Le sort de la Secrétaire générale sortante de l’OIF, Michaëlle Jean ayant été définitivement scellé, Emmanuel Macron a fini par porter son choix sur la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo pour lui succéder. Peu importante pour Macron que le Rwanda ait tourné le dos à la Francophonie pour rallier le Commonwealth.
« Je vais un Africain, de préférence une Africaine » : Macron avait clairement défini à ses troupes le profil du candidat qu’il recherche pour succéder à Michaëlle Jean au Secrétariat de l’organisation internationale (OIF). Après plusieurs mois de recherche, c’est finalement le nom de Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères du Rwanda qui est soumis à Emmanuel Macron.
Moussa Faki à la manœuvre
Face à un choix qui lui permet de faire plusieurs coups à la fois, le président exulte. La nomination de Madame Mushikiwabo apaise « les blessés » du passage en force de Macron pour évincer Michaëlle Jean. Elle s’inscrit surtout dans le projet de Macron d’aller le plus loin que possible dans la réconciliation entre la France et le Rwanda, fâchés depuis le génocide de 1994. C’est finalement au Tchadien Moussa Faki, président de la Commission de l’Union africaine depuis janvier 2017, que la France confie la mission de démarcher Louis Mushikiwabo. Elle se dit partante, à condition que Paul Kagamé donne son accord. Pour Kagamé, dont le pays avait fait de l’anglais sa langue officielle, voir son ministre des Affaires étrangères propulsé au poste de Secrétaire générale de la Francophonie sonne comme une revanche.
C’est d’ailleurs à Paris aux côtés de Paul Kagamé, en visite de travail à Paris, que le président Macron officialise en mai 2018 le soutien de la France à la candidature de Louise Mushikiwabo. Erevan ne sera alors qu’une simple formalité. L’élection de l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda passe en novembre 2018 comme une lettre à la poste. Macron étant allé jusqu’à obtenir du Canada le retrait de son soutien à la candidature de Michaëlle Jean.
Commando rwandais à Paris
Surfant son succès le Rwanda n’enverra pas que son ancienne ministre des Affaires étrangères. Mme Mushikwabo, débarque au siège de la Francophonie Avenue Bosquet à Paris flanqué de l’ancien ambassadeur du Rwanda à Bujumbura, Désiré Nyaruhirira. Ce cadre du Front patriotique rwandais (FPR), qui a mis fin au génocide au Rwanda en prenant le pouvoir, devient « Conseiller Spécial », une sorte d’éminence grise avec tous les pouvoirs. Déjà collaboratrice de Mushikiwabo à Kigali, Mme Oria Vande Weghe devient porte-parole de la SG puis directrice de la communication de la Francophonie par un tour de passe-passe.
Epaulée par le « commando rwandais », Mme Mushikiwabo va asseoir une gouvernance qui bouleverse la culture de travail de la maison. Sous couvert d’un audit interne, de nombreux cadres, qui ont plusieurs années d’ancienneté, sont remerciés sans ménagement. D’autres sont rétrogradés, en dépit des dispositions statutaires. Des services sont fusionnés ou tout simplement supprimés dans aucune justification, ni cohérence. La peur et le malaise s’installent dans la maison. Signe de la crise de gouvernance interne, la Secrétaire générale a « cramé » deux directeurs de cabinet en moins d’un mandat de 4 ans. En effet, au bout de moins de dix-huit mois de fonction, le diplomate français Nicolas Grosper a démissionné en novembre 2019 de son poste de directeur de cabinet de l’ancienne ministre rwandaise des Affaires étrangères. Son remplaçant Jean-Marc Berthon, un autre diplomate français, n’aura pas tenu plus longtemps avant de jeter l’éponge en janvier 2021. Mais le comble de cette zone de turbulences dans laquelle est entrée la Francophonie fut la démission fracassante en octobre 2020 de la Canadienne Catherine Cano de son poste d’Administratrice, numéro 2 de l’organisation.
Navigation à vue
Outre les difficultés de management imputées à l’actuelle équipe dirigeante, l’OIF n’a pas été capable de prendre ces dernières semaines des positions claires et lisibles sur des grands dossiers internationaux. Elle est apparue très mal à l’aise dans ses prises de position contre les troisièmes mandats présidentiels en Côte d’Ivoire en Guinée. Plus récemment, elle n’a pu su dégager rapidement de position commune sur la guerre en Ukraine, en raison des divergences entre ses membres.
Comme pour ne rien arranger à cette situation chaotique depuis l’installation de Mme Mushikiwabo au fauteuil de Secrétaire général, la Francophonie n’a pas tenu un seul sommet de chefs d’Etat et de gouvernement. Initialement prévu en 2020 à Djerba le 18 ème Sommet de l’organisation a été reporté à décembre 2021 puis à novembre 2022. Rien n’indique à ce jour qu’il se tiendra à cette échéance, au regard du retard pris dans la construction des infrastructures, mais surtout de la rupture de l’ordre constitutionnel en Tunisie, reprochée par plusieurs Etats membres occidentaux de la Francophonie (Canada, Belgique, Suisse, Québec) au président tunisien Kaies Saïed. Nombre d’observateurs imputent cette crise inédite que connaît la Francophonie au président français Macron, lui qui aura forcé le destin pour imposer l’élection de l’ancienne ministre rwandaise des Affaires étrangères.