Sylvain N’guessan, politologue, revient pour Mondafrique sur les impasses ivoiriennes, alors que débute officiellement cette semaine la campagne électorale.
Un entretien avec Michael Pauron
À 21 jours du premier tour de l’élection présidentielle, le « giga-meeting » organisé par l’opposition ivoirienne, samedi 10 octobre au stade Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, n’a pas fait le plein, mais presque. De l’avis de Sylvain N’Guessan, politologue, PDG du Cercle de réflexion stratégique d’Abidjan, il s’agit d’une réussite. Cependant, la suite qui sera donnée à cette mobilisation est incertaine : l’opposition est-elle prête à soutenir une candidature unique ? Qui d’Henri Konan Bédié (PDCI), et de Pascal Affi N’Guessant (FPI, frange dissidente), serait alors choisi pour affronter le président sortant, Alassane Ouattara ? Beaucoup de questions et peu de réponses, alors que la campagne électorale débute officiellement ce jeudi 15 octobre.
Mondafrique: La mobilisation du 10 octobre a réuni 17 leaders de l’opposition et près de 40 000 personnes pour demander à Alassane Ouattara de renoncer à briguer un troisième mandat, alors que la constitution n’en autorise que deux. À moins de trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, ce rassemblement n’était-il pas le dernier spasme d’une opposition à l’agonie qui a déjà perdu la bataille ?
En dépit de la bataille des chiffres, le stade de 45 000 personnes était presque plein. Ni le meeting du 15 mars à Yamoussoukro, pour protester contre la modification de la constitution, ni la rencontre des partis de l’opposition, le 20 septembre, à Treichville, ne sont comparables au rassemblement de samedi. C’est donc une victoire pour l’opposition, alors qu’il y a seulement deux ans, rien ne laissait présager que tous ces leaders puissent s’exprimer à l’unisson.
Mondafrique: Parmi les opposants présents samedi, deux seulement ont vu leur candidature validée par le Conseil constitutionnel en septembre : Henri Konan Bédié du PDCI, et Pascal Affi N’Guessan, d’une frange dissidente du FPI, l’ancien parti au pouvoir. Une alliance contre Alassane Ouattara est-elle encore possible, et peut-elle gagner, alors que l’opposition ivoirienne a rarement brillé par sa capacité à s’unir ?
Il ne reste qu’un peu plus de quinze jours avant le premier tour, les leaders ont très peu de temps pour s’entendre sur une stratégie commune. Vont-ils s’unir derrière un leader et aller au scrutin ? Ou décideront-ils finalement de boycotter l’élection afin de discréditer le vainqueur ? Quelle que soit la stratégie adoptée, il me paraît difficile qu’elle puisse peser véritablement sur l’enjeu de la présidentielle.
Mondafrique: Depuis l’annonce d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat, des manifestations ont fait plus d’une dizaine de morts. Certains militants souhaitent pourtant encore en découdre, et attendaient de l’opposition une position plus ferme…
L’opposition a fait le bilan de ses activités depuis le mois d’août. Les derniers appels n’ont clairement pas drainé grand monde. Depuis, ils ont travaillé leur proximité avec leurs militants à travers leurs différentes sections locales, mais le lien n’est plus le même que du temps de Laurent Gbagbo [président de 2000 à 2011, ndlr]. Par ailleurs, le souvenir de la crise post-électorale de 2010/2011, qui a fait 3 000 morts, est encore vivace.
Mondafrique: Le 20 septembre, Henri Konan Bédié a appelé à la « désobéissance civile ». Personne, ou presque, ne lui a obéi…
Le sens n’a pas été compris, et le pays n’était pas prêt. Seuls 26 % des citoyens sont bancarisés, et l’épargne est quasi-inexistante pour 80 % de la population : dans ce contexte, la désobéissance civile est une gageure.
Mondafrique: Ils étaient sur l’affiche, mais absents du stade : l’ancien président Laurent Gbagbo, exilé en Belgique, et l’ancien Premier ministre Guillaume Soro, exilé en France. Tous deux sont condamnés à vingt ans de prison en Côte d’Ivoire. Et tous deux ont vu leurs candidatures retoquées par le Conseil constitutionnel. Leur voix a-t-elle encore une portée ?
Le FPI « tendance Laurent Gbagbo » [une frange dissidente du FPI est dirigée par Pascal Affi N’Guessan, dont la candidature a été validée, ndlr] a encore un poids qu’il ne faut pas négliger. Ses militants sont restés fidèles à leur leader. Le soutien de Laurent Gbagbo peut peser dans le jeu politique. Quant à Guillaume Soro, plusieurs de ses cadres ont certes rejoint le pouvoir, y compris certains sortis récemment de prison. Cela dit, lui aussi a encore des militants fidèles.
Leur soutien sera important pour celui qui en bénéficiera. Mais difficile de savoir si cela changera la donne finale…
Mondafrique: Alassane Ouattara a 78 ans. Henri Konan Bédié, son adversaire depuis trente ans, en a 86. L’un comme l’autre n’incarnent pas vraiment le renouveau de la politique ivoirienne…
Concernant l’âge, il faut distinguer les critiques liées à ce qu’autorise ou non la constitution, et celles qui relèvent d’un jugement personnel. Ces dernières n’ont finalement que peu d’importance dans la bataille en cours. Et, vu que la constitution réformée par référendum en 2016 a fait sauter la limitation d’âge, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié sont éligibles. A partir du moment où la question constitutionnelle de l’âge est écartée, l’interrogation de fonds demeure la légalité ou non d’un troisième mandat d’Alassane Ouattara, alors que la constitution n’en autorise que deux. L’âge n’est pas le débat.
Mondafrique: La commission électorale indépendante (CEI) serait à la botte du pouvoir. Qu’en est-il ?
La commission électorale centrale est relativement équilibrée. Mais ce n’est pas le cas au niveau des régions : 80 % des CEI locales sont tenues par le parti au pouvoir [RHDP, ndlr]. Il faudrait donc apporter quelques réglages à ce niveau, afin d’apaiser le climat politique.
Mondafrique: Plusieurs organisations (Union africaine, Cédéao, Nations unies…) ont échoué à mettre le pouvoir et l’opposition autour de la table. Samedi, à la tribune, Henri Konan Bédié a directement interpellé Antònio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, afin qu’il intervienne. Ce dernier peut-il faire mieux ?
Je ne pense pas que les missions de « diplomatie préventive » ont échoué. Essayer de rapprocher les positions des uns et des autres n’est jamais vain. Ce sont des initiatives à encourager.
Saisir les Nations unies est une bonne chose si cela peut nous éviter une nouvelle crise post-électorale. Mais je ne crois pas qu’il soit du ressort d’Antònio Guterres d’interpréter les textes de loi, de dire qui est éligible ou pas, de demander une réforme des listes électorales, ou encore de revoir la composition des CEI.
Afin de susciter un véritable dialogue politique, il faudrait un rééquilibrage des forces en présence. Le parti au pouvoir domine largement l’espace au niveau local, comme je l’ai dit plus haut. Il domine aussi l’Assemblée nationale. La plupart des médias sont également contrôlés. Le jeu est tellement à l’avantage du pouvoir qu’il est difficile de le pousser au dialogue.
Mondafrique: Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, a dit qu’il respectait le choix d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat, mais que la France serait « vigilante » quant à la bonne tenue des élections. Emmanuel Macron a, lui, demandé en vain au président ivoirien de repousser l’élection de trois mois, lors d’un déjeuner à l’Élysée début septembre. Les ressortissants français ont d’ailleurs reçu des messages de prévention. Comme souvent, Paris s’en mêle en coulisses tout en affichant une certaine neutralité. Sa position devrait-elle être plus claire ?
On ne peut pas vouloir une chose et son contraire : depuis deux ou trois décennies, il est question de plus d’autonomie, ce n’est donc ni à Jean-Yves Le Drian, ni à Emmanuel Macron, de venir peser sur le jeu politique. Les acteurs ivoiriens doivent seuls trouver une solution. Si la France peut appuyer le dialogue politique en interne, tant mieux. Mais elle ne doit pas se positionner sur les questions de légalité.
Mondafrique: Alassane Ouattara peut-il encore assouplir sa position ?
C’est, je pense, totalement exclu de la stratégie du RHDP. L’enjeu est plutôt de finir au plus vite l’élection, en la remportant dès le premier tour, puis de former un gouvernement. Après cela, seulement, peut-être envisagera-t-il d’ouvrir le jeu politique, notamment pour les législatives de 2021. Pour la présidentielle, les jeux sont déjà faits.