Côte d’Ivoire : l’hégémonie apparente du parti au pouvoir

Les électeurs Ivoiriens se sont rendus aux urnes samedi 2 septembre pour élire les listes de leur choix aux élections municipales et régionales. Des résultats provisoires ont été publiés par la Commission électorale indépendante (CEI) en attente des résultats définitifs, une fois purgés les recours devant le Conseil d’Etat. Sous réserve qu’ils soient confirmés officiellement, des enseignements s’en dégagent, traduisant l’hégémonie actuelle du RHDP, le parti du président Ouattara, sur la vie politique ivoirienne. T

outefois, les spécificités de ce scrutin, les fragilités de la liste et de l’ingénierie électorales et les incertitudes pesant sur le casting de la prochaine élection présidentielle ivoirienne, relativisent les messages délivrés par ce sondage politique grandeur nature réalisé à deux ans d’une échéance électorale capitale pour l’équilibre de la sous-région ouest-africaine.

Luc GOHOU, Hervé GOURGEON, Bernard LIAU, consultants au cabinet Sonyvan Conseil

C’est une large victoire que le RHDP, le parti au pouvoir, a remportée lors de ce scrutin municipal et régional. Le PDCI-RDA, le parti de, feu, le président Bédié s’est maintenu honorablement, mais en perdant quelques bastions importants. Le PPA-CI, le parti du président Laurent Gbagbo est le grand déçu de ces élections, puisqu’il n’est pas parvenu à percer dans bon nombre de localités importantes ; des personnalités de ce parti ont été battues. Il semble que l’alliance entre ces deux derniers partis, PDCI-RDA et PPA-CI, n’ait pas suffisamment fonctionné et n’ait pas entrainé l’engouement attendu. Quant au FPI, il disparaît complètement de la carte politique des villes et des régions de Côte d’Ivoire, en perdant son dernier bastion dans la région du Moronou.

Inclusives, ces élections se sont déroulées dans un contexte particulier. Le parti de l’ex-président, Laurent Gbagbo, avait ainsi boycotté le précédent scrutin municipal et régional, celui du président ivoirien Alassane Ouattara s’était largement installé au niveau local. Il est ensuite plus difficile de chasser l’impétrant.

Un scrutin apaisé, des couacs

Avant-même l’ouverture des bureaux de vote, il convient de signaler que des irrégularités avait été dénoncées par l’opposition : selon Habiba Touré, présidente de la Safe, la Sentinelle anti-fraude électorale du PPA-CI, près de deux millions d’électeurs seraient erronément inscrits sur la liste électorale (ce qui représenterait 25 % de l’électorat !). Notons que la CEI n’a pas protesté contre ces accusations. Il y eut d’autres ratés : des protestations pour des retards d’ouverture de bureaux de votes, des anomalies dans le fonctionnement des tablettes qui servaient au vote. Pour ce dernier point, on peut s’étonner de l’utilisation de moyens informatiques sophistiqués et coûteux pour recueillir les suffrages dans des pays à faible revenu, alors que le vote électronique est encore aujourd’hui d’une utilisation beaucoup plus réduite dans les démocraties européennes. Une telle ingénierie est souvent suspectée de se prêter plus facilement à la tricherie. Quant à la participation, elle a une fois encore plafonné à de faibles niveaux (ce qui est fréquent pour ce type de scrutin).

L’hégémonie du RHDP

Au-delà de ces réserves, la large victoire du RHDP confirme l’hégémonie de la formation politique présidée par le chef de l’Etat, qui a certainement bénéficié de  l’avantage d’être le parti au pouvoir. Le RHDP conserve sa place de plus grand parti malgré quelques défaites inattendues, comme celle du Président du Sénat, Jeannot Ahoussou Kouadio, ou celle de Souleymane Diarrassouba, le ministre de l’Industrie. L’opposition, essentiellement le PDCI-RDA et le PPA-CI, n’a pas su promouvoir sa stratégie d’alliance. Peut-être faut-il quand même mettre au bénéfice de cette alliance la défaite de ces quelques personnalités du RHDP. Le PDCI-RDA se maintient dans la plupart de ses bastions traditionnels. Un certain nombre de candidats indépendants, souvent d’anciens membres du PDCI-RDA rebelles à l’alliance, ont conservé leur fief.

Il s’agit en revanche d’une défaite amère pour la gauche ivoirienne. Malgré un sursaut flatteur aux élections législatives de 2021, le PPA-CI a perdu tous ses bastions traditionnels (le pays Akyé, le centre ouest, et l’ouest). Toutes ses têtes de file ont été battues : Huber Oulaye, président exécutif, Assoa Adou, président Conseil stratégique et politique, Léon Emmanuel Monnet, président Conseil politique permanent, Damana Pickass, Secrétaire général, Stéphane Kipré, Premier vice-président chargé de l’implantation du parti, Justin Koné Kantinan, Porte-parole du parti, Issa Malick Coulibaly, Président de l’inspection du PPA-CI, etc…

L’alliance PDCI-RDA-PPA-CI en crise

L’alliance a mal fonctionné. Le cas de Yopougon est en cela emblématique. Le candidat du RHDP, Adama Bictogo, Président de l’Assemblée nationale, remporte l’élection alors qu’il avait pour adversaires Michel Koudou Gbagbo, du PPA-CI, et Dia Houphoüet Augustin, du PDCI-RDA, lesquels ont recueilli, l’un 35,38 % et l’autre 19,38 % des suffrages. Trouvez l’erreur ? A présent que les jeux sont faits, le PPA-CI ne peut que regretter l’échec des négociations d’alliance avec le PDCI-RDA. Celle-ci a fait l’objet de querelles intestines ; les choix ont souvent été effectués par complaisance ou suite à de mauvais calculs. Des intérêts locaux ou des initiatives carrément malveillantes ont suscité des candidatures indépendantes qui se sont avérées vouées à l’échec de leur parti d’origine. Ces indisciplines auraient pu être évitées.

Une élection à un tour est délicate dans la mesure où le choix des candidats se négocie au niveau des états-majors des partis. Aucun scrutin préliminaire ne donne une mesure du rapport de force entre les partenaires. Et pourtant une alliance s’avère nécessaire indispensable si les partis d’opposition veulent accéder au pouvoir. L’élaboration d’une plate forme commune sur des points essentiels, la désignation de candidats communs, une discipline de parti sont des conditions nécessaires. Lors des dernières élections législatives, en 2022, en France -dans un système électoral à deux tours -, la création de la NUPES a démontré l’efficacité d’une telle coalition – tout au moins arithmétiquement : pour un nombre de suffrages a peu identique à celui des élections précédentes, le nombre de candidats qualifiés au second tour et le nombre d’élus de cette alliance de gauche a très sensiblement augmenté. Certes la NUPES n’a pas obtenu de majorité, mais elle a clairement contribué à empêcher le parti présidentiel d’obtenir lui-même la majorité.

L’incertitude de la présidentielle de 2025

Ces résultats en Côte d’Ivoire préludent-ils un succès du RHDP lors des prochaines élections, présidentielle en 2025, les législatives dans la foulée ? Il serait illusoire de vouloir extrapoler trop rapidement. A deux ans de cette échéance, cruciale pour le devenir de la Côte d’Ivoire et la stabilité de la sous-région, les incertitudes sont trop importantes : d’abord, la question de l’après Ouattara n’est pas réglée. Or elle se posera nécessairement. Le président ivoirien va-t-il se présenter pour un quatrième mandat ? Va-t-il passer le témoin à la nouvelle génération ? Dans cette hypothèse, le candidat du RHDP sera-t-il issu de la formation d’origine d’Alassane Ouattara, le RDR, ou sera-t-il un transfuge du PDCI-RDA ?

Ensuite, L’ex-président Laurent Gbagbo, qui a été innocenté par la Cour pénale internationale à l’issue d’un interminable procès pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, mais qui demeure entravé par une condamnation à vingt ans de prison dans l’affaire dite « du casse de la BCEAO » (qu’il compte à présent contester) pourra-t-il se présenter à cette présidentielle capitale ? Enfin, l’Alliance PDCI-RDA-PPA-CI aura-t-elle été entretemps consolidée et élargie ? Le casting de 2025 rebattra nécessairement les cartes, relativisant ainsi les résultats des élections locales de 2023.  

L’opposition affaiblie

Toutefois, le PDCI-RDA et le PPA-CI iront fragilisés à ces élections. Le premier parce qu’il vient de perdre son président, Henri Konan Bédié, leader charismatique du parti historique ivoirien, et qu’il faut lui trouver un successeur ; le second parce qu’il vient de subir une défaite aux élections locales. L’alliance semble impérative, une alliance préparée avec un programme commun, clair et lisible sur un nombre de points d’accord. Le premier de l’élection présidentielle déterminera certainement le candidat de l’alliance au second tour. Pour les élections législatives en un seul tour, en revanche, le problème se posera, identique à celui des municipales. Il faudra donc à l’opposition élaborer un programme d’alliance, sur un socle commun, une communication harmonisée, et des négociations d’investitures précoces pour le choix des candidats communs. N’oublions pas que le président élu, quel qu’il soit, devra gouverner avec cette chambre de députés. Il n’est pas trop tard pour que l’opposition se mette au travail, mais le temps est compté.

La revue de presse africaine de Norbert Navarro

 

 

 

 

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