La conférence sur la gouvernance mondiale (WPC) organisée par l’Institut français des relations internationales (IFRI) a passé au crible le week-end dernier, à l’Emirates Palace d’Abou Dhabi, la montée en puissance de la Chine.
Abou Dhabi de Michel TOUMA
C’est dans le cadre de l’hospitalité émiratie que s’est poursuivie au fastueux Emirates Palace d’Abou Dhabi (Emirats arabes unis) la 14e session de la conférence internationale sur la gouvernance mondiale (World Policy Conférence, WPC), organisée – en dépit des contraintes dues à la Covid – par l’Institut français des relations internationales (IFRI). Près de 200 hauts responsables officiels, universitaires, experts et journalistes, venant des quatre coins du monde, ont participé à ces assises qui se sont poursuivies jusqu’au dimanche 3 octobre au soir.
Signe des temps : la place de plus en plus imposante qu’occupe la Chine sur l’échiquier international Hiroyuki Akita, chroniqueur de Nikkei (Japon), a notamment relevé, d’entrée de jeu, trois facteurs qui caractérisent désormais l’influence chinoise grandissante. Il a souligné à ce propos que la nature de la rivalité sino-US a changé récemment. Avant la pandémie, cette rivalité se manifestait essentiellement dans le domaine des technologies de pointe. Mais avec l’apparition du coronavirus, ce bras de fer a pris une tournure politique, en ce sens que les Etats-Unis ont accusé pratiquement le régime communiste chinois d’être responsable de la pandémie, plus spécifiquement aux Etats-Unis.
Le deuxième facteur qui caractérise la nouvelle rivalité sino-américaine se manifeste au niveau de la place confortable qu’occupe désormais la Chine à l’échelle internationale du fait qu’elle se trouve dans une meilleure position que les pays occidentaux, a affirmé M. Akita qui indique à ce propos que l’armée chinoise a considérablement renforcé son potentiel militaire, plus particulièrement au niveau de ses forces navales avec le développement de ses sous-marins et ses navires de guerre.
Enfin, la grande question qui se pose depuis un certain temps est de savoir que faire pour juguler ce déferlement chinois. Le Japon et l’Australie ont tranché leur position à ce sujet en misant sur une alliance avec Washington, souligne M. Akita. Cette option paraît cependant plus difficile pour les petits pays.
La grave erreur de la Chine
Se voulant plus lucide et moins défaitiste, Renaud Girard, grand reporter au quotidien français Le Figaro, a estimé de son côté que la Chine a commis « une grave erreur » en voulant s’imposer de manière prématurée sur la scène internationale. « La Chine a suivi une stratégie d’accommodement avec les puissances occidentales ainsi qu’avec certaines puissances asiatiques, dont notamment le Japon, a affirmé M. Girard. Elle a pratiquement acquis sa puissance technologique en tenant à l’égard de ces puissances le langage suivant, en substance : Nous n’avons pas beaucoup de moyens, aidez-nous. L’Occident a alors aidé la Chine à se développer, mais elle a tellement renforcé sa puissance qu’elle est devenue arrogante, ce qui n’est pas compatible avec le statut de puissance économique. Lorsqu’on bénéficie d’une puissance économique, on se montre humble ».
Pour M. Girard, « la Chine est sortie trop tôt du bois, et de ce fait, elle a raté l’occasion de consolider d’abord son emprise en Asie ». En cherchant de la sorte à s’imposer de façon prématurée, elle a suscité la crainte des pays d’Asie qui ont réclamé ainsi le soutien des Etats-Unis, a souligné le journaliste du Figaro, qui affirme dans ce cadre que « la Chine ne veut pas contrôler le monde, mais plutôt l’Asie ». « En sortant du bois trop tôt, ajoute-t-il, elle a commis l’erreur stratégique de faire peur aux pays d’Asie, ce qui a coupé court à toute possibilité de coopération régionale. Elle s’est aliénée de la sorte l’Australie et elle a perdu sur ce plan une manche avec l’Aukus (le pacte de sécurité pour la zone indo-pacifique conclu entre les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Australie). Il reste qu’elle n’a pas perdu la bataille car elle pratique la politique de la patience stratégique et attend que les Etats-Unis finissent par se lasser, et dans le même temps, elle mène une cyberguerre ».
Un point de vue coréen
La position, délicate, de la Corée du Sud dans un tel contexte a été exposée par Lee Hye Min, ancien ministre adjoint sud-coréen du Commerce, qui a d’abord relevé que 13 pour cent des exportations de la Corée du Sud sont destinées à la Chine. Il a indiqué en outre que les Etats-Unis et la Chine sont « deux partenaires indispensables pour la Corée du Sud afin de faire face à la Corée du nord ». « L’ordre international que nous prônons, a-t-il précisé, ne devrait pas être exclusif. La Corée veut rester un allié des Etats-Unis sans pour autant susciter l’ire de la Chine ».
Ce débat a été marqué par une intervention très remarquée (par vidéoconférence) de l’ancien Premier ministre d’Australie, Kevin Rudd, qui a notamment dressé un tableau de la politique interne en Chine, soulignant que le parti communiste chinois a opéré depuis neuf ans un net virage à gauche, ce qui s’est traduit par une répression contre toute contestation qui atteint même des aspects de la vie privée visant, entre autres, les homosexuels et les internautes. Cette orientation, indique Kevin Rudd, a évidemment des conséquences en matière de politique étrangère en termes de renforcement du sentiment nationaliste face au Japon ou les pays occidentaux. Sans compter, à l’évidence, la mise en place d’une politique d’expansion en direction de l’Afrique.