« La sortie du pétrole et du gaz d’ici trente ans implique que nous remplacions une part des énergies fossiles par de l’électricité » déclaré Emmanuel Macron, dans un discours, le 10 février, sur la politique énergétique de la France que notre chroniqueur juge très « gaullien »[i].
Il était à Belfort dans le hangar où les salariés de General Electric attendaient qu’il officialisât le rachat par EDF des turbines Arabelle ayant jadis appartenu à Alstom (jusqu’en 2015). En dépit de l’avis d’une partie de l’opinion publique mal informée sur les données anciennes du problème, malgré l’amertume de repreneurs éconduits (Cf. l’article du magazine Marianne) et nonobstant les quolibets de candidats jaloux à la présidence de la République, le coup fut magistral. « Il est des choix, a dit le chef de l’État, qui engagent la nation sur le temps long : plusieurs décennies, parfois un siècle. Les choix qui concernent l’énergie, l’investissement dans les infrastructures sont de ceux-là. »
Il a alors poursuivi : « Le monde de demain sera plus électrique. Nous devrons être en mesure de produire jusqu’à 60% d’électricité en plus par rapport à aujourd’hui. (…) Et la clé, pour faire cela de la manière la plus sûre, c’est de développer les énergies renouvelables et le nucléaire. (…) » Tout est dit.
À l’inverse des positions de l’Allemagne
L’impact de la décision prise est énorme. La résolution française ne s’appuie pas sur des arguments de nature technologique et de seule portée politique intérieure, voire d’ordre philosophique, elle se justifie par des considérations géostratégiques impérieuses en matière de souveraineté.
En allant, dans l’urgence, à inverse des positions de l’Allemagne[ii], elle-même prise en tenaille entre le gaz de schiste américain et le gaz naturel russe (le fameux Nord Stream 2), le président Macron a fait un choix pour la France et pour l’Union Européenne.
Il n’a pas subordonné la France aux apparences, à l’équilibre de circonstance du couple franco-allemand – comme aurait pu le faire le président d’une France déclassée. Non. Mieux averti que quiconque des ressauts de la crise ukrainienne, le chef de l’État Français a évidemment opté en faveur de l’autonomie énergétique de l’économie nationale. Il s’agissait ni plus ni moins de l’indépendance de l’Europe.
Étant donné la prédominance croissante de l’usage mondial de l’énergie sous forme d’électricité, le marché unique européen de l’énergie allait être livré pieds et poings liés par des gazoducs sous-marins et des accords transatlantiques à deux fournisseurs dominants et devenir à terme une gageure. Et pis, une utopie.
Nulle panique !
La question n’est donc pas de savoir si le choix fait par Paris est un cas de divorce ou non d’avec l’Allemagne ? Il ne l’est pas. La France remet-elle en cause le processus de libéralisation et de convergence des marchés électriques des États membres de l’Union Européenne, dont la Communauté du Charbon et de l’Acier avait posé les bases ? Pas nécessairement. Au contraire.
D’abord, Berlin pourra changer d’avis sur le recours à l’énergie nucléaire et, quoi qu’il en coûte, devenir le meilleur client de l’électricité made in France. Ensuite, le prix mondial du gaz peut s’effondrer demain devant l’abondance et la concurrence de sources alternatives comme il y en a au Qatar, en Iran, en Afrique et bientôt en Mer Méditerranée orientale. Les Allemands auront alors fait le bon pari dans l’intérêt mutuel et réciproque de chacun ; et les Français aussi. Peut-on imaginer une seconde qu’en bonne intelligence, le président français n’ait pas averti le chancelier allemand de ses intentions ?
Paris n’a pas cédé au double bras de fer de Moscou d’un côté et de Washington de l’autre. Les partenaires européens n’auront pas mis leurs œufs dans le même panier, ce qui s’appelle prendre une assurance tous risques sur la vie en commun.
[i] https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/direct-nucleaire-suivez-le-discours-d-emmanuel-macron-a-belfort-sur-la-relance-de-la-filiere_4953483.html
[ii] https://www.cleanenergywire.org/news/macrons-nuclear-plans-illustrate-franco-german-rift-eu-energy-policy-op-ed