Centrafrique, guerres secrètes entre Français et Russes à Bangui

Les Russes et les Français se livrent en Centrafrique (RCA) une guerre d’influence féroce, dont témoigne la toute récente arrestation d’un agent de sécurité français, Juan Rémy Quignolot, présenté par certains medias orientés de Bangui comme un dangereux barbouze.

Un article d’Eric Laffitte

Le Français Juan Rémy Quignolot, lors de son arrestation et de sa présentation à la presse.

Facebook publie tous les mois un rapport sur les tentatives de manipulation de l’opinion sur son réseau. Ce 10 mai tombait le rapport d’avril. En tête de gondole y figure un chapitre réservé à la Centrafrique où la guerre informationnelle fait rage maintenant depuis des mois entre Moscou et Paris.

Facebook annonce avoir ainsi supprimé pas moins de 46 comptes Facebook, 32 pages, et six comptes Instagram, et ceci « pour avoir enfreint notre politique contre les comportements coordonnés inauthentiques », selon le jargon du réseau social.

Guerre de tranchée sur les réseaux sociaux

 Concrètement, sous couvert d’une ONG centrafricaine – ANA – Facebook met en évidence une vaste entreprise de désinformation des medias contre la France et ceci, peut-on lire dans le rapport, « bien que les personnes derrière elle aient tenté de dissimuler leur identité et leur coordination (…) Cette organisation et ses entités sont désormais bannies de Facebook »(1.

Le rapport précise encore les moyens non négligeables dont disposait ce réseau célébrant l’action des Russes en RCA et diabolisant la France peu ou prou accusée d’ourdir un coup d’Etat pour renverser le Président Touadera : « 148 000 comptes ont suivi une ou plusieurs de ces pages », et pour ce faire d’user d’un budget publicitaire conséquent « d’environ 11 000 dollars, payés en dollars américains et en euros » pour assurer sa diffusion.

Dans de précédents rapports, Facebook avait mis en évidence que Paris recourrait en RCA à des pratiques identiques.On tient ainsi une idée assez précise de l’état des relations franco-russes en Centrafrique.

 

Valery Zakahrov, conseiller russe à la sécurité de la République centrafricaine.

Valery Zakahrov : l’œil de Moscou

Mais ce même 10 mai, Valery Zakahrov, conseiller à la sécurité du Président Touadera et nouvel homme fort à Bangui, témoignait qu’il savait aussi être économe des finances de son pays. C’est d’un simple Tweet qu’il commentait la grande nouvelle de la journée. Ainsi : « Un citoyen étranger a été arrêté à Bangui aujourd’hui avec une énorme quantité d’armes et de munitions. Une enquête est en cours et les circonstances sont à clarifier ».Un monument de sobriété donc, mais qui masque tout de même mal la satisfaction de vivre une belle journée.

Valery Zakahrov est en effet bien le seul à Bangui à ne pas mentionner la nationalité du « mercenaire français » arrêté quelques heures plus tôt dans la capitale et au domicile duquel l’Office Centrafricain de Répression du Banditisme (OCRB) devait saisir un impressionnant stock d’armes, soit plusieurs fusils de guerre et de nombreuses munitions.

Une arrestation à laquelle avait été conviée la presse en nombre. S’en est suivi très naturellement un embrasement des réseaux sociaux où tour à tour se dessinait le projet d’assassinat par les Français du Président Touadera, ou, variante, celui d’un coup d’Etat au profit de Bozizé.

Selon le procureur général qui a pris part à la perquisition, le suspect se faisait passer pour un journaliste  dont témoignerait une camera Go pro dans sa voiture, mais serait aussi connu pour avoir pris part en 2013 à la formation (militaire) des Seleka, soit la coalition musulmane qui combattait Bozizé…

Une saisie spectaculaire composée d’un bric à brac d’armes et de munitions.

 Du portrait dressé du mercenaire, on retient donc un homme présent sur le territoire centrafricain depuis huit ans, « bien connu des services » centrafricains mais se faisant passer pour journaliste, tout en se livrant notoirement à l’instruction militaire de groupes rebelles au kilomètre 5 (le quartier musulman de Bangui).

On a vu des couvertures de « putschistes » plus sophistiquées.

De fait, l’arsenal exhibé devant son domicile, un bric à brac d’armes diverses, qui paraît à l’œil impressionnant, de nature à faire le coup de feu mais en aucun cas à monter quelques coups d’Etat ou d’actions militaire d’envergure.

Un Mercenaire qui tombe à pic

Selon son passeport délivré en février 2017 par l’ambassade de France à Bangui et exhibé devant les caméras, le suspect est donc bien français et se nomme Juan Rémy Quignolot.

Né à Tunis en 1966, il est âgé de 55 ans et des visas sur son passeport paraissent établir aussi des séjours au Mali.Selon les informations recueillies par « Mondafrique », il n’apparaît pas spontanément comme un « chien de guerre » notoire dans le petit milieu africain des mercenaires où on le déclare spontanément « inconnu au bataillon » des affreux.

Certes il est des vocations tardives.

C’est toutefois un ancien militaire, et plusieurs sources rapportent qu’il a travaillé souvent en RCA pour assurer la protection d’un certain nombre d’ONG. En Centrafrique, où sévit la guerre civile depuis dix ans, il est clair que la sécurité s’exerce dans des conditions différentes de la surveillance de Decathlon en région parisienne.

Il apparaît aussi que l’ancien militaire a notamment travaillé pour Sécurity Power, qui a longtemps régné sur le marché de la sécurité en Centrafrique, lorsque les relations étaient bonnes entre Bangui et Paris.

Des mercenaires russes du groupe privé Wagner

Troupes de marine

L’ADN de Security Power est celui des troupes de marine. Son fondateur, Philippe Marconnet, est un ancien colonel de cette troupe d’élite de l’armée française. Il est encore conseiller du commerce extérieur de la France.L’actuel DG de la boîte est également un ancien du 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine.Bref, certainement pas actuellement la meilleure carte de visite auprès du pouvoir en place, et de son vigilant conseiller à la « Sécurité Nationale », Valery Zakahrov.

Il y a 15 jours, RFI dans une enquête très documentée, révélait les exactions du contingent russe (500 hommes) et surtout de ses supplétifs les mercenaires du groupe Wagner, plus d’un millier d’hommes.Un inventaire à la Prévert : usage excessif de la force, arrestations arbitraires, viols collectifs et meurtres.

Un article qui avait eu un très fort retentissement et contraint l’ambassade russe à Bangui à réagir.Celle-ci dénonçait alors des « spéculations » et invitait RFI comme ses sources « à se focaliser sur l’investigation des crimes commis par les mercenaires des groupes armés. Notamment les atrocités de la CPC ». Elle incitait enfin « à mener une investigation impartiale » pour retrouver « qui sont leurs parrains et qui leur fournissent des armes ».

C’est peu ou prou ce dont est accusé médiatiquement – aujourd’hui – Juan Rémy Quignolot, lequel n’est semble-t-il à ce jour poursuivi que pour une simple détention illégale d’armes.

La réponse du berger à la bergère ?

(1) L’ANA est par ailleurs une ONG singulière puisqu’elle milite en faveur de la suppression de l’embargo sur les armes décidé par les Nations Unies en RCA. Un embargo dont la levée est aussi instamment réclamée par Moscou.