Notre portrait de Masih Alinejad, l’hégérie du combat anti voile

The Wind in My Hair : My Fight for Freedom in Modern Iran de Masih Alinejad avec Kambiz Foroohar.
La journaliste et militante féministe Masih Alinejad est devenue célèbre pour avoir lancé le mouvement de protestation contre le port du hijab obligatoire en Iran en 2014.
Aujourd’hui exilée à New York, elle lutte depuis l’adolescence contre le port du hijab obligatoire en Iran. En lançant le mouvement « My Stealthy Freedom » (« ma liberté furtive »), puis la campagne « #WhiteWednesday » sur les réseaux sociaux, elle a appelé les femmes de son pays à poster des photos d’elles dévoilées. Après plusieurs documentaires sur la corruption des dirigeants de la République islamique, Nahid Persson Sarvestani, réalisatrice iranienne aujourd’hui installée en Suède, a voulu rencontrer Masih Alinejad aux États-Unis. De ses premières révoltes à ses investigations, de ses victoires à ses colères, ce documentaire en forme d’hommage retrace le parcours de cette combattante courageuse à l’énergie inaltérable.

L’image de la révolution en 2022: une femme roule à vélo

À visage dévoilé – Le combat de Masih Alinejad, réal. Nahid Persson, 2021, 57′, image extraite du film.
Version populaire d’une photo rognée de Che Guevara alors qu’il est présent aux funérailles des victimes de l’explosion de la Coubre. Photographie prise le 5 mars 1960 à Cuba par Alberto Konda, publiée à Cuba en 1961 et internationalement en 1967.

Le documentaire de Nahid Persson se termine par l’image ci-dessus: une femme roule de dos à vélo, en levant son bras droit qui tient un foulard. Qui pourrait imaginer que ce soit une image révolutionnaire? Une femme roule à vélo, cheveux défaits, et c’est un crime? Que l’on est loin, si loin de l’image archétypique du révolutionnaire, la photo du Che Guevara d’Alberto Konda en 1960: un homme au béret qui regarde devant lui. Comment a-t-on pu régresser à ce point?

Pendant les 58′ du documentaire de la réalisatrice Nahid Persson, on ne cesse de se pincer de l’incongruité du régime des Mollahs aujourd’hui, de leur visage haineux, de leur force brutale et désespérée. On se demande aussi pourquoi l’Occident ne soutient pas réellement ce mouvement de libération. L’Ukraine est partout, pourquoi le Parlement européen ne s’insurge pas contre ce régime qui oppresse le droit des femmes, alors que nous vivons continuellement dans une société qui n’a que le mot d’égalité à la bouche? Entre les sexes, entre les genres, entre les peuples.

Une épine dans le pied des ayatollahs

À visage dévoilé – Le combat de Masih Alinejad, réal. Nahid Persson, 2021, 57′, image extraite du film.

Depuis l’adolescence, Masih est une épine dans le pied des ayatollahs qui dirigent l’Iran.

Trop de cheveux, trop de voix, trop femme.

The Wind in My Hair : My Fight for Freedom in Modern Iran de Masih Alinejad avec Kambiz Foroohar.

Dans son livre, The Wind in my Hair (Le vent dans mes cheveux), paru en 2018, Masih explique que les filles de son pays sont éduquées pour « garder la tête basse, à être aussi discrètes que possible et à être dociles » ; or, elle ne pourrait pas être plus différente. « J’ai trop de cheveux, trop de voix et je suis trop femme pour eux », dit-elle. Masih est amusante, bruyante et opiniâtre et, pire que tout pour les gens qui dirigent son pays, elle n’a pas peur.

Masih n’a pas été élevée dans une famille iranienne élitiste et éduquée. Elle a grandi dans la pauvreté rurale, dans le minuscule village de Ghomikola à Mazandaran, dans le nord de l’Iran. Elle avait deux ans lorsque s’est produit l’événement qui allait changer le cours non seulement de sa vie, mais aussi de celle de tous ses compatriotes : la révolution de 1979, au cours de laquelle le shah a été déposé et l’ayatollah Khomeini est revenu d’exil pour diriger l’Iran en tant que république islamique.

Condamné à 18 ans à cinq ans de prison et à 74 coups de fouet

Dès l’âge de sept ans, la loi stipule qu’elle doit porter un hijab et peu après cet âge, elle proteste contre son port, soutenu par son frère Alih. La révolution, dit-elle, a été une révolution contre les femmes. « La première chose qui s’est produite a été l’introduction du hijab obligatoire et tout le reste est venu après, car c’était le moyen le plus visible et le plus essentiel de contrôler les femmes. La révolution a pris nos corps en otage, et elle les prend encore en otage. » « Si tu laisses quelqu’un décider pour toi ce que tu peux porter, alors ils décideront aussi ce que tu peux penser ».

À l’école, elle s’engage dans un mouvement de protestation clandestin ; peu après s’être fiancée, à 18 ans, à un autre militant, ils sont tous  deux arrêtés. « C’est la chose la plus effrayante qui me soit jamais arrivée », dit-elle. Car, alors que les formalités du mariage n’étaient pas encore terminées, elle était déjà enceinte. Jetée en prison, dans des conditions horribles, elle était au plus bas. « Je pensais que ma vie était terminée. J’étais si jeune et on me menaçait, on me mettait à l’isolement, on ne me permettait pas de voir un avocat. Je ne savais pas si je sortirais un jour, si je reverrais ma famille un jour. » Finalement, Masih est condamné à cinq ans de prison et à 74 coups de fouet. Sa peine est suspendue pendant trois ans, le juge pensant ainsi mettre un terme à la subversion de cette mère adolescente. Il doit amèrement le regretter aujourd’hui.

La campagne ‘Ma liberté furtive’, naît suite au post sur Facebook, d’une photo, cheveux au vent.

La photo de la page Facebook de Masih Alinejad qui est devenue virale et a conduit à la création de la campagne « Ma liberté furtive ».

Elle trouve un emploi dans les études de marché, avant de devenir journaliste et passer plusieurs années comme reporter parlementaire. Elle est suspendue pour avoir porté des chaussures rouges, et son laissez-passer est finalement annulé. Quelques années plus tard, estimant qu’elle risquait trop d’être à nouveau arrêtée en Iran, elle s’installe au Royaume-Uni et, à 33 ans, étudie à l’université Brookes d’Oxford. Elle poursuit son combat depuis le Royaume-Uni, interviewant par téléphone les dirigeants iraniens et les interpellant sur le hijab obligatoire, écrivant et diffusant des émissions sur les droits des femmes.

Mais c’est ce qui s’est passé un jour de 2014, alors qu’elle vivait près de Kew Gardens à Londres, qui met le feu aux poudres de sa campagne. C’était un matin de printemps. Dans une rue remplie de cerisiers en fleurs, elle court joyeusement, sans autre raison que de profiter du bonheur du vent dans ses cheveux. Le moment est capturé par son partenaire et Masih Alinedjah poste la photo sur sa page Facebook avec un message expliquant que dans son propre pays, ce simple acte serait illégal. La photo immédiatement attire l’attention. Beaucoup des femmes en Iran postent ensuite des photos d’elles-mêmes avec le vent dans les cheveux, agitant leur foulard audacieusement au-dessus de leur tête. En quelques jours, la page Facebook compte plus de 100 000 likes, une campagne était née : My Stealthy Freedom (Ma furtive liberté) invite les femmes à partager des photos d’elles sans hijab.

Dans le film documentaire, Masih Alinejad raconte qu’un homme lui a envoyé la photo d’une femme à Téhéran, perchée sur un frigo, agitant un foulard blanc en silence, en lui disant qu’elle avait été arrêtée. Elle crée alors le hashtag #oùestlafilledelaruedelarévolution (en iranien). À la suite de quoi, des milliers de personnes lui envoyent des images avec un foulard blanc. 

Soyez votre propre chaîne TV: filmez

Depuis, elle ne cesse de recueillir des témoignages et de les relayer. Elle ne se voit pas comme un leader de mouvement révolutionnaire, mais simplement comme le prolongement de la voix de toutes ces femmes qui manifestent en Iran. Le documentaire filme principalement Masih Alinejad qui commente et réagit, souvent en direct, les vidéos qu’on lui envoie. Souvent ceux-ci sont déchirants, comme lorsqu’elle apprend l’incarcération de son frère Alih, qui l’a soutenu depuis son enfance dans son désir de liberté.

À visage dévoilé – Le combat de Masih Alinejad, réal. Nahid Persson, 2021, 57′, image extraite du film. Alih, le frère de Masih Alinejad incarcéré en 2019.
Alih, le frère de Masih Alinejad incarcéré en 2019.

Mais il y a toutes ces femmes, sœurs, mères, qui murmurent une longue litanie, puis qui se font elles-mêmes incarcérer. Ce cauchemar semble être sans fin.

À visage dévoilé – Le combat de Masih Alinejad, réal. Nahid Persson, 2021, 57′, image extraite du film.

Ce qui interrompt ce mauvais rêve, c’est la joie de vivre et l’énergie de cette journaliste. Son jardin, où elle a planté un arbre pour chaque membre de sa famille qu’elle ne peut plus voir.

S’adressant à son frère:

Regarde c’est toi.
Toi qui m’as aidé à m’épanouir, et qui m’a dit:
Continue à écrire, n’arrête jamais.
Et j’ai compris que si j’écrivais mon chagrin et ma douleur,
c’était pour mieux m’en débarrasser.
Tu m’as aidé à fleurir.
Cet arbre, c’est toi.

Et mon frère a répondu:

J’ai pleuré en voyant cet arbre familier
dans un pays si lointain.
Merci sœurette.

À visage dévoilé – Le combat de Masih Alinejad, réal. Nahid Persson, 2021, 57′, image extraite du film.

Son humour, quand elle passe devant des figurines suspendues à la façade d’une maison pour Halloween, et qu’elle imagine imprimer une photo géante de Khameini pour fêter un monstre iranien pendant Halloween.

À visage dévoilé – Le combat de Masih Alinejad, réal. Nahid Persson, 2021, 57′, image extraite du film. Khameini pendant Halloween.

Mais le tour du film est tragique. Avec ces images d’un condamné à mort qui filme furtivement l’intérieur de sa prison. Le désespoir le dispute seulement à la dignité.

Les Iraniens se tiennent la main, et la voix de chaque personne incarcérée est reprise, haut, par un autre manifestant:

ils ont arrêté Mojan, Fereshteh est devenu sa voix.
Ils ont arrêté Ferestheh et moi, Ava, je suis devenu sa voix.
Monsieur Khameini.
Vos prisons sont pleines de prisonniers politiques.
Nous étions des enclumes, nous sommes devenus des marteaux.
A nous de frapper.

Le régime de la République islamique est puissant car il se nourrit de cette force incroyable que procure notre instinct de mort. Il s’adresse à ce qu’il y a de plus reptilien en nous. Mais le venin du serpent finira par l’empoisonner. Le fruit est pourri. Il va bientôt tomber.

C’est pour lutter contre la noirceur intestine de ce régime que les Iraniens improvisent ces saynètes qui débordent de vie: ils offrent des roses dans le métro. Avant de se faire arrêter. Ils fêtent la journée des femmes le 8 mars en cuisinant des gâteaux. Avant de se faire arrêter.

À visage dévoilé – Le combat de Masih Alinejad, réal. Nahid Persson, 2021, 57′, image extraite du film.

C’est le voyage qui compte.

De nombreuses personnes ont demandé à Masih Alinejad quel est son objectif, et elle leur raconte toujours cette histoire:

Quand j’étais petite, nous allions nous promener dans les montagnes.
Certaines personnes commençaient à dire : « Quand arriverons-nous ? », mais j’ai toujours pensé:
« C’est le voyage qui compte. Nous apprenons des choses en cours de route, nous gagnons en santé.
Et c’est comme ça que ça se passe : c’est un processus, c’est une question d’éducation.
Nous construisons la démocratie et nous renforçons le soutien à une cause qui dit simplement qu’au 21e siècle,
les femmes et les hommes sont égaux, et que vous ne pouvez pas supprimer la moitié de la population. »

Le peuple iranien, et Masih Alinejhad, nous donne une leçon de vie, saurons-nous l’entendre?

Sources

Le film est visible gratuitement sur la plateforme de rediffusion d’Arte jusqu’au 20 octobre 2022.

Masih Alinejad (avec Kambiz Foroohar), The Wind in My Hair : My Fight for Freedom in Modern Iran, Little, Brown and Company, 2018.

Voir le site Facebook: My Stealthy Freedom آزادی یواشکی زنان در ایران

Joanna Moorhead, The wind in my hair: one Iranian woman’s courageous struggle against being forced to wear the hijab, The Guardian, 3 juin 2018.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)