L’association Survie, créée par François-Xavier Verschave a joué un rôle majeur dans la dénonciation des relations troubles entre la France et l’Afrique. Pour Fabrice Tarrit, jeune président de l’association, seuls les discours ont changé. Entretien
L’association Survie, créée en 1984 par François-Xavier Verschave, est la bête noire de l’armée, des hommes d’affaires et des réseaux affairistes impliqués en Afrique. Il faut dire que ce mouvement n’a jamais caché la nature de son combat avec un slogan aux allures de campagne présidentielle: « Ensemble, luttons contre la Françafrique ». Nous sommes allés rencontrer ces militants à l’occasion de leur campagne dédiée à la vingtième commémoration du génocide rwandais. L’horrible drame rwandais, qui a coûté la vie à plus de 800 000 tutsis et hutus modérés, s’est transformé, au fil des années, en une féroce lutte franco-française.
Dans ce combat, Survie a perdu quelques plumes, surtout financières, en s’engageant dans une lutte « citoyenne » et « judiciaire ». Grace à un budget annuel de 200 000 euros, l’association se porte partie civile contre des présumés génocidaires et leurs complices. Les quatre salariés permanents de l’association s’appuient sur quelques 1 500 membres pour boucler le budget.
Fabrice Tarrit, 36 ans, président de l’association, déplore le ramollissement des socialistes depuis qu’ils sont au pouvoir. Ces mêmes socialistes qui l’assuraient de leur soutien pour la cause anti impérialiste avant leur arrivée aux affaires.
Mondafrique : Jacques Foccard, le conseiller de de Gaulle et Pompidou qui possédait des réseaux redoutables en Afrique, est mort. Charles Pasqua, autre pilier de la Françafrique, ne sévit plus. On vous reproche souvent d’avoir une vision anachronique des relations franco-africaines, que répondez-vous à ces critiques ?
Fabrice Tarrit : Avec Fabius, Le Drian et Valls, on voit bien que la Françafrique n’a pas complètement disparu. Ces gens-là on une vision politique qu’ils ne cachent pas : l’héritage de Mitterrand. Ils continuent à se gargariser du discours de la Baule, de l’Opération Turquoise au Rwanda etc. Souvent on nous caricature en sous-entendant qu’à Survie nous sommes restés bloqués sur Foccard, ça n’est pas du tout le cas. Il y a moins de réseaux, d’accord, mais il y a de beaux restes.
Mondafrique : Comment évaluez vous le bilan de Le Drian et Fabius, patrons de la Défense et du Quai d’Orsay?
F.T : Le repositionnement français en Afrique avec Le Drian et Fabius est un gros signe de continuité. Notre présence militaire à l’étranger est relégitimée avec de nouvelles bases militaires. Pour nous, la Françafrique existe toujours, elle est orientée sur la prospection économique mais elle existe toujours. Et puis, Laurent Fabius est un homme de réseaux, il a une histoire avec le continent africain qui date de l’époque où il était Premier ministre. Il s’est déplacé au Gabon en pleine campagne présidentielle de 2012 et a félicité Ali Bongo pour ses rapports de qualité avec la France. Le tableau n’est pas fameux : un va-t-en-guerre à la Défense et un Fabius aux relations louches.
Mondafrique : Vous aviez des liens avec des personnalités socialistes quand ils étaient dans l’opposition. Qu’en est-il aujourd’hui?
F.T : C’est difficile aujourd’hui. Ceux qui nous écoutaient hier, disent aujourd’hui de nous que nous sommes caricaturaux. Juste avant les élections présidentielles de 2007 nous avions encore de bons liens avec des jeunes espoirs du Parti socialiste qui disaient vouloir démiterrandiser le parti en se débarrassant des pratiques de Françafrique. Les Pascal Canfin ou Harlem Désir, plus ils s’institutionnalisent, moins ils abordent ces sujets.
C’est le cas aussi de Thomas Melonio par exemple, il est aujourd’hui conseiller à l’Elysée sur les questions africaines et plus très réceptif à nos demandes. Quand je l’ai rencontré à son arrivée à l’Elysée il m’a dit « nous on va garder les bases militaires mais on va être clair avec des missions de protection des ressortissants », ça a tenu un mois et après c’était l’opération au Mali.
C’est vrai que si nous avons perdu de l’influence c’est parce que nous n’avons plus l’oreille d’élus et de responsables qui sont passés aux manettes. Donc peut être qu’il faut travailler les contre-pouvoirs à différents niveaux et mettre l’accent sur certains députés vraiment engagés.
Mondafrique : Dans votre lutte pour une autre politique de la France en Afrique, quels sont vos leviers d’action ?
F.T : Nous sommes une association citoyenne. Notre action repose principalement sur la mobilisation de nos sympathisants. Ce sont eux qui peuvent nous aider à faire pression sur les autorités. Au début de l’association, à l’époque du fondateur François-Xavier Verschave, nous ne faisions qu’organiser des événements médiatisés. Très vite, nous nous sommes rendus compte que ces mobilisations à elles seules ne pouvaient déboucher sur des décisions politiques ou des changements institutionnels. Nos moyens d’action s’articulent désormais autour de deux axes : documenter et mobiliser. Nous publions un journal, des livres noirs et beaucoup de communiqués de presse en plus des événements ponctuels. Par ailleurs, et principalement dans le dossier rwandais, il y a le volet judiciaire puisque « Survie » se porte partie civile dans les grands procès de présumés génocidaires ou complices.
Mondafrique : Est-ce que le terme de « lobby » définit votre action?
« F.T : Nous faisons en effet un travail de lobbying en rencontrant des candidats, des élus et des cabinets ministériels. Je suis allé plusieurs fois rencontrer des conseillers au ministère des Affaires étrangères ou à l’Elysée. Nous avons développé une bonne expertise des situations grâce à des grands spécialistes et universitaires. Nous voulons être des forces de proposition.
Mondafrique : Est-il possible en France d’agir via les parlementaires ?
F.T : Le primat de l’exécutif explique nos premières déceptions à la fin des années 1990. À l’époque, Survie travaillait surtout sur les projets de loi en matière de développement et de coopération. Les déceptions à l’Assemblée ont poussé François-Xavier Verschave à vraiment se pencher sur les réseaux et le mode de fonctionnement des relations franco-africaines. Avec les militants de l’époque, il a découvert le soutien aux dictateurs, les amitiés suspectes, ce qu’il a appelé à partir de 1993-1994 la Françafrique. Très vite, il a réalisé que ces réseaux étaient les principaux obstacles à une évolution de la vision française du développement et de la coopération.
Nous n’étions pas emballés par l’ancien ministre de la Coopération Pascal Canfin. Il allait faire, selon lui, de la coopération sans faire de la politique. Pour nous c’est impossible.