Maroc-Etats-Unis : place aux affaires !

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken n’est pas venu au Maroc en mars dernier qu’en diplomate touristique ou purement politique. Certes, ce dernier a réitéré la position des États-Unis en faveur de l’initiative marocaine d’autonomie des provinces du Sud sous souveraineté marocaine. L’heure est à présent au renforcement de la coopération économique, et son vaste « champ des possibles ». Voici l’avis de trois experts.

Par Olivier DELAGARDE

Tout d’abord, et non des moindres, en cette période d’inquiétude nationale quant à l’épineuse question de son alimentation en eau, le royaume marocain devrait bénéficier des technologies américaines en matière notamment de dessalement de l’eau de mer afin de faire face aux besoins de plusieurs régions. C’est ce que précise l’Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX) dans un récent communiqué. Prémices d’un passage imminent des réceptions diplomatiques flamboyantes aux actions concrètes.

Son président Hassan Sentissi El Idrissi a proposé, dans la foulée, la création d’une compagnie maritime mixte visant à une intensification des échanges, ainsi qu’au développement de l’accord de libre-échange conclu entre les pays.

Par ailleurs, lors d’une rencontre récente à Casablanca, et dans le cadre de la promotion du Sommet sur l’Investissement « Select USA 2022 », le Consul Général des Etats-Unis Lawrence M. Randolph et ses collaborateurs, ont mis l’accent sur les opportunités que les Etats-Unis entendent proposer aux investisseurs de différents états à la bannière étoilée sur le sol chérifien.

Evidemment, les opérateurs marocains sont d’ores et déjà dans les starting-blocks pour la tenue de cet événement annuel. Ce sommet, prévu du 26 au 29 juin 2022 à Washington, accueillera des participants des deux côtés de l’atlantique avec un objectif clair : générer des affaires, tous domaines confondus.

Solaire, éolien, potentiel maritime et gazier des eaux du sud marocain, sont autant d’intérêts et de ressources encore trop inexploitées, tant la zone saharienne marocaine a longtemps fait figure de poudrière. Trop longtemps et alors que l’économie du royaume est en quête d’un nouveau souffle.

Après la courte séquence des dossiers politiques dorénavant symboliques, place aux actes dans la pure veine du vieil oncle Sam : le business.

*Nabil Adel : « Après la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, l’accent est désormais mis sur le développement des relations économiques »

« Après la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, nous pouvons dire aujourd’hui que ce dossier est scellé. Ce qui se passe maintenant, on va dire, c’est la gestion de ce qui reste de ce dossier. Et d’ailleurs, on voit beaucoup de pays rejoindrent la position américaine, comme l’Allemagne et l’Espagne », affirme l’économiste Nabil Adel. À présent poursuit-il, « l’accent sera mis sur le développement économique, notamment dans les provinces du Sud. On va essayer d’en faire un levier de développement comme certains pays ou émirats du Golfe, à l’instar du Qatar ou de Dubaï. Ainsi, la volonté aujourd’hui est de faire de ces provinces du Sud, une fois ce conflit artificiel définitivement clos, une locomotive pour le développement économique du Royaume ».

Ainsi et selon Nabil Adel, cette visite d’Antony Blinken tend à donner un coup d’accélérateur à la coopération commerciale entre le Maroc et les États-Unis. « Nous avons signé un accord de libre-échange en 2004, mais ses retombées sont encore en deçà de ce que nous pouvons en tirer », fait-il remarquer. « Le Maroc joue un rôle de stabilisation et de développement des investissements étrangers dans la région et je pense que la cadence va s’accélérer dans les années à venir ».

Il est question avant tout de dynamiser l’accord de libre-échange avec les États-Unis pour qu’il devienne un véritable fer de lance du développement économique du Royaume, soutient l’économiste. Pour s’en convaincre, ce dernier ajoute : « il suffit de prendre l’exemple du Mexique par rapport aux États-Unis, où le marché américain a été un véritable levier pour le développement du pays. Ce même marché américain a été un levier extraordinaire pour le développement de l’économie chinoise. Le Maroc doit donc saisir cette opportunité et essayer de renforcer sa collaboration avec les États-Unis ».

Pour autant, et dans un équilibre quelque peu funambulesque, le royaume chérifien doit maintenir ses partenariats engagés avec d’autres grandes puissances économiques et places financières mondiales telles que la Chine ou la Russie, tout en se gardant de rester un terrain neutre où l’on vient faire des affaires, sans prendre le parti d’un partenaire au détriment d’un autre.

**Taïb Aisse : « Des efforts sont encore à consentir pour tirer pleinement parti de l’ALE avec les États-Unis »

Tout en soulignant la dimension stratégique que les relations entre le royaume marocain et les Etats-Unis ont toujours maintenues, l’expert financier Taïb Aisse estime qu’en matière économique, de nombreuses opportunités s’ont encore à développer pour chacun des deux pays.

Se référant à l’accord de libre-échange, ce dernier soutient que les échanges entre le Maroc et les États-Unis sont toutefois jusqu’à maintenant plus profitables à l’économie US, et qu’il existe un grand potentiel de rééquilibrage à mettre au profit du Maroc. « Nos exportations vers les États-Unis ne sont pas soumises à des quotas et cela est très important » fait observer justement l’économiste, notant en outre, que les exportateurs marocains doivent s’investir davantage afin de répondre aux normes américaines, qui bien que compliquées, restent abordables. « Nous devons donc consentir plus d’efforts pour capter des parts de marché pour nos produits sur ce marché, lequel demeure le plus important au monde », ajoute-t-il.

Par ailleurs, concernant le programme « Compact II » conclu entre les gouvernements marocain et américain, Taïb Aisse a indiqué qu’il serait opportun de renouveler ce programme (qui arrivera bientôt à son terme), alors qu’il a pour objectif de financer des projets de grande importance sur le plan social tels que l’employabilité des jeunes ou bien encore la valorisation du capital humain.

***Azzedine Hanoune : « Le gouvernement devrait dans les prochaines semaines initier une dynamique visant à exploiter le potentiel réel des relations avec la première puissance mondiale »

« Il ne faudrait pas ignorer le contexte de cette visite qui vient juste après le sommet du Néguev qui a accentué le statut du Maroc en tant qu’acteur de premier ordre dans la région MENA. Le Maroc est un acteur primordial et non un bon élève, agissant selon sa propre vision et ses propres intérêts », indique le professeur de droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Ibn Tofaïl, Azzeddine Hanoune. Cette visite vient également dans le contexte de la guerre qui secoue l’Europe de l’Est et qui installe un climat de tension impactant les relations internationales. Enfin, cette visite vient quelques jours seulement après la lettre du Président du gouvernement espagnol adressée au Roi Mohammed VI et qui a annoncé un changement significatif dans la position de son pays sur la question du Sahara, relève Azzedine Hanoune.

D’après ce dernier expert, ce déplacement du secrétaire d’État américain à Rabat consolide les acquis du Royaume. « M. Antony Blinken, en réitérant l’appui des États-Unis au plan marocain d’autonomie pour les provinces du Sud, a répondu de manière indirecte aux allégations des adversaires suggérant un revirement dans le soutien américain », affirme-t-il.

Ensuite, les déclarations de bonnes intentions pourraient avoir un caractère politique et diplomatique visant à ménager les autres parties afin de protéger les intérêts américains dans la région. Le timing de cette visite est révélateur de l’alignement des positions des différents acteurs internationaux concernés par le conflit du Sahara. Le plan marocain d’autonomie devient le leitmotiv de tout le processus de recherche de solution et l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU ne pourrait, et ne devrait nullement ignorer cette donne, souligne le professeur de droit public.

 

Au-delà de la question de l’intégrité territoriale du Royaume, la visite du Chef du département d’État est, de l’avis de Azzedine Hanoune, une étape importante dans le processus de consolidation de la confiance entre les deux pays : la coopération et les échanges restent en deçà du potentiel. La rencontre avec le Chef du gouvernement est un signal politique fort dans ce sens. « Le gouvernement devrait d’ailleurs dans les prochaines semaines initier une dynamique visant à exploiter le potentiel réel de ces relations avec la première puissance mondiale », appuie Azzedine Hanoune.

* Nabil Adel est directeur du Groupe de recherche en géopolitique et géoéconomie de ESCA-École de Management. Consultant auprès de plusieurs institutions financières, fonds d’investissement et grandes entreprises, il est également enseignant chercheur en géopolitique, économie et finance.

** Taïb Aisse est expert-comptable & fondateur du cabinet AISSE, expert en économie, en finance et spécialiste dans l’audit depuis plus de 30 ans.

 *** Azzedine Hanoune est professeur de relations internationales à l’Université Ibn Tofaïl et directeur d’études au Centre marocain des études stratégiques (CMES)