Vente d’armes, déploiement de troupes, recours à des sociétés de sécurité privées. Derrière la vaste offensive économique chinoise, le bruit des bottes se fait désormais entendre, ainsi qu’une inflexion perceptible de sa célèbre politique de « non-ingérence », alors que se réunit cette semaine le sommet Chine/Afrique
En 2017, à Djibouti, lorsque Pékin a inauguré sa première base militaire à l’étranger, beaucoup, au premier rang desquels les américains, s’en sont inquiétés. Il faut dire que le camp chinois n’est qu’à quelques kilomètres du camp Lemonnier, créé après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, et où stationnent quelque 4 000 marines. Certains sont impliqués dans des missions très secrètes, notamment des assassinats ciblés de drones au Moyen-Orient et dans la Corne de l’Afrique, et des raids au Yémen. Washington a aussitôt craint une surveillance chinoise de ces activités.
La marine chinoise sera bientôt la première du monde, devant les États-Unis. De fait, « la base de Djibouti constitue un énorme développement stratégique », selon Peter Dutton, professeur d’études stratégiques au Naval War College de Rhode Island : « C’est l’expansion de la puissance navale pour protéger le commerce et les intérêts régionaux de la Chine dans la Corne de l’Afrique, c’est ce que font les pouvoirs expansionnistes. La Chine a tiré des leçons de la Grande-Bretagne il y a 200 ans », a-t-il expliqué au New York Times en 2017. La base de Djibouti faciliterait aussi le transfert d’armes chinoises, disent les experts.
L’Algérie en tète
Les ventes d’armes chinoises aux pays africains ont été multipliées par trois sur la période 2008-2019 par rapport à la décennie précédente. Bon marchés, les équipements militaires chinois ont de plus en plus d’acquéreurs sur le continent, depuis les armées régulières jusque dans les rangs des groupuscules terroristes et rebelles.
Ainsi des hélicoptères Z-9 en Zambie, mais aussi des lance-roquettes WS-1 dans l’armée soudanaise ou encore des missiles anti-chars Red Arrow-73D chez les voisins du Soudan du Sud et du Darfour. L’Algérie est le premier client africain de la Chine, devant la Tanzanie, le Maroc et le Soudan. Suivent le Nigeria et le Cameroun. Mais « plusieurs États africains sont également les destinataires d’armes légères et de petit calibre chinois, bien que le volume de ces transferts soit absent des statistiques publiques. La Chine s’est opposée à l’inscription de ces armes au Registre des armes classiques des Nations Unies », expliquent les chercheurs Mathieu Duchâtel, Richard Gowan et Manuel Lafont Rapnouil, dans une note de 2016, « Into Africa : Chinese global security shift » (European Council on Foreign Relations, ECFR).
Selon les chiffres du Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), compilés par Mondafrique, avec 3,278 milliards de dollars entre 2008 et 2019, le volume des ventes chinoises reste loin de celui des Russes, premier vendeur d’armes en Afrique avec 15,775 milliards de dollars sur la même période, mais se rapproche du niveaux des États-Unis, deuxième marchand sur le continent avec 5,667 milliards de dollars sur la décennie étudiée.
Pour Andrew Hull et David Markov, de l’Institute for Defense Analyses (IDA), la bascule se situe vers 2010, année où le salon African Aerospace and Defense (AAD) organisée en Afrique du Sud tous les deux ans a accueilli pour la première fois une représentation chinoise importante, avec une dizaine de sociétés sur un pavillon national de 1200 mètres carrés.
Des formations militaires
La présence militaire de la Chine ne se traduit pas seulement par la vente d’armes. « La Chine dispense une formation aux militaires nigérians et camerounais pour leurs opérations contre Boko Haram, et soutient la mission de l’Union africaine contre Al Shabaab en Somalie », lit-on encore dans la note de l’ECFR.
Le chercheur He Wenping, repris dans la note de l’ECFR citée plus haut, dit que « les évènements libyens et soudanais, en 2011, où des ressortissants et des entreprises chinoises ont été pris au dépourvu par des conflits armés meurtriers, ont amorcé le changement de politique africaine de la Chine.