Les Américains se retirent de l’Afghanistan. Bonne nouvelle ! Mais la vraie question est à quelles conditions ? Quelle est la teneur de l’accord des Américains avec les Talibans?
Une chronique de Malek El-Khoury
Le retrait de l’Afghanistan est-il lié au conflit USA-Chine ? A la question du Proche-Orient ? A la relation tendue entre les USA et la Russie ? Quel rôle vont jouer les Taliban dans le futur ? Le retrait est-il lié aux discussions sous la table entre les USA et l’Iran à Vienne ? Quels sont les nouveaux rôles de Daech (ISIS), d’Al Qaeda, d’Israël, de la Turquie, de Qatar, de Oman, de l’Arabie, du Pakistan ou de l’Europe ? Comment va réagir la Chine, qui paraît, comme d’habitude (encore) très silencieuse sur ce pays ?
De ce préambule, on peut constater combien de dossiers et de questions sont soulevés par ce retrait d’une zone stratégique au centre du Moyen-Orient. En tous cas, on constate quelle position centrale pourrait occuper ce pays avec les nouveaux dirigeants. Cela semblerait donc relativement invraisemblable que, sans être dans les secrets des Dieux, on ne puisse imaginer qu’aucun accord n’ait été conclu entre les deux anciens belligérants, surtout après tous les innombrables et longs pourparlers qui ont précédé le retrait.
Le pragmatisme cynique des Américains
D’abord, apparemment, les Américains ont laissé les Taliban prendre le pouvoir sans trop aider le régime officiel de Kaboul. Ce ne sera pas la première fois que les Américains « abandonnent » leurs alliés (récemment avec les Kurdes de Syrie) pour des raisons d’intérêt national plus important. Le pragmatisme – cynique – des USA est la meilleure preuve que les relations entre états ne sont basées que sur des intérêts, principalement nationaux, et rarement sur des principes, même si ces principes facilitent les alliances ou les conflits.
La géographie de l’Afghanistan le met, de par les pays limitrophes, en contact direct avec l’Iran, le Pakistan et la Chine (par une petite languette vers l’Est) et indirect avec la Russie et la Turquie à travers ses frontières avec le Tadjikistan, l’Ouzbekistan et le Turkmenistan.
Étant un pays dans lequel les ethnies et les confessions s’entremêlent, ce pays est nécessairement lié aux conflits sunnite-sunnite, sunnite-chiite, aux extrémismes de cette région, de quelque obédience qu’ils soient, aux tensions tribales très fortes et, certainement, à son histoire mouvementée (et de résistance à l’occupant) extrêmement riche. La position de ce pays dans le trafic international de la drogue (avec tout ce que cela implique comme signification) jouera probablement un rôle essentiel dans l’économie renouvelée de ce pays, en tous cas dans un premier temps.
L’épée de Damoclès de Daech
Actuellement il y a peu de réponses claires à toutes les questions posées plus haut. La forme de l’accord avec les Taliban sera visible assez rapidement. Déjà ceux-ci sont nettement « innocentés » des deux derniers attentats meurtriers qui viennent d’avoir lieu à Kaboul, même si des occidentaux (dont des militaires) en ont été victimes. La présence de Daech dans la région est revenue immédiatement à la surface, comme une épée de Damoclès et met les Taliban en porte-à-faux par rapport à ce mouvement extrémiste flou et diffus soutenu par on-ne-sait-qui ? Ces attentats sont-ils une « distraction » ou un conflit essentiel ?
Quelle relation aura l’Afghanistan, dont une partie non négligeable de sa population (environ 20%) est chiite, avec l’Iran? Sera-t-elle conflictuelle ou amicale ? Avec la Chine (même si sa frontière avec ce pays est très petite) qui, souvent, profite de la faiblesse des pays pour s’introduire et s’infiltrer à travers « sa route de la Soie » ? Avec la Russie, ancien occupant de l’Afghanistan ? Avec la Turquie ? Verra-t-on une résurgence des mouvements islamistes radicaux (Al Qaeda, Daech, etc.) ? Y aura-t-il une rébellion intérieure qui « entretiendra » un chaos afin d’éviter une résurgence d’un pays souverain autonome et puissant, sachant que l’Afghanistan a toujours repoussé les occupants potentiels ?
Les Taliban exerceront-il leur nouveau pouvoir « légalisé » internationalement (même si presque aucun état ne les a encore reconnus) sur des bases radicales musulmanes ou seront-ils plus pragmatiques que leur précédente prise de pouvoir en 1996 ? Ont-ils fait des promesses aux « étrangers » en contrepartie d’aides ou de soutiens quelconques ?
La Chine, seul ennemi de Joe Biden
L’Afghanistan sera-t-il le prochain Vietnam des Américains, c’est-à-dire un futur allié solide, développé économiquement qui s’opposera à la Chine ? Devra-t-il contrer la puissance iranienne et son expansion géographique et politique ? Devra-t-il empêcher les russes d’étendre leur pouvoir sur une zone sensible ? S’embourbera-t-il dans un conflit avec d’un côté une rébellion intérieure à multiples facettes et de l’autre aux extrêmes islamistes ? Comment évoluera sa relation avec le Pakistan ?
On pourra, peut-être, déjà imaginer un ou plusieurs scénariis si jamais les bateaux iraniens transportant du fuel vers le Liban arriveront à bon port sans entraves, ou si l’électricité en provenance de Jordanie produit avec le gaz égyptien parviendra au Liban en traversant la Syrie. Cela indiquera la nouvelle voie américaine, celle de la diplomatie que prône activement Biden. Est-ce que cette stratégie, celle de réduire, voire d’éteindre, les conflits secondaires pour mieux se préparer au conflit principal, celui d’affronter la Chine, son vrai concurrent, pour ne pas dire ennemi, sera-t-elle couronnée de succès ?
Possible, mais les parties prenantes aux accords « secondaires », comprenant cela, seront très exigeantes. Quel sera le prix que les populations devront encore payer pour des dirigeants engagés dans un processus autre que celui du bien de leurs pays ?
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