Benjamin Netanyahu, l’insubmersible roi « Bibi » (volet 1)

Benjamin Netanyahu a un sens aigu de l’Histoire et du rôle que lui-même peut jouer dans le destin de son pays. Par ailleurs, sa grande connaissance de toutes les ficelles politiciennes qui font la force d’un chef de parti l’ont aidé à se maintenir dans le feu d’une actualité nourrie: la guerre et la paix au Moyen-Orient, les ambitions nucléaires de l’Iran, l’avenir des Palestiniens et le sort du peuple juif.

Voici le premier volet du portrait du roi Bibi par Caroline Bright

La violence des sentiments que suscite Benjamin Netanyahu, outre la méthode brutale qui est la sienne à l’égard des  forces politiques palestiniennes, tient au fait qu’il est étranger à l’establishment d’Israël. Le grand-père et le père de Netanyahu étaient membres du mouvement « révisionniste » de droite fondé par Jabotinsky, à une époque où le sionisme était dominé par la gauche travailliste en Europe de l’Est, en Amérique et en Palestine.

Son père et son grand-père ont été marginalisés par l’establishment travailliste ashkénaze. Bibi, lui, suscite la haine de ce même establishment, notamment en raison de son électorat composé à cent pour cent de juifs orientaux.

Des débuts à Washington.

Netanyahu est né à Tel Aviv en 1949, mais il a passé sa jeunesse aux Etats Unis ou son père avait émigré et occupait un poste d’enseignant à l’Université de Philadelphie. Il parle parfaitement l’anglais et il a été profondément blessé par la mort de son frère aîné Yoni, officier dans l’unité d’élite Sayeret Matkal, abattu à Entebbe en juin 1976. Yoni dirigeait un commando israélien parti à l’assaut de l’aéroport d’Entebbe, en Ouganda, où des terroristes palestiniens et des terroristes allemands de la Fraction Armée Rouge avaient détourné un avion d’Air France retenant près de 100 passagers juifs et israéliens en otages. Le commando israélien a tué 7 terroristes et 20 soldats ougandais et est retourné en Israël avec 91 otages libérés.

Au début des années 1980, après avoir étudié au MIT, Netanyahu accepte un poste à l’ambassade d’Israël à Washington. Il sera ambassadeur en 1984 et constituera un carnet d’adresses phénoménal dans la politique américaine, mais aussi dans le show bizz, à la télévision et chez bon nombre de milliardaires juifs qui le prendront en amitié. C’est à cette époque qu’il croise l’entrepreneur immobilier Donald Trump. En 1988, alors que la première Intifada palestinienne éclate, Bibi rentre en Israël et rejoint le Likoud, le parti anti-establishment, qui a su conquérir le vote de l’immense majorité des juifs séfarades expulsés par centaines de milliers des pays arabes entre 1948 et 1958.

Yitzhak Rabin, Bill Clinton et Yasser Arafat durant les accords d’Oslo le 13 septembre 1993.

En 1996, la vague d’attentats suicides palestiniens a affaibli le parti travailliste qui était porté par l’idée qu’une paix était proche avec les Palestiniens. Une chance pour la droite israélienne

Benjamin Netanyahu gravit petit à petit les échelons du Likoud. Il s’oppose naturellement aux Accords d’Oslo signés en 1993 et qui entendent démarrer un processus de construction d’un Etat palestinien. Sa virulence fait qu’il est accusé d’avoir incité à la haine lorsqu’Itzhak Rabin, signataire des Accords d’Oslo est assassiné par un extrémiste juif. Quand Yasser Arafat, jouant l’opposant éploré, envoie un télégramme de condoléances, Bibi lui est vilipendé comme un assassin par l’establishment de gauche.

« Bibi », Premier ministre déja en 1996

Cette polémique n’empêche pas l’ élection de « Bibi » au poste de Premier ministre en 1996. La vague d’attentats suicides palestiniens a en effet, affaibli le parti travailliste qui était porté par l’idée qu’une paix était proche avec les Palestiniens. Le désenchantement à gauche et dans l’ensemble du pays amène le Likoud au pouvoir. Pour ne pas se fâcher avec les Américains qui soutiennent la « solution à deux Etats », Benjamin Netanyahu endosse les Accords d’Oslo qu’il vilipendait quand il était dans l’opposition. Mais il provoque la furie des Palestiniens en exigeant que leur futur Etat soit totalement démilitarisé et qu’ils reconnaissent Israël comme l’État-nation du peuple juif. Ce qu’ils se sont toujours refusé à faire.

Netanyahu a toujours considéré le règlement de la question palestinienne comme une lubie d’Occidentaux mal informés. Et, faute de négociations de paix auxquelles les Palestiniens ne se résolvent pas, il laisse la « colonisation » de la Cisjordanie/Judée-Samarie se poursuivre. Les Palestiniens ne se privent pas d’agi de même : ils ont fait semblant de converser avec les Israéliens sur un éventuel traité de paix en essayant d’amener à une internationalisation de leur dialogue avec Israël en faisant de l’ONU, l’UE, des Etats Unis, des cours pénales internationales, des ONG…. Des intermédiaires obligés de toute discussion avec Jérusalem.

À partir de 1996, Netanyahu travaille à transformer l’économie israélienne. Ce pays qui était un clone de l’Union soviétique avec un syndicat unique, la Histadrout et une économie dirigée, devient un Etat plus libéral que les Etats Unis. Le secteur public est privatisé, les capitaux affluent, la recherche prend son essor… le boom de l’économie israélienne date de cette période. Bibi continuera le décloisonnement de l’économie en 2003, quand il devient ministre des finances d’Ariel Sharon.

Parallèlement à cette dérèglementation « à la Thatcher », les inégalités explosent en Israël sans que Bibi cherche vraiment à corriger le phénomène.

La lutte contre la nucléarisation de l’Iran.

A partir de 2009, date de sa réélection au poste de premier ministre, poste auquel il sera réélu en 2013 et en 2019, Bibi consacrera ses efforts à la lutte contre la nucléarisation de l’Iran. En 2015, il tente de torpiller l’accord sur le nucléaire en prononçant devant le Congrès américain, un discours violemment hostile à la politique iranienne d’Obama.  Les Etats Unis qui à cette époque cherchent à se désengager du Moyen Orient pour mieux concentrer leurs forces contre la Chine, ont imaginé d’équilibrer le Moyen Orient par deux forces opposées, l’Iran et Israel. C’est cette même absurde politique de faux équilibre des forces qu’a repris à son compte Joe Biden aujourd’hui.

Uy

 

Netanyahu aura son heure de gloire en 2018 quand Donald Trump transfère l’ambassade des Etats Unis de Tel Aviv à Jérusalem

En 2018, Donald Trup apporte une aide inespérée à la droite israélienne, transfère son ambassade à Jérusalem et légitime l’annexion par Israel du plateau du Golan pris à la Syrie en 1967. Les médias hurlent à l’apocalypse, mais l’affaire passe comme une lettre à la poste. A la même période, le Mossad réussit à kidnapper les archives nucléaires de l’Iran et à les sortir de Téhéran pour les amener en Israël. Ce triple succès diplomatique préfigure les accords de paix – Accords d’Abraham – qui seront signés en 2020 avec Les Emirats et Bahreïn. Les pays du Golfe, inquiets de l’impérialisme iranien, commencent à considérer qu’un rapprochement avec Israël pourrait servir leurs intérêts.

2018, la loi sur l’Etat nation

2018 est aussi l’année ou Netanyahou fait voter la loi sur l’Etat nation, une loi fondamentale à valeur constitutionnelle qui définit l’État d’Israël comme le « foyer national du peuple juif ». La loi ne dit pas que les Arabes ou les Druzes ne sont pas les bienvenus, ni qu’ils sont des citoyens de seconde zone, mais elle affirme que le destin d’Israel est l’apanage du peuple juif. L’extrême gauche et les partis arabes n’ont de cesse d’abolir cette loi.

Point très important, Bibi comprend très vite que les juifs américains ne le soutiennent que du bout des lèvres. Viscéralement démocrates, ils haïssent Donald Trump et considèrent Netanyahou comme un extrémiste. En revanche, Benjamin Netanyahou déploiera tous ses efforts pour consolider l’alliance d’Israel avec les Evangélistes américains. Le vrai lobby juif aux Etats Unis ne sont pas les juifs, mais les chrétiens protestants qui croient que le retour de Jésus aura lieu le jour où tous les juifs seront rassemblés en Israel.

Parallèlement, Benjamin Netanyahou a mené une diplomatie intensive pour sortir Israël de sa solitude et ne pas dépendre du seul parrain américain. Des liens solides ont été noués avec nombre de pays africains, certains pays européens comme la Hongrie et même aussi la Pologne, l’Inde, la Chine et le Brésil quand Jair Bolsonaro y était président.

Fraude, corruption et cadeaux

La réputation de Bibi a été ternie par des accusations de fraude, de corruption et de cadeaux qu’il aurait reçu en échange de faveurs accordées à des hommes d’affaires. Ces accusations contribuent à la désagrégation de sa majorité et les Israéliens retourneront trois fois aux urnes entre fin 2021 et 2022 sans jamais dégager une majorité politique claire, ni à droite, ni à gauche. Netanyahu, convaincu d’être la victime d’une conspiration judiciaire montée par la gauche, ne se laissera pas entamer et bâtira une coalition victorieuse en 2022 avec les partis sionistes religieux et les partis religieux orthodoxes. Cette victoire électorale sera précédée d’une victoire judiciaire partielle.

Au cours de son premier procès intenté pour corruption, l’accusation a été obligée d’admettre que la police avait utilisé le logiciel espion Pegasus pour pirater les téléphones portables de certains témoins du procès, ce qui l’a desservi aux yeux du grand public (1). Cette image ternie du leader des conservateurs israéliens ne l’a pas empêché de revenir en force au pouvoir avec des lliances contestée à l’extrème droit, pour achever l’oeuvre entreprise et imprimer définitivement sa marque à l’Histoire de son pays. Au risque d’entrainer les Palestiniens dans une guerre sans fin avec Israel/

(1) L’équipe de défense de Netanyahu a aussi démontré qu’une réunion clé alléguée dans l’acte d’accusation n’avait pas pu avoir lieu à la date indiquée, jetant un doute supplémentaire sur la solidité du dossier d’accusation.

Le prochain volet de notre portrait: « Netanyahou : la guerre des juifs ».

Avec son projet de réforme du système judiciaire, Benjamin Netanyahou affronte aujourd’hui son conflit le plus emblématique. Un conflit si violent, si radical qu’en fonction de l’issue, la face entière d’Israël pourrait en être changée.

 

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