Emmanuel Macron, s’est rendu à Moscou et à Kiev ces lundi et mardi pour tenter une nouvelle médiation auprès du chef d’état russe, Vladimir Poutine. Il a tenté de lui vendre un concept « d’indivisibilté de la sécurité » européenne. dont les contours n’apparaissent pas très clairement. « Il existe des termes de convergence », a conclu Emmanuel Macron à l’issue de la rencontre, lunid, avec le chef d’état russe. Avant d’ajouter; « je suis sur que nous allons trouver un compromis ».
Le président français devrait se souvenir que sa tentative de régler le dossier ukrainien n’est pas la première et méditer sur les échecs précédents.
La chronique de Xavier Houzel
Nord Stream 2 qui est un gazoduc prêt à fonctionner depuis septembre 2021 pour approvisionner l’Allemagne mais que sous la pression américaine assortie de sanctions, l’union Européenne et surtout l’Allemagne – qui ont un besoin pourtant impératif de ce Gaz russe – ne mettent pas en service. Poutine s’est empressé de signer avec la Chine un gazoduc alternatif pour faire comprendre aux Européens que s’ils ne voulaient pas de son Gaz, ils devraient pas pour autant « en dégoûter les autres » !
Les dirigeants français constatent que les prix de l’énergie s’emballent et que la cherté de la vie augmente. Le prix du baril de brent a atteint ce lundi matin un record de 93,1 dollars. Ils l’expliquent par des bruits de bottes de soldats russes en train de chahuter dans leurs casernes à la frontière de l’Ukraine. Sur ce point, ils n’ont pas tout à fait tort. Encore ne s’agit-il que de l’écume de la mer, dont l’agitation est permanente en ce lieu de faille culturelle
Il y a sept ans, en février et mars 2014, la Fédération de Russie envahissait la péninsule de Crimée ; elle annexait purement et simplement la petite République autonome et la ville de Sébastopol. Personne n’a bronché. L’Ukraine a perdu alors le contrôle de sa frontière avec la Russie ainsi que 3 % de son territoire.
Une première médiation en 2014
Le 5 septembre 2014, un premier accord est conclu après de longues négociations à Minsk entre les représentants de l’Ukraine, de la Fédération de Russie, de la République populaire de Donetsk (DNR) et de la République populaire de Lougansk (LNR) pour mettre fin à la guerre du Donbass. Un protocole est signé à Minsk après de longues négociations sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ce protocole n’est pas respecté. Aussi l’OSCE réunit-elle à nouveau, le 11 février 2015, les dirigeants de la Russie et de l’Ukraine, auxquels se joignent, ceux de la France (le président François Hollande) et de l’Allemagne (la chancelière Angela Merkel), dans le cadre d’une plate-forme baptisée format Normandie. Un traité est signé le lendemain : les Accords de Minsk feront respecter un cessez-le-feu obtenu le 5 septembre 2014.
Ces Accords étaient imparfaits, juste une tentative de nature internationale, censé enclencher un « processus ». Le souci de la Fédération de Russie de maintenir l’Ukraine sous son influence n’était pas le seul objectif de Poutine. La Russie avait aussi en tête des objectifs précis en matière de gaz et de pétrole
Une étude de l’IFRI d’octobre 2015[i], sous la plume de Marie-Claire Aoun l’indiquait déjà : « Les tensions entre la Russie et l’Ukraine et les sanctions économiques occidentales à l’égard de la Russie ont conduit Gazprom, le premier fournisseur de l’Union européenne (UE), à revoir sa stratégie vis-à-vis de l’Europe. ». Ainsi Nord Stream 2 est un gazoduc prêt à fonctionner depuis septembre 2021 pour approvisionner l’Allemagne. Mais sous la pression américaine assortie de sanctions, l’union Européenne et surtout l’Allemagne – qui ont un besoin pourtant impératif de ce Gaz russe – ne mettent pas en service. Poutine s’est empressé de signer avec la Chine un gazoduc alternatif pour faire comprendre aux Européens que s’ils ne voulaient pas de son Gaz, ils devraient pas pour autant « en dégoûter les autres » !
Le statu quo de 2019
Au sommet de Paris de décembre 2019 – alors qu’aucun changement significatif n’a eu lieu pour résoudre le conflit et finir la guerre – la Russie ne se reconnaît pas comme partie au conflit ; elle se qualifie de « médiateur » entre Kiev, Donetsk et Louhansk.
Poutine fait valoir que le « Minsk[ii] » est un traité international contraignant, au même titre qu’une résolution adoptée par Conseil de sécurité des Nations Unies. Or ce n’est pas le cas, et il le sait parfaitement. La Fédération n’a pas même pris la peine de faire ratifier le « Minsk » par la Douma afin de lui donner (au moins) une légitimité juridique nationale.
Moscou ne tient pas à remettre sur le tapis la question de la Crimée, tant que l’Union Européenne continue d’avoir la prudence, pour ne pas dire la poltronnerie de l’esquiver.
Le président américain Barack Obama avait réagi, dès le 17 mars 2014, à l’annexion de la Crimée en prononçant des sanctions contre 720 fonctionnaires et hommes d’affaires russes. Ces mesures vont coûter à la Russie 1,5 à 2 points de PIB par an, soit près de 100 milliards de Dollars. Leur effet sera supportable et non sans contre-mesure. Le président russe, qui n’est pas homme à se laisser impressionner a aussitôt riposté en fermant la frontière russe à ceux de ses voisins qui appliquent les sanctions contre son pays[iii].
Les réalités économiques
Le président russe sait que l’Europe redoute les conséquences des sanctions américaines, des sanctions contre elle-même en réalité. En dépit de ces interdits, la Russie demeure le cinquième marché d’exportations pour l’Union Européenne, avec 81,5 milliards d’Euros de janvier à novembre 2021. C’est aussi le troisième plus gros fournisseur du continent derrière la Chine et les Etats-Unis, selon Eurostat, avec 142 milliards d’Euros de marchandises sur les 11 premiers mois de l’an dernier[iv] :
Enfin, la présence d’un ennemi étranger est pour le gouvernement de la Fédération de la Russieun point d’appui. Le pays va devoir temporiser, sachant qu’au moindre faux pas de plus, il devra être préparé non seulement à faire face à de nouvelles salves de sanctions mais aussi à rendre coup pour coup. Mais avec quelle arme ? Pas nécessairement l’approche militaire. Ce sera plutôt l’approche économique, plus subtile, plus sournoise et plus efficace : le Gaz, quand Gazprom sera tout à fait prêt et, demain, le blé, quand le réchauffement climatique aura achevé de libérer au Nord des terres arables des frimas rigoureux de l’hiver sibérien.
L’armée russe va devoir d’ici-là donner le change avec des leurres : le fantôme de l’Otan et la troupe à la frontière de l’Ukraine avec des bruits de bottes (sait-on jamais).
Ce que demande la Russie à l’Ukraine et par extension aux Occidentaux (Bruxelles et Washington) est le plein respect des Accords de Minsk[v] avec un engagement de leur part que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN, ce qui sera difficile à leur faire admettre et qui équivaudrait alors à une composition sans grand panache.
La différence entre aujourd’hui et hier est que aujourd’hui, le chef du Kremlin est prêt, Gazprom est prêt, les silos sont pleins de blé. Or Joe Biden se dit prêt à dégainer, comme au cinéma. Ce dernier croit que le chef du Kremlin menace – encore et toujours – d’envahir l’Ukraine, ancienne république soviétique et il lui promet, à son tour, des punitions comme ce dernier n’en a jamais vu. Ce qui n’est pas non plus franchement raisonnable
La Chine et la Russie solidaires
Entre temps, la Russie et la Chine consolident leur relation en augmentant leur coopération en matière d’Énergie : Gazprom s’est engagé non seulement à livrer à la Chine 10 milliards de mètres cubes supplémentaires de Gaz naturel, en portant ainsi la quantité annuelle de l’échange au chiffre record de 48 milliards de M3, mais aussi à construire pour 2025 un nouveau gazoduc payable en Euros (XI) en plus du Pipeline existant déjà « le Power of Siberia », inauguré en 2019.
Et, de son côté, Chevron demande au Trésor Américain l’autorisation de reprendre le contrôle de ses anciennes activités d’exploration-production au Venezuela ! Voilà qui vérifie la « théorie du chaos » et l’effet papillon.
La Crise a atteint son paroxysme. Dans ce jeu de rôle, le président français n’évolue pas seulement dans un environnement militaire fictif, il lui faut remonter le vent au milieu d’une tempête économique, dont l’Union Européenne, dépourvue de Gaz et de Pétrole, pourrait faire les frais durablement
[i] https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/etude_aoun-cornot_europe_gaz.pdf
[ii] https://uacrisis.org/fr/minsk-agreements
[iii] https://www.liberation.fr/futurs/2014/08/06/la-russie-interdit-l-importation-de-produits-agroalimentaires-des-pays-la-sanctionnant_1076496/
[iv] https://www.letemps.ch/monde/leurope-craint-consequences-sanctions-contre-russie
[v] https://www.20minutes.fr/monde/3223531-20220125-conflit-ukraine-russie-emmanuel-macron-occident-unis-riposte-cas-agression-russe