Notre entretien avec le challenger de Bouteflika, Ali Benflis: « La fraude a déja commencé »

« Je ne me tairai pas sur le détournement du choix du peuple », déclare à Mondafrique Ali Benflis, le seul candidat sérieux face au président sortant, Abdelaziz Bouteflika dans l’élection présidentielle qui se joue le jeudi 17 avril. Entretien

benflisSeul candidat à donner du sens à l’élection présidentielle du 17 avril en Algérie, Ali Benflis est loin d’être un profane en politique. Le voici, il y a un quart de siècle, ministre de la justice dans trois gouvernements, dont il démissionne en juin 1991, protestant contre l’instrumentalisation des magistrats algériens.

Ali Benflis est élu député au lendemain des élections de mai 1997. Il sera, deux ans plus tard, le directeur de campagne du président candidat en 1999, avant de devenir son chef du gouvernement en septembre 2000. Fonction qu’il assumera jusqu’en mai 2003. Date à laquelle il claque la porte du gouvernement et bascule dans l’opposition à Bouteflika, dont il n’est jamais sorti depuis.

Lors de l’élection présidentielle de 2004, Benflis se présente contre son ancien mentor, à la tête d’une coalition Tout Sauf Bouteflika (TSF). L’arbitrage ultime du DRS (services algériens) permet à Bouteflika d’être réélu. Les résultats de ce scrutin feront dire à cet avocat de formation, que le grand perdant est la démocratie et le grand gagnant est la fraude.

Cette fois, Benflis se représente face à un Bouteflika malade et incapable d’assumer ses fonctions présidentielles. Il mène une campagne électorale carrée, sans le soutien des grands partis et de l’administration, en avançant sur le seul terrain politique. En ce dernier jour de la campagne, il donne un entretien à Mondafrique.
Mondafrique : Quelle lecture faites-vous de la situation politique de l’Algérie à la veille du scrutin du 17 avril ?

Ali Benflis : L’Algérie vit une crise multidimensionnelle, institutionnelle, politique, économique et sociale depuis plus de deux décennies, et qui s’est aggravée ces dernières années. Je ne peux ignorer actuellement le délitement de l’Etat, l’affaiblissement du système politique, la dérive des institutions, la déperdition économique, la généralisation de la corruption et le ras-le-bol des Algériens. Sans oublier que nous avons, ces derniers mois, un gouvernement qui s’est transformé en véritable comité de soutien, ainsi qu’un parti pris flagrant et un asservissement de l’administration au profit d’un candidat déterminé.

Mondafrique : Dans cette situation atypique, ne pensez-vous pas que le jeu est totalement fermé ?

A. B : Il y a des violations relevées par nos concitoyens et qui caractérisent cette campagne, notamment l’opération de recueil des signatures qui s’est faite pour un candidat donné par le recours au fichier d’état civil et par l’utilisation de l’identité des personnes sans même qu’elles en soient informées. La partialité des médias publics est flagrante et l’asservissement de l’administration total au service de la promotion de Bouteflika. Il y a également cette stratégie de la peur mise en place par certains afin d’imposer la continuité comme choix de stabilité et qui considère toute velléité de changement comme étant le signe d’un chaos éventuel.

Mondafrique. Après trois semaines de campagne, croyez-vous toujours en la possibilité d’une élection ouverte ? Ne pensez-vous pas que les dès sont pipés ?

A.B : Je suis conscient de la difficulté de la situation, elle génère frustration et inquiétude chez nombre de mes compatriotes notamment parce que la fraude a déjà commencé. Néanmoins, je suis également conscient de la nécessité d’œuvrer à un changement responsable et serein. Je ne suis pas et je ne serais jamais un lièvre. J’ai choisi de me présenter aux élections présidentielles en ayant une vision précise de la situation, en étant porteur d’un projet que je soumets à l’appréciation du peuple algérien. Je leur soumets une alternative crédible et un projet d’avenir parce qu’il est inadmissible que l’Algérie d’aujourd’hui soit otage de pratiques anachroniques, en déphasage avec les aspirations démocratiques et de liberté de son peuple. J’ai choisi de résister.

 Mondafrique : Comment convaincre les Algériens de l’utilité de l’acte de voter dans une élection où tout indique qu’elle est jouée d’avance ?

A.B : Les Algériens, très nombreux que je rencontre lors de mes déplacements, des meetings que je tiens, ne me donnent pas cette impression. Ils sont là malgré toutes les entraves et les violations qui émaillent la campagne électorale. Ils sont là malgré la fraude. Parce qu’ils aspirent à un changement. Ils n’accepteront pas que la fraude soit le vainqueur de cette élection.  Ils défendront leur choix et leurs voix. Je ferais de même. J’ai mis en place un dispositif antifraude qui va mobiliser plus de 60 000 scrutateurs pour couvrir les 60 000 bureaux et centres de vote du début de l’opération de vote jusqu’à la remise des procès-verbaux.

Grâce à ce dispositif et surtout à la vigilance citoyenne, nous défendrons le choix du peuple. Vous savez je suis démocrate, je crois au libre choix de chacun sur cette question, mais s’il y a détournement du choix du peuple et fraude je ne me tairais pas.

Mondafrique : Vous avez animé un meeting à Ghardaïa vendredi dernier. Quelle est votre analyse de la situation dans cette ville. Et quelles solutions préconisez-vous pour rétablir les choses

Je l’ai dit lors de mon déplacement à Ghardaïa et je le redis encore. Il n’y a pas de problèmes ethniques dans cette ville, il y a par contre une non-prise en charge par l’Etat des préoccupations des citoyens au moment opportun. Il y a eu négligence et atermoiements dans la prévention puis dans la prise en charge de la crise et en cela l’Etat a faillit. Je suis convaincu que c’est par le dialogue et l’implication de tous que nous trouverons une solution pérenne à cette situation. Je me suis engagé à Ghardaïa à revenir si je suis élu et ne pas quitter la ville tant qu’une solution définitive n’aura pas été adoptée et acceptée par tous.

Mondafrique. Le Forum des Chefs d’Entreprises (FCE)  soutient le 4e mandat du président candidat. Êtes vous déçu ?

A.B : Je demeure persuadé qu’une organisation telle que le FCE peut contribuer et enrichir le débat économique. Ses membres vivent au quotidien la réalité du secteur économique. Et c’est dans ce sens que j’ai transmis mon programme électoral, le Projet de Renouveau National, et principalement son volet économique.
Mondafrique : Quelle analyse faites-vous de la situation économique du pays ?

A.B : Je crois que le constat se pose de lui-même dès qu’on aborde la question relative à notre dépendance excessive aux hydrocarbures, au poids des importations, au chômage qui affecte principalement la jeunesse, à la quasi absence d’un tissu industriel, et à toutes les défaillances qui caractérisent notre économie. Nous avons besoin de réformer rapidement notre modèle de développement économique qui est bâti sur la rente pétrolière pour favoriser l’émergence d’une économie diversifiée, forte, à même de créer de l’emploi et de la richesse.

Mondafrique :  Comment résumer le programme du candidat Benflis ?
A.B : C’est un programme ambitieux, porté par une vision tout aussi ambitieuse: celle de l’avènement d’une société des libertés. C’est aussi un programme concret, pragmatique  et réaliste qui assure un équilibre entre nos impératifs de développement et notre obligation de garantir la cohésion nationale. Il est fait de mesures concrètes et d’engagements précis, clairs et identifiés parce que je considère que nous devons tenir les engagements pris devant le peuple.

PAR NIDHAL DAÏM