Au delà de la loi de finances 2018 qui a été critiquée par tous les Tunisiens – ou presque-, les mouvements de protestation sont confrontés à une classe politique de plus en plus coupée de l’opinion publique. Une analyse de Mounira El Bouti
La situation est inédite dans la Tunisie de 2018: un président, Beji Caïd Essebsi muet depuis le début des manifestations violentes qui traversent le pays; une majorité de Tunisiens mécontents, mais qui ne se reconnait guère dans des manifestations illégales qui se reproduisent chaque nuit dans le pays tout entier. A savoir les saccages et les pillages qui laissent au petit matin les grandes villes de Tunisie dans un état de délabrement total.
Le mécontentemetn est profond: non à la cherté de la vie, non à la corruption, non à l’injustice sociale et au gouffre qui se creuse davantage entre les classes sociales. La Tunisie qui fut longtemps fière de la stabilité de sa classe moyenne dont la protection fût pendant longtemps l’alpha et l’omega de la politique économique nationale, a aujourd’hui signé l’épitaphe de cette dernière qui se retrouve progressivement -d’année en année- déclassée chez les plus pauvres, environ 20% de la population.
Force est d’admettre, que la cherté de la vie est devenue étouffante en Tunisie. L’inflation s’est subitement accélérée pour dépasser les 6% fin 2017 et qui est prévue pour 8% en 2018, ne laisse personne indifférent au point de changer les habitudes des Tunisiens, par manque de moyens.
Ce sont ces impasses financières et ces injustices sociales qui donnent un caractère « légitime » aux protestations souvent violentes. La population devient otage entre des casseurs sans projet précis et une élite politique sans éthique.
Un mur d’incompréhension
Le gouvernement, par une communication de crise pour le moins fébrile, a dressé un mur d’incompréhension avec le peuple. On accuse au lieu de comprendre, on condamne au lieu d’enquêter, on musèle au lieu de protéger et on juge au lieu de compati.
Les discours des plus hauts responsables, à l’instar de celui du Chef du gouvernement Youssef Chahed, accusent pêlemêle, des partis politiques, notamment le Front Populaire de Hamma Hammami, les réseaux de contrebande et les lobbies de la corruption d’être à l’origine des mouvements de protestation. Ces théories ne semblent convaincre personne puisque les protestations continuent face à un Chef du Gouvernement de plus en plus isolé. Même les partis de la majorité qui ont voté, quelques semaines plus tôt, la loi de Finances scélérate, se sont retournés contre lui! Hormis un soutien, aux airs de service minimum de la part du grand syndicat tunisien, l’UGTT, le Premier ministre est désormais seul !
La soif de justice sociale
Quant à la loi de finance, qui a pris la forme d’un bras de fer entêté entre ceux qui l’ont rédigée et ceux qui se voient contraints de l’appliquer dans leur malheur, le gouvernement ne compte, pour le moment, ni l’amender ni l’annuler.
Manifestement, les mouvements de protestation ne semblent pas avoir donné des graines de conscience aux décideurs qui se cachent derrière les théories de la manipulation et des surenchères politiques. Et qui n’ont toujours pas compris qu’une deuxième révolution reste possible tant la situation économique et sociale est semblable, sinon pire que celle de 2011.
Leur espoir grandissant après la révolution de la dignité est devenu une arme à double tranchants pour les Tunisiens. L’ampleur des espoirs des débuts s’est mue en profond désenchantement, tant les promesses de la révolte contre Ben Ali n’étaient pas tenues.
Outre, une année touristique positive dans l’ensemble, les chiffres n’annoncent rien de bon en Tunisie. Le taux de chômage n’a point reculé, l’endettement extérieur s’est accéléré, et le dinar continue sa dégringolade face à l’euro, en dépassant la barre symbolique des 3 dinars dès le début de 2018.
Le gouffre entre l’espoir et la réalité a été lourd de conséquences pour des Tunisiens. La propriété d’une maison est devenue chimère pour une bonne partie de la population. Les prêts immobiliers doivent être payés, que l’on travaille ou pas. Beaucoup sont piégés par la dévaluation de leurs revenus et la hausse des taux d’intérêts, sans pouvoir payer les énormes dettes contractées pour les acquérir. Il y a une génération qui grandit en Tunisie esclave de la dette en Tunisie.
Paradoxalement, pendant que les uns s’appauvrissent, d’autres privilégient le calme social. Entre les premiers et les seconds, l’incompréhension grandit. Et si le pouvoir reste muet trop longtemps encore, il risque fort d’être sérieusement bousculé par un sursaut sécuritaire.