Des élections bien peu démocratiques en Afrique de l’Ouest

Les élections présidentielles et législatives en Afrique de l’Ouest ont marqué un recul de l’espace civique et des droits humains, d’après le classement du Civicus Monitor.

Au Bénin, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Niger et au Togo, dans des contextes différents, les groupes pro-démocratie, les journalistes et les opposants sont réprimés, le trafic internet perturbé, les manifestations interdites, tandis que l’usage excessif de la force et le harcèlement se systématisent. Selon le classement du Civicus Monitor, l’espace civique dans ces pays est désormais « obstrué ». 

Le Civicus Monitor est un outil qui permet d’analyser des données sur l’état des libertés civiques dans 196 pays, au sein d’un consortium de plus de 20 organisations de recherche de la société civile. François Patuel, consultant spécialiste des droits de l’Homme en Afrique de l’Ouest, vient de publier le 13 octobre un rapport de Civicus sur le sujet.

Il évalue l’état de la liberté d’association, la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique, les trois piliers de l’espace civique, dans les cinq pays concernés.

Elections présidentielles à haut risque

Des élections présidentielles à haut risque se tiennent le 18 octobre en Guinée, le 31 octobre en Côte d’Ivoire, le 27 décembre au Niger et en avril 2021 au Bénin. Elles se sont tenues le 22 février 2020 au Togo. Elles se traduisent, à chaque fois, par l’installation d’un climat de peur au sein des oppositions et des militants de la société civile.

Une sorte de « kit » au service du recul des droits civiques se dessine dans ce rapport : adoption de dispositions pénales réprimant les manifestations et pourchassant les activités en ligne ; interdiction de l’opposition ou des candidatures d’opposants ; coupures intempestives d’internet pendant les élections et, naturellement, recours abusif à la force, à la violence et parfois même à des mauvais traitements.

Bénin

Au Bénin, les particuliers et Ong se sont vu retirer le droit de saisir la Cour de justice de la CEDEAO et la Cour africaine des droits de l’Homme ; les journalistes, blogueurs et militants sont harcelés en vertu d’un nouveau texte, le code du numérique, adopté en 2018 ; les élections de 2019 ont été entachées de violations diverses (coupures d’internet, usage excessif de la force, interdiction de manifester, assassinats et arrestations de manifestants).

« Le Bénin se dirige vers une élection présidentielle difficile en avril 2021, peut-être sans la participation des candidats de l’opposition », écrit François Patuel. « Les groupes d’opposition n’ont pas été autorisés à se présenter aux élections législatives du 28 avril 2019, situation qui a nourri les tensions politiques et déclenché des manifestations de masse dans tout le pays. » 4 personnes sont mortes tuées par balle et des militants de la société civile et des dirigeants de l’opposition, y compris des membres du parlement, ont été arrêtés. Le taux de participation a été le plus bas de l’histoire du pays (27,12%).

Le code du numérique a permis de poursuivre et incarcérer au moins 17 bloqueurs, journalistes et militants politiques. La correspondante de France 24 est toujours privée de son accréditation et menacée de « solutions extrêmes » par la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication. Le  nouveau code pénal criminalise « tout attroupement non armé qui pourrait troubler la tranquillité publique » et toute provocation à un attroupement non armé. Plus de 70 personnes, dont des opposants politiques et des dirigeants de la société civile, ont été arrêtées dans le cadre des élections législatives. Le droit de grève a également été restreint.

Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, des dispositions restrictives entravent la liberté d’expression des militants, des journalistes et des cyberactivistes. Des manifestations contre le 3e mandat du Président Alassane Ouattara se sont traduites par au moins 12 morts et plus de 100 arrestations. Comme au Bénin, la Côte d’Ivoire s’est retirée du protocole permettant aux particuliers et aux organisations de la société civile de saisir directement la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples.

La stabilité relative du pays, écrit François Patuel, pourrait être menacée par la candidature du Président Ouattara et l’exclusion des listes électorales des chefs de l’opposition Laurent Gbagbo et Guillaume Soro en raison de leurs condamnations pénales. 17 proches de Guillaume Soro ont été arrêtés, « certains dans des conditions s’apparentant à des disparitions forcées. » Les candidatures de Soro et Gbagbo ont été invalidées le 14 septembre par la Cour Constitutionnelle, tandis que dans la foulée, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ordonnait à la Côte d’Ivoire « de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de lever tous les obstacles empêchant Soro de jouir de ses droits d’élire et d’être élu de permettre à Gbagbo de s’inscrire sur la liste électorale. »

Comme au Bénin, la Côte d’Ivoire a adopté un nouveau code pénal « contenant  des dispositions qui violent le droit à la liberté d’expression, notamment la criminalisation des offenses au chef de l’Etat, la publication de fausses nouvelles, les propos injurieux sur internet et la publication de données pouvant porter atteinte à l’ordre public. » 6 journalistes au moins ont été condamnés à de lourdes amendes depuis mars, et 2 d’entre eux ont été détenus sans condamnation. Plusieurs cyberactivistes « perçus comme proches des groupes de l’opposition ont été arrêtés et victimes de procès injustes.»  Des allégations de mauvais traitements et de torture ont été avancées. Plusieurs défenseurs des droits humains ont été arrêtés et emprisonnés dans le cadre de manifestations contre le 3e mandat du président.

Guinée

En Guinée, des dizaines de personnes ont été tuées depuis octobre 2019 lors de manifestations contre le 3e mandat du Président Alpha Condé, l’accès aux réseaux sociaux a été bloqué au moment du référendum sur le changement de Constitution, des arrestations arbitraires, des poursuites et des actions de harcèlement judiciaire contre les militants pro-démocratie et les défenseurs des droits humains ont été constatées, ainsi que l’adoption d’une législation répressive restreignant les libertés fondamentales.

Des violences ont entaché le referendum constitutionnel controversé couplé aux élections législatives. Les partenaires régionaux, onusiens, l’Union européenne, la France et les Etats-Unis ont exprimé leur inquiétude face à ces violences. 37 personnes au moins ont été tuées entre le 22 et le 24 mars et en mai suivant, 30 personnes ont officiellement trouvé la mort à Nzérékoré. Le risque de violences électorales, malheureusement habituelles en Guinée, est élevé.

La loi sur la prévention et la répression du terrorisme, le nouveau code pénal, la loi sur la cybersécurité sont utilisées contre la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique. L’accès aux réseaux sociaux a été bloqué pendant et après le double scrutin référendaire et législatif. Près de 300 membres et dirigeants de la société civile et pro-démocratie ont été arrêtés et « soumis à des procès injustes, à la torture et à d’autres mauvais traitements  (…)Les autorités guinéennes ont violemment réprimé des manifestations de masse organisées par des groupes d’opposition et des organisations de la société civile », faisant plusieurs dizaines de morts et impliquant « des membres des forces de sécurité» dans un contexte d’impunité.

Des tracasseries administratives empêchent l’inscription légale des Ong par la délivrance de certificats d’inscription temporaires qui deviennent difficiles ou impossibles à renouveler.

Niger

Le Niger est inscrit dans la liste de surveillance du Civicus Monitor « en raison de menaces immédiates et urgentes pesant sur l’espace civique du pays. » On y retrouve l’adoption de lois répressives, dont la loi de 2020 sur l’interception des messages électroniques et celle de la lutte contre la cybercriminalité, utilisées pour poursuivre les militants et les journalistes ; le harcèlement judiciaire des défenseurs des droits humains, notamment les journalistes, et l’interdiction systématique des manifestations de la société civile, l’usage excessif de la force et l’arrestation de manifestants pacifiques.

François Patuel rappelle le contexte de tension politique et de processus électoral non consensuel qui prévaut dans le pays à l’approche des élections locales, législatives et présidentielles de décembre. La légalisation des interceptions des communications, sans contrôle indépendant, suscite l’inquiétude, tandis que la loi sur la cybercriminalité a permis l’arrestation et l’emprisonnement de 11 personnes au moins, dont des journalistes, ainsi que celle d’une femme ayant été poursuivie à cause d’une conversation privée sur Whatsapp.

Les manifestations pacifiques continuent d’être réprimées. « Les forces de sécurité recourent fréquemment à un usage excessif de la force, entraînant des blessures et la mort. Les manifestations pacifiques convoquées par les organisations de la société civile sont interdites presque systématiquement. » Leurs organisateurs poursuivis et emprisonnés, parfois pendant de longs mois.

Comme en Guinée, la liberté d’association est entravée par « l’ingérence des autorités dans les activités des associations au moyen du report ou de la suspension arbitraire de leur inscription. »

Togo

Enfin, au Togo, on retrouve l’interruption et la coupure régulières de l’accès à internet, notamment le jour de l’élection présidentielle, la répression des manifestations et l’usage de la force meurtrière contre les manifestants, l’adoption d’une législation restrictive( notamment la loi sur les conditions d’exercice de la liberté de réunion et la loi sur la cybersécurité), la détention et la poursuite arbitraires des défenseurs des droits humains et les sanctions fréquentes des journalistes et média s par le régulateur national des médias.

Le Président Faure Gnassingbé a été élu pour un quatrième mandat le 22 février dernier. Les manifestations de masse de ces trois dernières années ont été réprimées par la force, faisant des dizaines de morts, dont des enfants, des dizaines d’arrestations de dirigeants de l’opposition et de la société civile. Ces derniers, après une période d’incarcération, sont interdits de parole ou ont préféré quitter le pays. L’espace civique, retreint depuis longtemps, se dégrade encore dans le pays. Coupures d’internet, espionnage des conversations téléphoniques par la société israélienne NSO group, nouveaux pouvoirs permettant aux autorités locales d’assigner à résidence, de retenir en rétention et d’expulser les étrangers et de bloquer ou supprimer des contenus en ligne, loi sur la cybersécurité restreignant gravement la liberté d’expression « par l’instauration de peines de prison pour les injures en ligne, la diffusion de fausses nouvelles, l’atteinte aux bonnes mœurs et la diffusion de données de nature à troubler l’ordre », un code pénal révisé criminalisant la diffamation et les offenses contre les autorités publiques font partie de l’arsenal utilisé pour réprimer la liberté d’expression et la liberté de manifestation, interpeller les défenseurs des droits humains et les condamner à des peines de prison.

Une nouvelle loi sur les rassemblements, adoptée en 2019, restreint considérablement le droit à la liberté de réunion pacifique en interdisant, de manière générale, les manifestations sur les routes nationales, dans les zones de forte activité économique des centres urbains, dans les zones proches des institutions de l’Etat ou des ambassades et locaux des organisations internationales.

On retrouve enfin les tracasseries administratives pour saper le travail des organisations de la société civile par le rallongement des processus d’inscription et l’ingérence dans leurs activités.

Il faut soutenir et financer la société civile

« Ciblées dans leur pays, les organisations de la société civile ont besoin du soutien de partenaires régionaux et internationaux pour être en sécurité, pour s’assurer que leur vois sera entendue dans les instances internationales et régionales et pour accroître la pression sur les autorités nationales pour qu’elles respectent davantage les droits humains », conclut François Patuel.

Le chercheur appelle les partenaires internationaux à apporter aux organisations de la société civile un soutien financier, politique, organisationnel, juridique et judiciaire ainsi qu’à les appuyer en communication, en méthodes de recherche, sur la participation aux mécanismes des droits humains au niveau international et régional et dans les contentieux stratégiques devant les instruments régionaux. Il invite enfin au renforcement de la Cour africaine des droits de l’homme et  à une meilleure participation des ONG dans les processus de prise de décisions de la CEDEAO.

Lire le rapport complet : https://civicus.org/documents/reports-and-publications/eena-reports/west-africa-report-2020_fr.pdf