La Chine, la Russie et l’Iran donnent le sentiment de s’être associés pour jeter à bas l’Occident et les règles de fonctionnement du droit international. Ces trois pays dénoncent l’hypocrisie de l’orthodoxie démocratique, non sans arguments, mais en muselant leurs peuples apparemment moins sévères à l’égard des règles du jeu occidentales.
Dans son discours du 24 février 2022, Vladimir Poutine avait justifié l’invasion de l’Ukraine par le refus de ne plus se soumettre à un ordre international conçu par et pour les Américains. Ces derniers « imposent des règles qui ne profitent qu’à eux-mêmes » et qu’ils s’empressent de violer sitôt que ces règles ne leur conviennent plus avait expliqué le dirigeant russe. Vladimir Poutine avait ainsi rappelé qu’en 1991, « plusieurs semaines durant », l’aviation et des missiles américains ont été utilisés contre Belgrade, au centre de l’Europe, sans « aucune autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU ». « On est forcé de rappeler ces faits, car certains de nos collègues occidentaux n’aiment pas se souvenir de ces événements, et quand nous en parlons, ils préfèrent non pas se référer aux normes du droit international, mais à des circonstances qu’ils interprètent comme nécessaires ».
Et Poutine avait également rappelé que la guerre en Irak, la guerre en Lybie, la guerre en Syrie avaient toutes donné lieu à un usage de la force non cadré par une décision du Conseil de sécurité. « La déformation de toutes les décisions du Conseil de Sécurité de l’Onu sur la question libyenne a mené à la destruction totale de l’Etat, à l’apparition d’un foyer énorme de terrorisme international, et au fait que le pays a sombré dans une catastrophe humanitaire, dans l’abîme d’une guerre civile qui perdure jusqu’à présent ».
L’arrogance américaine
Poutine a rappelé également que l’invasion de l’Irak avait eu lieu sans aucun fondement légal et il a rappelé dans sa lettre les palinodies du Secrétaire d’Etat américain Powell brandissant à la tribune de l’ONU une petite fiole présentée comme une arme de destruction massive irakienne… « Et puis il s’est avéré que tout cela était de la tricherie, du bluff : qu’il n’y avait aucune arme chimique en Irak. C’est incroyable, étonnant, mais un fait reste un fait. »
Ce réquisitoire russe sur l’hypocrisie d’un système de relations internationales dominé et régulé par des Américains menteurs et ivres de leur toute puissance n’est pas dénué de fondement. L’arrogance et l’hypocrisie américaines peuvent apparaître insoutenables à des régimes à la nuque raide comme un régime islamiste en Iran, un régime communiste en Chine et un régime post-communiste en Russie.
Le désir de ces pays de ruer pourrait même être justifiée. A une condition toutefois : que ces réclamations soient appuyées par leurs peuples. A la condition que les peuples iranien, russe, chinois fassent bloc derrière leurs dirigeants.
Des contestations sans précédent
Or c’est le contraire qui se produit. L’Iran qui entend construire une bombe atomique en déchirant sans autre forme de procès le traité de non-prolifération atomique dont elle est signataire affronte aujourd’hui une contestation sans précédent. Depuis deux mois et demi le peuple iranien tout entier est descendu dans la rue pour réclamer la destitution de ses dirigeants et l’instauration de la démocratie. Et aujourd’hui encore, ce même peuple se bat et meurt pour sa liberté et se désespère d’être abandonné par l’Occident.
La Chine, elle aussi entend reformater les règles de l’ordre international, mais la légitimité du régime laisse là aussi à désirer. Les manifestations du peuple chinois las de se laisser enfermer par ses dirigeants au nom de règles sanitaires sans grande rationalité montrent les limites de l’autoritarisme interne. Et en Chine aussi, la population aspire à un fonctionnement démocratique et descend dans la rue et appelle à jeter le régime à bas.
L’Iran, la Chine se disaient prêts à la guerre sauf que ces régimes ne sont pas assurés du soutien de leur population. Le peuple russe a été jeté dans la guerre par surprise, mais l’émigration massive aujourd’hui montre qu’au-delà de l’Oural, on cherche à ne pas mourir pour des enjeux que personne ne comprend.
On peut médire des pays occidentaux et les critiquer souvent à raison, mais les dirigeants d’Europe et des Etats Unis agissent aussi dans les limites de l’acceptabilité définies par leur opinion publique. Les populations savent qu’elles disposent de moyens légaux (vote, manifestations…) de se faire entendre. Le débat entre le haut et le bas de la société ne fonctionne pas toujours très bien, mais il existe. La faiblesse des régimes autoritaires est qu’ils sont privés de tels signaux d’alarme. C’est au moment de la confrontation du régime iranien, russe et chinois avec l’extérieur que leurs peuples se réveillent et se rappellent à l’existence de leurs dirigeants. Et là, la surprise est totale.
Caroline Bright