Algérie, l’armée au pied du mur

La période de vacance du pouvoir présidentiel provoquée par l’atteinte au covid 19 du président Tebboune et son transfert en Allemagne met l’armée dans une situation indélicate et inédite

Un article de Mohand Tamgout

Le conseil gouvernemental du Mercredi 15 Octobre n’a pas eu lieu. Le président Tebboun était déjà absent des radars quelques jours auparavant alors que le débat sur la nouvelle constitution bat son plein. Les premières rumeurs circulaient sur l’absence d’un président qui a fait du référendum constitutionnel un tremplin pour son mandat, qu’il considère comme une seconde indépendance de sa « nouvelle Algérie ». Aux premiers symptômes, le président a été mis en confinement par mesure de précautions pour une période de 5 jours à la résidence présidentielle de Benaknoun sans lui imposer les règles de distanciation au sein de son milieu familial. Le bureau de communication de la présidence justifie l’isolement du président par l’atteinte d’un certains hauts cadres de la présidence de la Covid19.

Ce rideau de fumée médiatique n’a pas tenu longtemps. Les chargés de communication à la présidence ont dû revoir leur stratégie vue la dégradation vertigineuse de la santé du président à partir du 19 Octobre. Souffrant déjà des problèmes pulmonaires, étant fumeur invétéré et atteint de BPCO (Branco pneumopathie chronique obstructive) un facteur de risque non négligeable, sa prise en charge dans un établissement adapté aux impératifs n’a pas eu lieu de manière proactive par l’équipe médicale de la présidence. Cinq jours ont été perdus, il fallait attendre le 24 Octobre pour qu’il soit admis à l’hôpital militaire Ain Naâdja dans un état critique. Son hospitalisation n’a été confirmée que le 27 par un communiqué de la présidence.

Le dysfonctionnement de la prise en charge du président est dû à la mise en isolement de ses proches collaborateurs. Constatant de l’aggravation de l’état de santé du président, les médecins de l’hôpital militaire préconisent son évacuation à l’étranger dans les plus brefs délais. Le communique du 28 reconnait à demi-mot la gravité de la situation en annonçant que le président « a été transféré en Allemagne » pour des soins intensifs; la formule habituelle sur « des analyses approfondies », utilisée pour son prédécesseur, l’eex Président Bouteflika, n’a pas été employée.

Une gestion chaotique

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Ayant fermé la parenthèse de la vacance du pouvoir après l’application de l’article 102 pour la destitution de bouteflika, l’armée algérienne a enfin trouvé un président répondant à ses convenances. Et, en dépit de la répression des militants de la pression populaire du Hirak, l’armée maintien sa feuille de route en jetant les bases d’une nouvelle constitution qui lui octroie la possibilité d’intervenir en dehors de ses frontières. Un remake lui a été imposé d’une manière inopinée d’une vacance du pouvoir qui risque de se prolonger à l’image de celle de Bouteflika.

En effet, selon une expertise médicale, la période de soins peut aller jusqu’à huit semaines suivies d’une période similaire pour la réadaptation. La reprise de l’activité serait suivie d’un protocole strict à appliquer. L’âge et certains facteurs de risque imposent au président un mode de vie très restrictifs. Un scénario que l’armée n’a jamais envisagé.

L’armée algérienne, qui a imposé un passage en force le 12 décembre 2019 en installant Tebboune à El Mouradia pour se retrouver 10 mois après dans une situation similaire au statut Quo ante. La façade civile se fissure et le pouvoir militaire apparait encore une fois comme un recours ordinaire.  

L’armée ne souhaite pas s’afficher ostensiblement détentrice du pouvoir effectif.  Elle sera, malgré elle, contrainte de sortir de sa tanière pour trouver un dispositif couvrant la gestion des affaires à la présidence. L’actuelle constitution ne prévoit autre alternative que le recours à une phase intérimaire une fois l’incapacité physique et intellectuelle seront confirmées. C’est au président du sénat que reviens le droit s’assurer cette phase. Ce dernier, Salah GOUJIL, a lui-même, une santé très fragile. Un saugrenu cas de figure où le pays dispose d’une jeunesse dynamique et active pour que le pays ne trouve de personne, au sein du personnel civil comme militaire, que de vieux caciques du système.

L’armée suit assidument l’évolution de l’état de santé du président par ses services de sécurité. L’équipe du chef d’état-major, le général Chengriha, est aux aguets scrutant tout développement de la situation en Allemagne. Des scénarios seront échafaudés pour fermer les portes à l’éventualité d’une nouvelle crise institutionnelle. Le black-out médiatique favorise amplement la rumeur qui reste la seule référence en information à Alger. Certaines évoquent des séquelles irréversibles, d’autres parlent d’un état comateux du président dont les réseaux sociaux diffusent en boucle à longueur de journée.

Dans un souci d’apaisement, l’armée fait lire un communiqué de Tebboune le samedi 31 Octobre par Abdelmadjid CHIKHI, conseiller à la présidence chargé des archives et de la mémoire nationale. Son contenu se veut rassurant mais la population n’est pas dupe. Cela lui rappelle la fin de la présidence de Boumedienne en décembre 1979. Le contenu du communiqué est une antienne classique, rendant hommage au sacrifice du peuple algérien à l’occasion de la célébration du 66 années de la déclaration du 1er novembre 1954. « Je saisis cette occasion pour saluer et exprimer toute ma considération à l’armée Nationale populaire, digne héritière de l’armée de libération nationale ainsi qu’à tous les corps de sécurité pour leur efforts nationaux inlassables déployés à travers l’ensemble du pays, pour protéger les frontières et préserver la sécurité et la quiétude » mentionne le communiqué.

Une lecture à plusieurs niveaux.

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Le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général CHENGRIHA, est apparu lors des cérémonies officielles du 66 années du déclenchement du 01 novembre 1954 en tenue civile. Même son prédécesseur, le général Major Gaid Salah n’a pas manqué au port de la tenue militaire nonobstant sa fonction civile de vice-ministre de la défense. Le contexte de l’absence du président Tebboune en soins intensifs en Allemagne prête flanc aux interprétations les plus irrationnelles.

Dans un pays où l’armée a toujours joué un rôle déterminant dans le choix des présidents, il est légitime d’extrapoler sur les significations du changement d’accoutrement du chef des armées qui a troqué sa tenue militaire pour un costume cravate lors d’une cérémonie officielle dont il était le principal acteur.

Il ne suffit pas de poser des questions ou développer des hypothèses, la conjoncture impose un regard critique et ouvre les éventualités sur tous les scénarios. Le Général Gaid Salah a procédé de la même manière en occupant l’espace médiatique face à l’absence du locataire d’El Mouradia de l’époque. D’habitude en retrait loin des projecteurs et très discret sur les déclarations publiques, le général Major Chengriha n’a effectué, entre le 01 septembre et le 07 octobre date du début de la campagne pour le référendum, qu’une seule sortie médiatique à Oran, chef-lieu de la deuxième région militaire. Mais, depuis le début de la campagne référendaire il a effectué 9 discours médiatisés, plus que les chefs des partis favorables à la nouvelle constitution. Du 22 au 26 octobre, il est intervenu 4 jours d’affilés alors que Tebboune fut atteint du Covid le 15 Octobre. Les inférences conjoncturelles permettent de dire que l’armée avait déjà pris les devants de la scène pour une visibilité plus marquante.

Le contenu des discours de Chengriha portait sur la mission sécuritaire de l’armée des territoires et des frontières mais aussi sur les garanties de réussite du scrutin constitutionnel.  Le discours des casernes coïncide étrangement avec l’atteinte de Tebboune par la Covid19. Comme à l’époque du général Gaid Salah, ce discours des casernes refait surface lors de la vacation du pouvoir civil. Chengriha a abordé lors de ses derniers discours des thématiques politiques évoquant la stabilité institutionnelle, des projets de développement

Tebboune a porté à bras le corps le projet de la révision constitutionnelle. Il souhaitait en faire un élément moteur de son mandat. Bien que Chengriha s’est exprimé publiquement 9 fois sur le référendum, Tebboune ne s’est exprimé qu’une seul fois. Comble de l’ironie, il l’a fait à partir du ministère de la défense.

Tout porte à croire que l’armée appréhende, plus qu’avant, les revendications de la pression populaire du Hirak pour un Etat civil et démocratique. Elle considère que le personnel politique, sa façade civile, n’est pas à la hauteur des défis. Elle risque de prendre les commandes au nom de la sacrosainte justification sécuritaire interne et régionale (Mali et Libye).

Le résultat du référendum change complètement la donne. Avec 23,7% de taux de participation accule l’armée à prendre des décisions de hautes importances pour le devenir du pays. 76,3% ne se sont pas rendus aux urnes, une attitude qui lance un message aux vrais détenteurs du pouvoir à le céder. « Algérie nouvelle » est vite devenue un slogan qui se conjugue déjà au passé simple.

Consciente de l’enjeu, l’armée n’a de choix que de se rendre à l’évidence que la situation est périlleuse et que toute initiative aventureuse plongerait le pays dans une crise encore plus complexe. Le rapport de confiance entre une majorité de la population et le pouvoir (civil et militaire) est déficitaire. L’option pour une solution autoritaire est porteuse de tous les dangers pour une armée dont une majorité est issue des milieux populaires.

Si le 1er Novembre 1954 fut la date du déclenchement de la guerre de libération contre le système coloniale, que ce 01 novembre 2020 serait une libération d’un système militaire qui a duré 58 ans. Le slogan « L’Algérie nouvelle » de Tebboune laisse place à une « Algérie réelle » reconnaissante envers tous ses enfants sans exclusion ni distinction