Une conférence à Abou Dhabi sur la menace d’une nouvelle guerre froide

La rivalité grandissante entre les Etats-Unis et la Chine a dominé la première journée de la conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conférence) qui s’est ouverte vendredi 1er octobre à l’Emirates Palace d’Abou Dhabi (Emirats arabes unis).

Une chronique de Michel Touma

Le monde s’oriente-t-il résolument, compte tenu du bras de fer américano-chinois, vers une nouvelle guerre froide similaire à celle qui régnait à l’époque de l’empire soviétique ? Une question d’une brûlante actualité à laquelle certains intervenants ont apporté une réponse nuancée, relevant notamment que les relations de coopération avec l’URSS étaient pratiquement inexistantes, ce qui n’est pas le cas au stade actuel avec la Chine dont les relations commerciales avec les Etats-Unis restent importantes. Preuve en est que 70 pour cent des composants de l’iPhone sont fabriqués en Chine, comme l’a souligné Yuichi Hosoya, professeur de politique internationale à l’université privée japonaise Keio, qui a cependant relevé que la montée en puissance de la Chine fait quand même émerger un alignement dans les rapports internationaux. « La majorité des pays asiatiques, affirme-t-il à cet égard, ont fait leur choix et considèrent la Chine comme un partenaire stratégique. Le Japon notamment se tourne vers la Chine ».

Pour le directeur de l’IFRI, Thomas Gomart, la question du « choix » entre les Etats-Unis et la Chine dépendra en définitive des secteurs d’activité.Il reste que dans un tel contexte, la ligne de conduite des Etats-Unis suscite en diverses circonstances des fractures, ou tout au moins des tensions, comme ce fut le cas lors du retrait d’Afghanistan. « La décision du retrait d’Afghanistan et les circonstances dans lesquelles il s’est produit n’ont été précédées d’aucune concertation préalable avec les pays occidentaux alliés, ce qui a abouti à une tension certaine », a indiqué sur ce plan Jean-Claude Gruffat, président du Competitive Enterprise Institute.

Elisabeth Guigou, le retour  

Ce manque de concertions en amont au niveau des grandes décisions entre Washington et les autres pays occidentaux a été évoqué, et déploré, par l’ancienne présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, Elisabeth Guigou, qui a dénoncé cette attitude US sans pour autant jeter un quelconque doute sur l’alliance stratégique entre la France et les Etats-Unis. « La France a été et restera un allié fidèle des Etats-Unis au sein de l’Alliance atlantique », a notamment déclaré Mme Guigou qui a souligné que son pays ne pouvait pas oublier l’apport des Etats-Unis dans la victoire des alliés lors de la Seconde Guerre mondiale, de même qu’elle ne pouvait pas, notamment, oublier le sacrifice de jeunes américains pour assurer la victoire et libérer la France de l’occupation nazie.

Mettant l’accent sur la continuité de la politique de la France sur ce plan, Elisabeth Guigou a établi une nette distinction entre le fait d’être « allié » et être « aligné ». « Il n’y a jamais eu un alignement total (de la France) sur la politique américaine. Allié, oui, mais aligné, non. Notre action s’inscrit dans le respect mutuel », a déclaré Mme Guigou qui a évoqué trois épisodes-clés qui ont illustré le décalage et l’éloignement entre la France et les Etats-Unis dans le sens du refus de l’alignement aveugle sur la position US.

« En 2003, a notamment précisé Mme Guigou, la France a clairement refusé d’appuyer la guerre américaine en Irak. En 2013, en outre, le président Barak Obama avait annulé à la dernière minute, d’une manière unilatérale, une attaque contre le régime syrien en dépit du fait qu’il avait déclaré que l’utilisation de l’arme chimique serait une ligne rouge ». En dépit du recours de Bachar el-Assad à l’arme chimique, Barak Obama avait fait, in extremis, marche arrière concernant la riposte contre le régime Assad, mais il ne s’était pas concerté au préalable avec la France.

Le troisième choc dans les rapports avec Washington est apparu dans l’affaire du contrat conclu en 2016 par l’Australie avec la France pour la fourniture à Canberra de douze sous-marins français à propulsion conventionnelle (le « contrat du siècle », dont le montant est estimé aujourd’hui à 56 milliards d’Euros). Canberra a récemment rompu ce contrat, optant pour des sous-marins américains à propulsion nucléaire qui seront fournis à l’Australie dans le cadre d’un nouveau et vaste pacte de sécurité (dans la zone indo-pacifique) regroupant les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Australie (le pacte dit « Aukus » dont la France a été exclue sans être consultée en amont par Washington).

Déplorant l’attitude des Etats-Unis dans cette affaire, Elisabeth Guigou a prôné un rôle européen accru dans les rapports internationaux, soulignant à ce sujet que « les Etats-Unis ont intérêt à promouvoir une complémentarité avec l’Union européenne plutôt qu’une concurrence ».

L’autonomie stratégique européenne   

L’affaire de la rupture par l’Australie du « contrat du siècle » avec la France a été également commenté par Josep Borrell Fontelles, vice-président de la Commission européenne et Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Evoquant le retrait américain d’Afghanistan sans consultation préalable avec les pays alliés occidentaux ainsi que la question du contrat rompu par Canberra, M. Borrell a estimé que l’affaire du pacte de sécurité « Aukus » et la rupture du contrat ont une portée « beaucoup plus politique que commerciale ».

« Les épisodes de Kaboul et de Canberra ont mis en relief une certaine cassure » (avec Washington), a affirmé Josep Borrell qui précise que les Etats-Unis ont changé de priorité. « Ils faisaient face auparavant au terrorisme, mais désormais, ils ont changé de stratégie, a-t-il souligné. La guerre contre l’islamisme, c’est fini, leur problème aujourd’hui c’est la Chine et les alliances dans le Pacifique. L’Union européenne subit dans ce cadre une sorte de rétrécissement stratégique. Nous devons lutter contre cette dynamique qui retreint notre rôle », a ajouté le vice-président de la Commission européenne qui a prôné dans un tel contexte une « autonomie stratégique » européenne qui permettrait à l’UE de défendre ses intérêts, « ce qui n’est pas contradictoire avec le rôle de l’OTAN qui n’a pas d’alternative pour défendre l’espace européen », a relevé M. Borrell, avant d’indiquer que le renforcement de la capacité propre de l’UE ne se limite pas au volet militaire, mais englobe aussi, notamment, le commerce et les rapports économiques dans le cadre d’un « monde multipolaire ».

Cette première journée de débats aura ainsi confirmé ce qui paraissait de plus en plus comme une évidence, à savoir que les nouveaux enjeux internationaux ont pour toile de fond la montée en puissance de la Chine et la rivalité croissante entre les Etats-Unis et l’Empire du milieu.  

       

 

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