l’ordre à la Garde Républicaine, qui avait déjà pris position dans la capitale, d’arrêter Sylvia Bongo et son fils Noureddine et de placer Ali Bongo et ses deux autres fils en résidence surveillée. Peu après, il investit le palais présidentiel (où se trouvent ses bureaux) et annonce, par la voix de son ami et commandant en chef du Régiment de Commandement d’appui et de Soutien (RCAS), le Lieutenant Colonel Ulrich Mamfoumbi, « la fin du régime en place » dans la cour du Palais Rénovation, Présidence de la République du Gabon.
« Oligui Président ! »
Au lever du jour, on voit Brice Oligui Nguema porté en triomphe par les hommes de la Garde Républicaine qui scandent « Oligui Président !». Peu après, Brice Oligui Nguema est annoncé comme le nouveau chef de l’État du Gabon. Habile manœuvrier, Brice Oligui Nguema associe les autres chefs de corps à son pouvoir au sein d’une junte militaire dénommée Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI).
Brice Oligui Nguema expliquera tout de même aux autres membres de la Garde Républicaine qu’il n’a pas fait le coup d’État contre Ali Bongo, mais contre sa femme et son fils, qui étaient devenus les vrais maîtres du pays, et que les ordres de répression qui avaient été donnés le 30 août 2023 n’auraient pas été assumés comme en 2016, et qu’ils auraient été jetés en pâture. Il explique aux Gardes Républicains qu’il a agi pour les protéger et qu’il est donc évident qu’en tant que leur chef, il préside aussi aux destinées du Gabon.
Le 4 septembre 2023, Brice Oligui Nguema, en grand uniforme de la Garde Républicaine, est investi Président de la République dans l’enceinte du Palais Rénovation, ce palais Rénovation sur lequel il était censé veiller, tout comme sur la famille Bongo qu’il a renversée.
La Garde Républicaine exerce désormais elle même le pouvoir au Gabon, 59 ans après sa création pour le défendre.
La Garde Républicaine du Gabon (1/3), une création de Jacques Foccart
La Garde Républicaine du Gabon (2/3) : du sang et des armes