Centrafrique, Vladimir Poutine maître du jeu de la conférence de Khartoum

Le jeudi 24 janvier 2019, s’est ouvert à Khartoum, un nouveau processus des pourparlers pour la paix entre les autorités centrafricaines et les groupes armés qui revendiquent « administrer » plus des trois-quarts du pays.

Cette énième tentative de retour à la paix qui se joue à Khartoum est singulière. Elle se déroule chez le proscrit international Omar Al-Bechir, qui doit faire face à un vent de révolte dans son pays. Cette fois-ci c’est la Russie qui  est à la manoeuvre, même si la Feuille de route de l’Union africaine sert officiellement de support officiel. Peut-on s’attendre à  la fin de la crise centrafricaine avec ce nouveau scénario, alors que le statu quo arrange tellement de parties prenantes et que les derniers événements dramatiques laissent peu d’espoirs ? 

A la suite d’une réunion du 9 janvier 2019, au Palais de la Renaissance de Bangui, l’ONU, par la voix de Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint de l’ONU et chef des Opérations de maintien de la paix, l’Union africaine représentée par Smaïl Chergui, l’Union européenne et la France ont accepté la proposition du président Touadera de tenir des pourparlers de paix à Khartoum. Il va de soi que la Russie était derrière ce choix qui n’était pas, à l’évidence, celui de la France et de l’Union africaine.

La mainmise du conseiller politique russe

Sans ce soucier, le moins du monde, de la Feuille de route de l’Union africaine, la Russie, par l’intermédiaire et la présidence de Valery  Zakharov, conseiller politique de Faustin-Archange Touadera, avait organisé à Khartoum, le 28 août 2018, une réunion de « facilitation » avec les trois plus importants chefs rebelles, alors même que l’Union africaine organisait à Bouar, le même jour, une réunion avec la plupart des groupes armés, sans évidemment les trois principaux seigneurs de la guerre du pays, présents à Khartoum. Quoiqu’il dise, le président Touadera avait bien autorisé cette réunion de Khartoum et reconnu sa primauté sur celle de Bouar. Le Kremlin avait dépêché un diplomate de haut rang afin de valider la « Déclaration d’entente  » signée par Nourredine Adam, chef du Front populaire pour la renaissance de la  Centrafrique ( FPRC), Ali Darass, leader de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), Mahamat Al-Khatim, chef du Mouvement patriotique en Centrafrique (MPC) et le chef d’une mouvance anti-balaka, Maxime Mokom.

L’emprise russe sur la préparation de Khartoum 2

L’emprise de la Russie sur cet énième processus de sortie de crise est sans faille. L’ONU, l’Union africaine, sans parler de la France, devenue quasiment inaudible, sauf pour réagir aux multiples attaques anti-françaises dans certains médias, ne peuvent que constater et accompagner la stratégie russe. Évidemment, les autorités centrafricaines de Bangui, les mouvements rebelles, qu’ils soient issus de l’ex Seleka ou de la nébuleuse anti-balaka, ne cessent de proclamer que seule la Feuille de route de l’Union africaine doit guider les pourparlers. Les bisounours onusiens et français le croient encore. Quant à la Commission de l’Union africaine, elle n’est pas dupe, à l’image de son président, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, qui a pu constater, à plusieurs reprises, le double jeu permanent du président centrafricain, dans les mains de son premier cercle pro-russe.


Quelques jours avant le début des pourparlers de Khartoum, des émissaires russes ont organisé à Bria, les 19 et 20 janvier 2019, une réunion avec les trois principaux chefs rebelles, déjà présents à Khartoum le 28 août 2018. Nourredine Adam, Ali Darass et Mahamat Al-Khatim, sur lesquels la Russie semblent beaucoup s’appuyer. Les chefs rebelles ont probablement fait part de leurs positions peu conciliantes et de leurs surenchères depuis août 2018.


 En effet, la crise centrafricaine s’est notablement aggravée depuis novembre 2018. Les Centrafricains ont tous en mémoire les événements tragiques d’Alindao, de Bakouma, de Bambari, d’Ippy qui se situent dans la zone orientale du pays, contrôlée notamment par le FPRC et l’UPC, parfois coalisés mais souvent concurrents. Le traquenard posé par les hommes d’Ali Darass (UPC) à Bambari, a conduit le président Touadera a annulé, à la dernière minute, la Journée nationale de l’Alimentation qui devait montrer la réussite de sa politique de réconciliation et l’efficacité de la médiation russe. Ce raté retentissant a de nombreuses conséquences.

Outre les nombreuses victimes et la fuite peu glorieuse des autorités banguissoises, peu habituées à vivre le cauchemar de la population, la réaction robuste des commandos portugais de la Minusca, a montré les limites du projet russe et l’importance du recours à la force légitime. L’échec de la Journée nationale de l’alimentation est aussi un peu celui de la tentative de réconciliation nationale. La réunion de Khartoum du 24 janvier 2019 ne pourra probablement pas débuter dans un climat apaisé, au grand regret du conseiller Valery Zakharov.

Partition ou fédération ?

La partie orientale de la Centrafrique sera surtout l’enjeu des pourparlers de Khartoum. Les autorités officielles et la très grande majorité des Centrafricains rejettent la partition du pays, comme ce fut le cas pour le Soudan. Omar Al-Bechir pourrait apporter son témoignage sur une éventuelle telle issue. On voit mal cette hypothèse se réaliser. La situation en Centrafrique ne ressemble guère à celle de l’ex Soudan ou de l’Éthiopie avant la sécession de l’Érythrée. 
La Fédération de Russie pencherait plutôt pour un État fédéral qui pourrait éventuellement mieux intégrer les sept Régions du pays. De surcroît, les Russes ont une bonne expérience des États fédérés du Soudan. Néanmoins, ils auraient beaucoup de difficultés a démontrer leur influence bénéfique au Darfour et le bienfait d’une telle organisation de l’État. Depuis 2003, la guerre ravage les cinq États fédérés de cette region, si semblable à celle des deux Régions administratives du Nord-Est et du Sud-Est de Centrafrique.

On recommence avec les mêmes acteurs

 Les pourparlers devraient être longs, aussi le calendrier jadis proposé par l’Union africaine paraît irréaliste. Évidemment, cela peut prendre quelques jours et le retour au pays sera salué de tous côtés. Ce fut le cas pour la dizaine d’accords de paix et de réconciliation nationale signés depuis l’Accord de Syrte en 2007, sous l’égide de Mouammar Khadafi. Quasiment les mêmes protagonistes à ces négociations sont toujours bien présents. Le problème n’est-il pas surtout là ?