La succession de Mahmoud Abbas à la tète de l’Autorité Palestinienne en question

Alors que plus de 30 000 personnes ont péri dans la bande de Gaza selon le ministère de la Santé du Hamas, le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, a annoncé sa démission le lundi 26 février 2024. Entre immobilisme et perte de confiance auprès de sa population, l’Autorité palestinienne voit sa légitimité et son influence de plus en plus questionnée. Quels scénarios politiques peuvent être envisagés à l’issue de cette démission ? Quelles pourraient être les conséquences de cette décision sur une résolution du conflit à Gaza, pour l’heure difficilement envisageable ? Entretien avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS et un des meilleurs spécialisted du Moyen-Orient.


Le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a présenté sa démission à Mahmoud Abbas. Dans quel contexte s’inscrit cette démission ?

Nous sommes bien sûr avant tout dans un moment d’exacerbation des tensions entre Israël et le peuple palestinien. L’attention internationale est, à juste titre, concentrée sur la catastrophe absolue qui caractérise la situation à Gaza, mais le cours actuel des événements qui se déroulent en Cisjordanie ne doit pas être ignoré.

À Gaza tout d’abord, pour mémoire, ce sont certainement beaucoup plus de 30 000 victimes, dont une majorité de femmes et d’enfants, au moins 60 % des bâtiments détruits, une situation sanitaire qui se dégrade de jour en jour. Bref, tout ce qui constitue les fondements d’une vie en société annihilée. Ces données sont terribles et c’est dans ce contexte que, le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu un arrêt provisoire, juridiquement contraignant, intimant à l’ État d’Israël de prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir et réprimer le crime de génocide. Les autorités israéliennes, sourdes à cette exigence d’une autorité juridique internationale, veulent aller plus loin encore dans leur frénésie destructrice et menacent désormais d’une offensive contre Rafah, ville où s’entassent plus de 1,3 million de réfugiés. Le carnage serait alors à son comble.

En Cisjordanie ensuite, les colons les plus radicalisés tentent de profiter de la situation pour faire avancer leur projet annexionniste, affirmé et revendiqué, et les incursions militaires sont incessantes contre villes et villages palestiniens sous les prétextes les plus arbitraires. Dans le même mouvement le nombre de morts – on estime à près de 400 le nombre de victimes palestiniennes en Cisjordanie depuis le 7 octobre – ainsi que le nombre de prisonniers palestiniens ne cesse de s’accroître – 8 000 arrestations depuis la même date –. On se souvient qu’au mois de septembre Benyamin Netanyahou avait présenté à l’Assemblée générale de l’ONU la carte d’un futur Israël englobant l’ensemble de la Palestine. De la même façon, les ministres Bezalel Smotrich, Itamar Ben Gvir et quelques autres ne cachent pas leur projet annexionniste déniant toute perspective de création d’un État palestinien.


À l’heure où l’Autorité palestinienne est en perte de légitimité auprès de la population palestinienne, que traduit cette décision ? Contribue-t-elle à une perspective de « réforme » de cette dernière ? Comment cette démission a-t-elle été accueillie par la population ?

La décision est certainement l’une des conséquences des insistantes demandes de Washington de « revitalisation » de l’Autorité palestinienne pour soi-disant tenter de trouver les voies d’une résolution du conflit. Nous savons par ailleurs qu’au sein même du Fatah, le parti du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, des réunions informelles se sont tenues au Qatar entre cadres politiques palestiniens pour échanger sur les possibilités de succession de ce dernier. L’immobilisme et l’autoritarisme du chef, désormais âgé de 88 ans, semblent en effet de moins en moins supportés, et son silence remarqué depuis le 7 octobre interpelle de nombreux militants. Facteur aggravant, Mahmoud Abbas tente aussi de contrôler, pour s’opposer tant que faire se peut, les contacts qui se multiplient entre responsables du Fatah et du Hamas dans la perspective d’une réconciliation des factions palestiniennes.

Un des enjeux de ces contacts réside dans la perspective que le Hamas puisse enfin être intégré au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), cadre politique et organisationnel historique de la représentation politique du peuple palestinien. Un des premiers jalons pourrait être la désignation d’un nouveau Conseil national palestinien, parlement de l’OLP, censé représenter toutes les composantes du peuple palestinien et qui pourrait donc accueillir le Hamas. Se poserait ensuite la question du programme et des initiatives concrètes à prendre ou à soutenir. Dans ce cadre, la question de l’organisation de nouvelles élections législatives constituera un enjeu majeur car permettant potentiellement de rééquilibrer les rapports de force entre les différents courants politiques palestiniens, très certainement au profit du Hamas. Cette perspective, on s’en doute, n’a guère la faveur de Mahmoud Abbas et de ses proches. Pour autant leur marge de manœuvre est étroite tant ils sont désormais coupés des préoccupations de la population qu’ils sont censés représenter et, pire, souvent considérés comme des collaborateurs consentants des forces d’occupation israélienne.

C’est pourquoi la population palestinienne de Cisjordanie a accueilli dans une véritable indifférence la démission de Mohammad Shtayyeh car elle ne correspond nullement à ce stade à une réforme tangible de l’Autorité palestinienne, mais exprime plutôt une manœuvre de ses actuels dirigeants pour préserver leurs prérogatives.

 

Cette recomposition partielle de l’Autorité palestinienne aura-t-elle de réelles conséquences politiques, notamment à l’égard des perspectives d’après-guerre à Gaza et de la situation en Cisjordanie ?

On ne peut parler à ce stade de recomposition politique de l’Autorité palestinienne mais tout au plus d’une tentative de replâtrage dont les effets seront certainement quasi inexistants. Washington, qui désire « revitaliser » l’Autorité palestinienne, exerce de fortes pressions pour la constitution d’un gouvernement de technocrates susceptible de collecter une aide occidentale massive, de mettre en œuvre des réformes de fond, de procéder à la reconstruction de Gaza dévastée, voire de préparer de nouvelles élections. Mais ce schéma a de fortes probabilités de rester très théorique tant les dirigeants israéliens s’opposent à toute perspective de prise en main par les Palestiniens de leur propre destin.

Cela pose la question d’une hypothétique initiative diplomatique internationale pour éviter un tête-à-tête israélo-palestinien dont on sait par avance qu’il sera vain tant les rapports de force sont asymétriques entre les deux adversaires. En outre, le centre de gravité politique situé à l’extrême droite de l’actuel gouvernement israélien rend strictement impossible toute avancée digne de ce nom dans la satisfaction des revendications palestiniennes, c’est-à-dire en réalité l’application du droit international.

À la lumière de ces quelques paramètres, on comprend que le véritable enjeu n’est finalement pas de remplacer le Premier ministre démissionnaire par un technocrate falot qui aurait l’appui de Washington et l’aval de Tel-Aviv. Il s’agirait de pouvoir procéder à un changement politique radical et incarné par un responsable possédant d’une forte légitimité populaire. Le nom de Marwan Barghouti, emprisonné depuis 2002 en Israël, vient évidemment immédiatement à l’esprit. Ce serait en outre le seul susceptible d’unir les différentes factions palestiniennes sur un programme commun minimum. C’est justement pour ces raisons que les autorités israéliennes ne le libèreront probablement pas de leurs geôles.

On le voit nous ne sommes pas loin de la quadrature du cercle… mais l’exigence première reste encore et toujours celle du cessez-le-feu immédiat. Elle est vitale. Les scénarios politiques pourront ensuite, mais seulement ensuite, se mettre en place.

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