La récente escale technique, peu conforme aux usages protocolaires, à l’aéroport Leon Mba de Libreville, du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, est symptomatique des relations que la France d’Emmanuel Macron entretient désormais avec le Gabon d’Ali Bongo Ondimba. Que ce soit au niveau politique ou économique le changement n’est pas sans conséquences.
Depuis l’été 2016, les relations entre la France et le Gabon sont de plus en plus crispées. Elles illustrent la fin de la Françafrique et le début des conséquences de la mondialisation des échanges.
Une situation politique bloquée
Sur un plan politique, la réélection, en août 2016, d’Ali Bongo Ondimba, a engendré une crise post électorale qui continue de créer une situation conflictuelle dans le pays et de polluer les relations internationales du Gabon, notamment avec l’Union européenne. Le soutien sans faille de l’Union africaine au président gabonais et, a contrario, un désaveu cinglant apporté à Jean Ping, pourtant un des prédécesseurs de Moussa Faki Mahamat, n’est pas suffisant pour redorer l’image d’un Ali Bongo Ondimba qui, à l’instar de ses collègues des Etats de la Cemac, a résolument emprunté une voie qui pourrait le mener dans une impasse politique.
Les élections législatives, prévues pour avril 2018, ne peuvent plus être organisée conformément aux échéances constitutionnelles. Les retards pris dans le processus pré-électoral ne permettent pas d’envisager de telles élections, selon les normes internationales, avant plusieurs mois. Il est vrai que le camp du président gabonais craint beaucoup les résultats de ces élections qui pourraient ouvrir, au mieux, une redoutable période de cohabitation avec les partisans de Jean Ping et, au pire, des troubles attentatoires à la paix civile. Comme Joseph Kabila en RDC, Ali Bongo Ondomba instrumentalise les difficultés d’organisation électorale pour éviter un désaveu populaire. Nul doute que tout sera fait pour inciter le boycott de l’opposition et permettre ainsi un plébiscite pour les candidats de la majorité présidentielle et remporter une victoire à la Pyrrhus.
Une économie en panne sèche
Les mouvements sociaux se multiplient notamment dans la fonction publique. Depuis plusieurs mois, les préavis de grève des agents publics se succèdent, à la fois, pour des raisons financières, de non-respect du statut de la fonction publique et des modifications apportées pour les avancements dans la carrière.
Les déboires des entreprises étrangères illustrent les difficultés de la conjoncture économique du pays. Plusieurs sociétés multinationales sont concernées par ce mauvais climat des affaires mais aussi par des interventions unilatérales de l’État gabonais.
Face à des pertes financières grandissantes, notamment en raison des impayés de l’État gabonais, le géant français de la restauration collective, SODEXO, a mis fin à son implantation au Gabon. La liquidation de ses biens a été prononcée.
Le groupe britannique Compass group et sa filiale gabonaise, EUREST support services, se replie également en mettant fin aux contrats de près de 400 employés.
L’État gabonais a décidé de ne pas renouveler le contrat d’exploitation de l’aéroport de Libreville au groupement de sociétés francaises, EGIS-Aéroport de Marseille. Ce partenariat, qui a débuté en 1988, se terminera le 30 juin 2018. Une autre rupture unilatérale de contrat fait davantage polémique car elle est motivée par de graves accusations contre VEOLIA, entreprise française de services collectifs. L’État gabonais reproche à Veolia et à sa filiale gabonaise, la Société Energie et Eau du Gabon ( SEEG), des atteintes à l’environnement, un mauvais service rendu aux usagers de l’eau et électricité, un défaut d’investissement et de nombreuses plaintes d’usagers. Veolia dénonce ces accusations.
La résiliation du contrat avec Veolia a été brutale et les biens de la SEEG ont été réquisitionnés manu militari. La résiliation peu commune d’un partenariat public/privé vieux de 20 ans, comme celui avec Veolia, est hautement significatif. Pierre Gattaz, le patron des patrons français, a même demandé des explications pour cette brutale rupture qui sera soumis au Centre international des règlements des différends des investissements (CIRDI) de la Banque mondiale.
Le récent dépôt de bilan, début mars 2018, au tribunal de commerce de Poitiers, de l’entreprise française Rougier, spécialisée dans le négoce et la transformation des bois tropicaux, n’est pas lié à sa filiale gabonaise mais inévitablement le règlement judiciaire impactera également l’économie gabonaise, en termes d’emploi et de recettes fiscales. Dans la plupart des litiges commerciaux, la question du remboursement aux sociétés des avances de la TVA fait l’objet d’interprétations divergentes.
Dans ce contexte politico-commercial particulier, le départ de sociétés françaises illustre bien le décrochage de la présence francaise en Afrique. Cet effacement français, également perceptible dans de nombreux pays, suscite évidemment des convoitises de la part des conglomérats russes, chinois et de Singapour, déjà en approche à Libreville.
La fin des relations complaisantes de la France
Les réactions de plusieurs personnalités proches de François Hollande, à la réélection controversée d’Ali Bongo Ondimba d’août 2016, ont jeté un froid au Palais du bord de mer. L’Union européenne n’a pas cautionné la manipulation des urnes survenue dans le Haut-Ogoué.
La question des biens mal acquis de personnalités gabonaises ne contribue pas également à améliorer le climat entre les deux pays.
Les accusations de corruption portées contre l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba, Maixent Accrombessi et sa brève interpellation à l’aéroport de Roissy ainsi que les graves accusations de blanchiment et de détournement de fonds publics portées par Tracfin et le parquet national financier de Paris contre Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente inamovible depuis 26 ans de la Cour constitutionnelle, illustrent un changement d’époque. Le fils d’Omar Bongo est l’exemple type des chefs d’État africains devenus encombrants pour le président Macron. En revanche, les nouveaux présidents élus, comme le Libérien George Weah et le Ghanéen Nana Akufo-Addo apparaissent beaucoup plus fréquentables.
L’ambassadeur de France au Gabon, Dominique Rénaux, donne le change en déclarant que l’apaisement et le dialogue doivent présider à la négociation des conflits commerciaux en cours. S’il se félicite des relations privilégiées entre la France et le Gabon, il reconnaît néanmoins des « aspérités » dans ces relations. Son successeur, nommé par le président Macron, au début de l’été 2018, pourrait employer un langage moins diplomatique.
Sur la même thématique, d’autres articles de Mondafrique :