Voici le deuxième volet de notre enquête sur la sécurité au Sahel, cinq jours avant le sommet de N’Djamena qui doit se tenir les 15 et 16 janvier entre les états du G5 Sahel et la France. Longtemps épargné par la menace terroriste en Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso en est devenu l’épicentre d’où les groupes djihadiste rêvent de transporter leurs activités aux pays du Golfe de Guinée.
Une chronique de Francis Sahel
Sept ans après l’arrivée des forces françaises déployées pour lutter contre les jihadistes au Mali, le Sahel traverse une crise profonde. Les premières opérations françaises, menées en 2013, ont eu un impact significatif : elles ont bloqué l’avancée des jihadistes vers le centre du pays alors qu’ils avaient déjà conquis une grande partie du nord du Mali, et chassé les combattants des villes septentrionales. « Toutefois, depuis lors, notent les experts de Crisis Group dans un rapport récent sur « la coordination des stratégies de stabilisation », les insurgés ont repris leur expansion, notamment au centre du pays, et ont traversé les frontières, s’installant au sud-ouest du Niger comme au nord et à l’est du Burkina Faso ». Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à al-Qaeda, et la branche locale de l’Etat islamique ont exploité des tensions au sein et entre les communautés rurales de ces zones , en s’étendant au sud de l’espace sahélo-saharien, et ailleurs
Des services français inquiets
Le patron du renseignement extérieur français Bernard Emié a rappelé le 1er février à Orléans, non de Paris, ce que l’on savait de longue date : les groupes djihadistes ont l’ambition d’étendre leurs activités aux pays côtiers d’Afrique de l’Ouest.
On pourrait être encore plus précis en indiquant que ce projet d’extension territoriale passe, pour les groupes terroristes, par le Burkina Faso. En effet, à lui seul « le pays des hommes intègres » est entouré par quatre pays du Golfe de Guinée : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo. Dans leur volonté d’étendre « le califat », les groupes terroristes ont déjà utilisé le Burkina Faso comme base-arrière pour attaquer et tuer en juin 2020 treize soldats ivoiriens dans la zone frontalière de Kafalo, commune aux deux pays.
Les mêmes ont par deux fois au départ du territoire burkinabé attaqué le Bénin : une première fois en enlevant en mai 2019 deux touristes français dans le parc national du Penjari et une seconde fois en s’en prenant en février 2020 à un poste de police non loin de la frontière bénino-burkabé. Partie encore une fois du territoire burkinabé, une troisième attaque terroriste a visé en février 2019 un poste mobile des douanes togolaises sur la frontière commune. Outre ces attaques, les pays du golfe de Guinée assurent avoir démantelé des cellules terroristes dormantes infiltrées à parti du Burkina Faso.
Fuite en avant
Les groupes djihadistes ont porté par deux fois leur action terroriste au cœur même de la capitale burkinabé. Une première fois en attaquant en janvier 2016 à plusieurs lieux touristiques et tuant au moins 27 personnes. Ensuite, une seconde fois en menant en mars 2018 des attentats ciblés contre l’ambassade de France et l’état-major des armées burkinabé, faisant une trentaine de victimes.
En dépit de la gravité de ces actions et de leur lourd bilan humain, les autorités s’étaient réfugiées dans la stratégie du déni et de la fuite en avant. Plutôt que de reconnaître que la menace terroriste est devenue aussi grave qu’au Mali et au Niger voisin, elles ont rodé un discours consistant à vendre l’idée qu’il y a derrière ces différentes attaques la main de l’ancien président Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire. Le régime du président Roch Marc Christian Kaboré a également tenté de convaincre son opinion publique et le reste du monde que ces attaques ne sont que la conséquence du refus du Burkina Faso de reconduire le deal que Blaise Compaoré a passé avec les groupes djihadistes. Cette posture du déni a considérablement favorisé l’expansion de la menace partie en 2016 de la seule province du Soum, sur la frontière commune avec le Mali. Elle s’étend désormais au Nord, au Sud-Est, et même au centre du pays. Près d’un tiers du pays a dû être placé sous état d’urgence alors que les organisations humanitaires estiment que le Burkina Faso compte au moins un million de déplacés internes. Environ 1600 personnes ont été tuées dans des actions terroristes au Burkina Faso entre 2016 et 2020.
Signe de la gravité de la situation sécuritaire, au moins 350.000 électeurs vivant dans près de 1000 villages n’ont pas voté lors de la présidentielle de novembre 2020 qui a scellé la victoire du président sortant Roch Marc Christian Kaboré.
A moins d’un vrai changement de stratégie dans la lutte antiterroriste burkinabé lors de ce second mandat, il est à craindre que la métastase se répande à tout le Burkina Faso. Ce qui mettrait le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo à portée du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et de l’Etat islamique au Grand Sahara.
Sommet de N’Djaména (1er volet), le « djihad défensif » des groupes armés
C’est le temps du doute et des questions importantes sur l’intervention de l’armée française dans le Sahel. La prévision d’un sommet entre la France et les pays du G5 Sahel à N’Djamena ouvre la perspective de l’opération Barkhane dans le Sahel.
N’Djamena doit être un moment politique de vérité
En dépit de la mort récente de cinq soldats français, Paris estime avoir obtenu d’importants résultats sur le plan militaire et attend une reprise en main politique de vastes zones délaissées par les pouvoirs centraux.
Le partenariat militaire opérationnel semble bien l’objectif de cette année 2021, Barkhane tout comme les Européens de la force Takuba continueront donc massivement d’épauler au combat les armées sahéliennes, afin qu’elles s’affermissent et remportent des victoires.
Le sommet de Pau a été celui du sursaut militaire, le sommet de Ndjamena doit être celui du sursaut diplomatique, du sursaut politique et du sursaut du développement afin de consolider les résultats de ces derniers mois…
La ministre des Armées Florence Parly et le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ont défendu le bilan de la force Barkhane et répondu à une rafale de questions sur l’avenir de l’opération française… La France appelle à un sursaut diplomatique et politique !!!