Ali Bongo survole les institutions

«Le calendrier institutionnel est mobile et bouge en fonction des intérêts du pouvoir politique d’Ali Bongo. D’ici-là, Marie-Madeleine Mborantsuo tentera de prendre une posture républicaine pour boire publiquement sa honte en annonçant le report des législatives (…) Ali Bongo est tout-puissant au Gabon. Les généraux le savent ; les magistrats le savent ; les hauts fonctionnaires le savent», écrit Noël Bertrand Boundzanga* à travers cette tribune libre, après avoir indiqué à Gabonreview que «je ne sais quelle langage tenir aux compatriotes soutiens du régime afin qu’ils comprennent qu’ils font fausse route sur la réalité de notre pays et qu’ils peuvent changer les choses avant d’atteindre une situation catastrophique irréversible.»

Dans le régime hybride semi-présidentiel, l’opinion nationale estimait déjà que le pouvoir d’Ali Bongo n’avait pas de contre-pouvoir pour assurer la viabilité de la démocratie et limiter son pouvoir. Avec Omar Bongo, dès la mise en place des institutions dites démocratiques dans les années 1990, celles-ci étaient prématurément obsolètes. En huit ans, son fils-successeur en a fait des machins, lui-même trônant en maître absolu à la faveur du redoublement de la patrimonialisation de l’Etat et de la révision constitutionnelle.

Les législateurs dans la bouteille

La préemption d’Ali Bongo sur le PDG, dès la mort d’Omar Bongo, avait indiqué l’orientation d’une gestion patrimoniale des affaires publiques. Les contestations en son sein n’y changèrent rien, il y a toujours de bons nègres de service. Ainsi, alors qu’André Mba Obame, Jacques Adiahennot, Casimir Oye Mba et Paulette Missambo dénonçaient les tripatouillages en faveur d’une transmission monarchique du PDG, les Barro Chambrier, Guy Nzouba Ndama, Jean Pierre Lemboumba Lépandou, Jean Ping – on ne compte plus les Michel Essonghe, les Dieudonné Berre, Auguste Onouviet, Flavien Nzengui Nzoundou – soutenaient l’imposture. Le réveil tardif des premiers cités ne changea rien à l’affaire. On crut que la contestation ultérieure du courant Héritage et Modernité, jusqu’à la démission de Guy Nzouba Ndama du perchoir de l’assemblée nationale, changerait quelque chose. Rien n’y fit. En 2014, alors que le Gabon était frappé par une crise économique, le pouvoir d’Ali Bongo s’était déjà enraciné.

Aujourd’hui, le ballotage du calendrier électoral vient confirmer que les institutions démocratiques ne font même plus semblant, elles ont jeté l’éponge. Et en premier lieu, l’assemblée nationale. Une assemblée de godillots qui n’a jamais démontré sa capacité à réguler la démocratie et à représenter le peuple. Que ce soit sous Guy Nzouba Ndama ou sous Richard Auguste Onouviet. Juste en face, il n’y a pas mieux à en dire. Au Sénat, Rose Francine Rogombe ou Lucie Milebou, c’est du pareil au même. Alors, pourquoi changer ou renouveler des parlementaires qui, de toutes les manières, n’ont aucune utilité institutionnelle ? Surtout que, pour leur montrer la futilité du Parlement, Ali Bongo eut recours fréquemment aux ordonnances. Qui avait le cran pour dénoncer cette boulimie du pouvoir ? Pas les députés en tout cas, un peu Guy Nzouba Ndama… Pour le monarque, il n’y a ni urgence ni nécessité de dépenser de l’argent pour le renouvellement des parlementaires alors qu’ils ne lui servent à rien. Il les utilise quand cela lui plaît et les députés exécutent. Inversion des pouvoirs, confusion des pouvoirs ou, plutôt, patrimonialisation du pouvoir par Ali Bongo. Les reports successifs des élections législatives sont la conséquence de cela.

La Cour constitutionnelle se plie aux injonctions de l’Exécutif

Quant à la Pise de Tour de Mborantsuo, qui ignore qu’elle est l’autre face du pouvoir des Bongo ? La Cour constitutionnelle n’est pas un instrument du pouvoir, elle est un élément constitutif du pouvoir qui en décline aussi l’identité. Ainsi, le pouvoir c’est la présidence et la Cour constitutionnelle. Même pipe, même tabac. Elles ne sont pas interchangeables, elles vont ensemble comme l’amitié Bongo-Rawiri.

Mais Ali Bongo ne pouvait supporter de partager le pouvoir avec Marie-Madeleine Mborantsuo ! Il en a fait un instrument au point de la discréditer « jusqu’à… », comme on dit au pays. Dans la polémique des législatives, à deux reprises, la Cour constitutionnelle a été obligée de constater des cas de force majeure que seules les deux puissances voyaient. Mais, le pire, c’est que l’Exécutif détenu par Ali Bongo, va à nouveau ignorer les recommandations de la Cour constitutionnelle et mépriser les expressions des dates butoirs de type « au plus tard ». Marie-Madeleine Mborantsuo ne peut plus donner des injonctions à Ali Bongo, si un jour elle en a eu l’opportunité. Dans quelques semaines, sauf coup de théâtre impossible, elle va être forcée de trouver un cas de force majeure et d’avaler une énième humiliation du report des élections législatives. Le calendrier institutionnel est mobile et bouge en fonction des intérêts du pouvoir politique d’Ali Bongo. D’ici-là, Marie-Madeleine Mborantsuo tentera de prendre une posture républicaine pour boire publiquement sa honte en annonçant le report des législatives. A dire que les finances publiques souffrent à nourrir autant d’institutions qui ne servent pas l’Etat, mais la monarchie ! Ali Bongo a réussi à enterrer la Cour constitutionnelle qui peut trouver du job à emmerder les opposants et à s’occuper de petites choses de constitutionnalité de ci ou de ça. Enfin, va-t-on peut-être mourir ensemble !

La Justice-OPJ, les bras séculiers du pouvoir des Bongo

Qu’on appelle le procureur de la République, Flore Ouwé ou Steeve Essame Ndong, ou le président de la Cour des Comptes, Gilbert Ngoulakia, soit on gueule pour faire peur aux opposants, soit on se tait pour laisser filer des milliards des comptes publics. Et le syndicat des magistrats a beau crier au loup dans la bergerie, Ali Bongo ne se prive pas d’être le président de la Magistrature suprême qui commande aux magistrats, parce qu’il serait, selon la loi fabuleuse des institutions, le premier des magistrats. Ainsi, à la Justice des magistrats et des procureurs, nul ne voit les conflits d’intérêt, les trafics d’influence, la corruption des agents publics étrangers, nul parfum de Delta Synergie n’enrhume leurs narines… Et les infractions financières peuvent se poursuivre au nez et à la barbe de ceux qui sont payés mensuellement pour éviter la dilapidation des deniers publics. Et l’on joue à faire semblant de mener une opération Mamba lancée de la présidence par Hervé Opiangah, du fait d’une interdiction formulée nulle part qu’un procureur, dans cette République, s’autosaisisse du cambriolage non armé de l’argent public. Et l’on permit de surcroît aux policiers de tirer sur les populations frustrées de voir que la démocratie omarienne ne permette pas d’alternance et bercées par la croyance qu’elles avaient le droit à « l’école cadeau, hôpital cadeau », en somme le droit de se mettre à « l’abri de la peur et du besoin ». Magistrats, OPJ et gendarmerie pénitentiaire se coalisent contre l’Etat, assurant à Ali Bongo d’intimider, arrêter et bloquer les comptes ou les affaires de ses concurrents.

Au rang d’honteuses mascarades, la fermeture du Maïsha pour raisons fiscales, l’arrestation de Zibi Abeghe, Frédéric Massavala, Pascal Oyougou, Landry Washington, Mombo… sans doute aussi le bombardement du QG de l’adversaire Jean Ping. Tout le personnel public et tous les textes de loi ou règlements utilisés pour contraindre le peuple à boire du Bongo jusqu’à en crever. 50 ans déjà que ça dure ; 50 ans que les uns et les autres se succèdent, jouissant de la servilité au profit du règne des Bongo. Le frémissement postélectoral de Séraphin Moundounga, alors ministre de la Justice, Garde des Sceaux, n’y changea rien.

CNC et CES comme d’autres gadgets 

D’autres institutions n’ont pas été épargnées. Ainsi, d’un claquement du doigt, sans respect de la durée de cinq ans requis aux postes de nominations, Ali Bongo fait débarquer du CNC et du CES ses affidés. De toutes les manières, ils ont juré de le servir partout où besoin sera. Ainsi en a-t-il été de Guy Bertrand Mapangou au CNC, de Paul Biyoghe Mba, Georgette Koko au Conseil économique et social. La seule règle qui vaille, c’est la volonté du chef de l’Etat, non des textes réglementaires. A la question posée par un savant africain du nom de Cheik Anta Diop – civilisation ou barbarie ? – en République des Bongo, tous les serviteurs répondent avec El Hadj Omar Bongo que le désordre vaut mieux que l’injustice, préférant par là la barbarie. Le CNC a fini par mourir, accompagné dans cette funeste fin par un Billie-By-Nzé sorti des malédictions existentielles pour se pavaner dans les couloirs de la République, arguant fièrement qu’il a réussi sa vie parce qu’il a réussi à compter parmi les serviteurs les plus serviles du roi. Ils sont nombreux dans sa nature, lui-même ayant pris les leçons auprès de son mentor Paul Mba Abessole.

Le clou de la révision constitutionnelle

Autant d’institutions républicaines et de Gabonais instruits alphabétisés à leurs têtes n’ont point permis un équilibre des pouvoirs ni évité le détournement des milliards pendant au moins vingt-huit ans. En toute logique, Ali Bongo s’en rendant compte, décide de ruiner le simulacre institutionnel – fatigué de faire semblant – et d’installer son régime présidentiel.

Pour arriver à ce résultat presqu’achevé, puisqu’il n’a plus besoin d’officialiser le terme monarchie, il lui a fallu mettre à mort l’idée même de la séparation des pouvoirs. C’est ici que les parlementaires ont perdu, les justiciers aussi.

A Angondje, réunissant quelques badauds de la sphère publique, en un tour de passe-passe, il a fait modifier la Constitution par des personnes qui, comme lui-même, n’avaient aucune légitimité à le faire. Les parlementaires étaient affaiblis, c’est dans leur essence au Gabon ; les politicards de type Pierre Claver Maganga Moussavou, René Ndemezo’o Obiang, Séraphin Ndaot rampaient pour quelques honneurs après avoir atteint l’apogée de leur heureuse existence ; les défenseurs de Dieu et d’Allah, comme Basile Mve Engone et Ismaël Oceni Ossa, sans consistance morale, s’étant fourvoyés dans le « tout pouvoir vient de Dieu », ont pactisé avec le monarque après avoir oublié que tout pouvoir vient du peuple en démocratie. Voilà tout : Ali Bongo est tout-puissant au Gabon. Les généraux le savent ; les magistrats le savent ; les hauts fonctionnaires le savent… Les intellectuels du genre de Rossatanga-Rignault le savent. Ce n’est un secret pour personne. Ali Bongo a fétiché tout le monde.

Et la somme des fonctionnaires éberlués… 

Après avoir braconné les deniers publics et les institutions, seul maître à bord ainsi que le commande la tradition de l’héritage biologique, il met les ouvriers à l’œuvre pour décapiter la fonction publique et ses fonctionnaires qui comptent aussi parmi ses obligés. Possédant la force policière, la justice et la prison, il peut surveiller et punir allègrement quiconque osera contester les révisions sociales après le succès de la révision constitutionnelle. Et Jean Marie Ogandanga se bat comme un beau diable pour y parvenir. Le propre du pouvoir absolu est d’étendre le pouvoir et d’ignorer les limites possibles de ce pouvoir. Jusqu’à ce qu’il rompe, soit d’avoir trop grossi soit d’avoir croisé le fer de quelques populaces survoltées, soit parce que justiciers, policiers et militaires sont fatigués de fouetter et d’emprisonner. On n’en peut plus ! Il faut le dire et il faut agir contre !

par Noël Bertrand Boundzanga, enseignant-chercheur à l’Université Omar-Bongo et membre fondateur du Club 90

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