Qatar, le ministre des Affaires Étrangères fait la leçon aux talibans

Le Qatar, sans conteste l’un des pays qui a le plus d’influence sur les talibans, met en garde les nouveaux maîtres de Kaboul en affichant publiquement sa « déception » : « Ce à quoi nous assistons en Afghanistan est, malheureusement, très décevant : un certain nombre de mesures démontre une volonté de retour en arrière », vient d’accuser, jeudi 30 septembre, le ministre des affaires étrangères de l’émirat, Sheikh Mohammad Bin Abdulrahman Al Thani.

Le jeune et brillant ministre des affaires étrangères de l’émirat, Sheikh Mohammad Bin Abdulrahman Al Thani, qui possède des liens de parenté avec l’Émir, a su ces dernières années redonner une place au Qatar sur l’échiquier international.

Cette admonestation, faite à Doha lors d’une conférence de presse conjointe avec le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, n’est pas anodine : le Qatar ayant accueilli les négociations entre Américains et talibans qui ont abouti au retrait d’Afghanistan de l’armée des Etats Unis, la riche et minuscule principauté du Golfe persique jouit d’une relation privilégiée avec les « Etudiants en religion » ( taliban), au pouvoir à Kaboul depuis la mi août.

Alors que les institutions internationales et les USA ont gelé tout financement à destination de l’Afghanistan « talibanisé », la relation que le nouveau pouvoir entretient avec l’Etat gazier du golfe prend une importance toute particulière pour Kaboul, tant sur les plans diplomatiques qu’économiques. A la mi-septembre, M. Al Thani qui avait été la première personnalité étrangère à effectuer une visite dans la capitale afghane, y avait été reçu par le nouveau premier ministre taleb, le mollah Muhammad Hassan Akhund. 

« Nous avons essayé de faire valoir auprès des talibans la façon dont les pays musulmans peuvent appliquer leurs lois et se comporter à propos des questions liées à la place des femmes », a poursuivi le ministre qatari des affaires étrangères. Une déclaration en forme d’aveu d’échec. Le ministre n’a cependant pas hésité à faire la leçon aux talibans, allant jusqu’à prendre pour exemple son propre pays :  « notre système est un système islamique », a-t-il expliqué, « mais les femmes sont majoritaires parmi les fonctionnaires et à l’université »

Lors de l’évacuation de Kaboul, des réfugiés afghans ont été convoyés vers le Qatar par milliers. Des journalistes français de France 24 ou de l’AFP ont pu gagner Kaboul et en repartir grâce à la logistique qatarie

Des femmes battues par la police à Kaboul…

Le Qatar, qui tente de se mettre à niveau sur le rôle des femmes dans sa propre société – elles sont encore soumises à des contraintes sociales encore assez strictes, notamment en termes de mariages et de déplacements-, réagit à des dispositions précises décrétées par les talibans dès leur arrivée au pouvoir : dans certaines régions, les femmes ont été priées de rester à la maison ; des restrictions ont été imposées aux écolières de sexe féminin, notamment au niveau de l’éducation secondaire ; aucune femme n’a été nommée au sein du nouveau gouvernement afghan tandis que le ministère des affaires féminines a été tout bonnement supprimé. Lorsque des femmes ont osé descendre dans la rue pour protester contre leur condition, au lendemain de la prise de pouvoir par les talibans, certaines d’entre elles ont été battues par la police.

Le Qatar, où les Etats-Unis ont déplacé les diplomates en poste dans leur ambassade en Afghanistan après leur piteux retrait de Kaboul, fin août, doit donc naviguer à vue : allié à la fois de Washington et de Kaboul, il lui faut  se montrer intransigeant à l’égard des talibans tout en veillant à ne pas s’aliéner ces derniers et rester sur une ligne de crête consistant à tenter de les intégrer dans un jeu diplomatique élargi. C’est une diplomatie acrobatique où les Qataris depuis toujours savent se positionner à merveille

Inciter les talibans à donner des gages d’ « inclusivité », notamment à propos du sort réservé aux femmes, peut servir le Qatar de justifier la poursuite d’un engagement productif aux côtés d’un pouvoir de facto ostracisé par l’Occident.

Recevant fin août à Doha son homologue allemand Heiko Maas , le ministre Al Thani avait clairement affirmé la « doctrine » qatarie à propos des talibans : « Si nous commençons à poser des conditions [à une relation avec les talibans] et que nous mettons fin à notre volonté d’engager un rapport avec eux, nous allons créer un vide et la question sera alors, dans ce cas, qui va combler ce vide ? ». À l’époque, il n’avait cependant pas inclus explicitement les femmes à propos des « conditions » évoquées.

Le canal de communication russe

Le Qatar, s’il n’entend pas pour l’instant se fixer comme priorité une reconnaissance du gouvernement taleb, reste soucieux des conséquences qu’une isolation des nouveaux maîtres pourrait avoir en matière de terrorisme. Si les talibans demeurent les « protecteurs » d’Al Qaïda en Afghanistan – les combattants de l’organisation de Bin Laden restent liés aux « séminaristes » par un serment d’allégeance-, l’Etat islamique (EI) est leur ennemi et peut constituer à terme un adversaire dangereux. Comme l’a montré l’attentat à l’entrée de l’aéroport de Kaboul fin août, une action revendiquée par l’ « Etat islamique au Khorasan », la « franchise » de l’organisation terroriste en Afghanistan.

Pour l’heure, les seuls pays, outre le Qatar, à se montrer enclins à collaborer avec les talibans sont certains des voisins de l’Afghanistan : la Chine, qui lorgne sur les richesses naturelles du pays et espère que les talibans empêcheront des djihadistes ouïghours aller mener des actions dans la province chinoise à majorité musulmane du Xinjiang ; le Turkmenistan et l’Ouzbekistan, qui donnent des signes de bon vouloir ; la Russie, enfin, qui pratique une politique ambivalente mais garde un canal de communication permanent avec les talibans

Mondafrique avait rencontré voici trois ans le ministre qatari des Affaires Etrangères alors que le Qatar, mal aimé par l’admiistration du président Trump, devait faire face au blocus de ses « frères ennemis » émiratis et séoudiens

« Le leadership compulsif » de Mohamed ben Salman (MBS)