Centrafrique, des relations tendues avec l’ONU

Depuis la fin de l’année 2019, les relations entre les autorités de Bangui et l’ONU, via la Minusca, se tendent dangereusement. Sur fond de préparation la prochaine élection présidentielle qui devrait avoir lieu dans dix mois.

La Minusca, toujours aussi critiquée en Centrafrique, a néanmoins sensiblement élevé ses niveaux d’intervention

Depuis l’accord signé à Bangui, le 6 février 2019, les avancées sont surtout constatées du côté du pouvoir exécutif et beaucoup moins du côté des groupes armés. Les violences ont certes baissé en intensité et en localisation, mais le retour à la paix et à la réconciliation nationale est encore loin. La situation reste préoccupante.

Dans le nord-est, les combats entre les Rounga du FPRC et le MLCJ, composé majoritairement de Kara et de Goula ravagent la Vakaga. Dans le sud-est, l’UPC contrôle une région, de plus en plus vaste, sous l’autorité d’Ali Darass, toujours bien en cour à Bangui. Dans le nord-ouest, les pics de violence n’ont pas disparu, au grand désespoir de la population.

La Minusca, toujours aussi critiquée, a néanmoins sensiblement élevé ses niveaux d’intervention en utilisant des actions robustes, comme dans le conflit armé de la Vakaga ou dans le 3ème arrondissement de Bangui qui était une zone de non-droit. Elle est davantage proactive avec ses 13 000 militaires et policiers.

Néanmoins, la tâche de sécurisation du territoire national, avant les élections de décembre 2020, s’annonce de plus en plus difficile. S’il n’est donc pas surprenant que la Minusca rencontre une hostilité grandissante de la part de certains groupes armés, en revanche, celle venant des autorités de Bangui, peut interpeller.  

L’ONU va s’impliquer dans le processus électoral 

Par la Résolution n°1499 du 15 novembre 2019, le Conseil de sécurité de l’ONU a prorogé le mandat de la Minusca jusqu’au 16 novembre 2020. Le sera-t-il encore pour les élections présidentielle, législatives et locales, prévues fin 2020-début 2021 ? Normalement, la Minusca devrait poursuivre sa mission d’autant qu’elle est désormais chargée d’apporter un soutien opérationnel, logistique, technique et sécuritaire au processus électoral. Pourra-t-elle garantir des élections aussi démocratiques que possibles ?  Sa mission s’avèrera d’autant plus difficile qu’elle pourrait bien déranger les  » spécialistes en élection » du camp présidentiel.

Il ne faut donc pas s’étonner que désormais les mises en cause de la Minusca se multiplient, peut-être afin d’affaiblir ses capacités d’intervention.

L’embargo controversé sur les armes

 Le président Touadera n’avait pas ménagé sa peine pour demander la levée de l’embargo sur les armes qui serait, selon lui, un frein au retour de la paix, balayant ainsi le rôle majeur de la Minusca. 
 Le Conseil de sécurité n’a pas suivi la requête centrafricaine, en dépit du lobbying de la Russie. Un assouplissement a néanmoins été accordé, jusqu’au 31 juillet 2020. Les dérogations portent notamment sur certaines armes non létales et des véhicules blindés. En dépit de ces concessions du Conseil de sécurité, les médias proches de la Présidence et à la solde de la Russie, multiplient des articles hostiles envers l’ONU et la France, tenue responsable de l’embargo, qui seraient  » coupables d’entretenir une déstabilisation du pays ». Très curieusement, on retrouvait jadis les mêmes accusations sans véritables preuves et la même hostilité envers l’Opération des Nations-Unies en Côte-d’Ivoire (ONUCI), en 2009-2011, avant et surtout après la défaite électorale de Laurent Gbagbo, habile tacticien, qui était surnommé, par feu l’ancien président Gueï,  » le boulanger tant il a roulé tout le monde dans la farine ».

La perte du droit de vote à l’Onu

Ayant accumulé des arriérés de paiement équivalents au montant des contributions dues pour deux années, la République centrafricaine s’est vue notifiée, conformément à l’article 19 de la Charte de l’ONU, une privation de son droit de vote avec pour conséquence sa marginalisation dans les instances onusiennes. Cette décision, due à l’incurie chronique des autorités de Bangui, a contribué à mobiliser davantage les thuriféraires du régime contre l’ONU et, in fine, contre la Minusca. Comme à Abidjan, en 2010-2011, l’ONU semble devenir à Bangui, un bouc émissaire tout désigné. Le porte-parole de la présidence ne vient-il pas de déclarer que la Centrafrique a perdu la confiance en la Minusca et revient publiquement sur de graves accusations portées contre plusieurs de ses responsables.  

Les attaques personnelles contre la Minusca

Depuis le début de l’année 2020, la ministre des Affaires étrangères, Sylvie Baïpo-Temon, joue un rôle qui semble peu en rapport avec ses fonctions et surtout avec ce que son pays est redevable envers l’ONU. Que ce soit dans les salons du Palais de la Renaissance, voire même dans des meetings populaires, on peut constater que la ministre ne cache plus sa proximité avec le Mouvement des patriotes centrafricains pour la paix. La ministre Sylvie Baïpo -Temon s’affiche, sans la moindre retenue, avec ce mouvement de la jeunesse, émanant du parti présidentiel, qui se distingue par des attaques violentes contre la Minusca. Des activistes anti-occidentaux, comme l’agitateur Ivoirien Harouna Douamba, sont aussi à la manœuvre, tout en arpentant les couloirs de la présidence. Ces « patriotes » qui rappellent ceux, tristement célèbres, de Blé Goudé en Côte d’Ivoire ont lancé des manifestations d’hostilité contre trois responsables importants de la Minusca et un de ses agents. Avec véhémence, ils organisent des manifestations pour réclamer leur expulsion. 


La ministre Baïpo-Temon, réputée pour être russophile, a repris ces mots d’ordre pour adresser officiellement, le 17 février 2020, une note diplomatique déclarant  » personae non gratae » les quatre membres de la Minusca, avec un délai d’une semaine pour s’exécuter, faute de quoi, ils perdraient leur immunité diplomatique et s’exposeraient à la justice centrafricaine. Les motifs se résument en une phrase sibylline  » agissements antinomiques au code de bonne conduite ». Les allégations vont du trafic d’armes aux actions de déstabilisation en passant par le soutien aux groupes rebelles. Il va de soi que l’ONU est restée de marbre devant ces attaques, non documentées par des faits précis et des preuves irrefragables. Quant aux diplomates en poste à Bangui, leur réaction peut-être résumée par l’expression prêtée à l’un d’entr’eux  » Ils sont vraiment extraordinaires ces Centrafricains ! ».

On constate que les trois responsables de la Minusca, soupçonnés d’ingérence et de complot contre la sûreté de l’État centrafricain, sont par leur fonction politique et de coordination parmi ceux qui connaissent le mieux la situation du pays, les relations avec les groupes armés, voire le rôle des conseillers russes. Leur départ immédiat serait probablement très préjudiciable pour la Minusca, dans sa nouvelle mission relative au processus électoral. Là aussi, on peut se rappeler qu’en 2010-2011, Laurent Gbagbo et ses proches avaient gravement mis en cause des responsables de l’ONUCI et réclamé leur expulsion. Le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU et chef de l’ONUCI, le Sud-Coréen Choi-Young-Jin, avait tenu bon et l’ONU n’avait jamais cédé devant ces menaces et ces voies de fait.

Evidemment, les contextes de la Centrafrique d’aujourd’hui et de la Côte-d’Ivoire de 2009-2011 sont très différents. Néanmoins, on ne peut ignorer que des activistes pyromanes proches de chefs d’État, même si ceux-ci sont de brillants universitaires, peuvent avoir un rôle déterminant dans le déclenchement d’une désunion nationale, précédant ou suivant des élections qui, dans certaines situations, ne peuvent être ni transparentes ni pacifiques.