Loi de finances algérienne : l’opposition dénonce un « banditisme » d’Etat

« Je suis un bandit au service d’un gouvernement de bandits », a déclaré un ministre en exercice au cours d’une violente session de l’Assemblée pour l’adoption de la nouvelle loi de finances.

8 décembre, Alger, boulevard Zighout Youcef, plus communément appelé « Front de mer ». Un alignement quasi parfait d’immeubles haussmaniens construits par la France, à l’origine pour cacher la vieille Casbah, enfouie derrière. Ces parallélépipèdes bien découpés dans le ciel bleu abritent aussi l’Assemblée Nationale, conglomérat interlope de politiques, d’affairistes et de lobbyistes de tous types où le FLN est majoritaire, même s’il n’a récolté que 7% des inscrits lors des dernières législatives.

Bataille à couteaux tirés

A l’extérieur ce jour-là, un dispositif sécuritaire spécial a été mis en place. Rien à voir avec le niveau d’alerte rehaussé dans la ville pour cause d’attentats probables de Daesh. Non. A l’intérieur, l’auguste aréopage d’élus de la nation algérienne est en pleine bataille rangée. Interdits de tenir une conférence de presse pour contester la nouvelle loi de finances, des députés de l’opposition ont fait rentrer les journalistes empêchés d’accéder à l’Assemblée et ont forcé des portes pour tenir leur meeting devant la presse.

Djelloul Djoudi, chef du groupe parlementaire du Parti des Travailleurs (PT), parle sans ambages d’une « continuité du coup d’État du 30 novembre dernier », évoquant des « méthodes de gangsters » et de « banditisme. » Mais que s’est-il passé le 30 novembre ?

L’implosion du régime social

Le 30 novembre dernier, une session houleuse est programmée. Il s’agit de faire passer la nouvelle loi de finances, qui inclut des hausses de prix, une baisse drastique des subventions étatiques et l’ouverture à la privatisation de toutes les entreprises publiques. Traditionnellement de gauche, même si ce terme ne veut plus dire grand-chose, l’Algérie a toujours été adepte d’une relative répartition des richesses et d’un contrôle de l’état sur l’économie, qui consacrait alors près de 15% du PIB aux dépenses sociales, cinquième budget de la Nation.

L’opposition est évidemment contre cette loi et elle le manifeste bruyamment, les députés du PT, d’obédience trotskyste, sont en première ligne. Invectives, agressions et altercations jusqu’à en venir aux mains. Sûr de lui, le régime compte sur le FLN du milliardaire Saïdani et le RND d’Ahmed Ouyahia, par ailleurs chef de cabinet de la Présidence, pour faire passer la loi. L’opposition sent le coup arriver et bloque le vote, créant intentionnellement de la pagaille. C’est dans cette cohue que le ministre de la jeunesse et des sports, présent sur les lieux du crime, enfonce le clou. Selon les députés du PT, il déclare : « je suis un bandit, au service d’un gouvernement de bandits. » C’est dit. Les députés de l’opposition se retirent et le texte passe. Avec à la clé les pauvres qui trépassent et l’oligarchie qui se surpasse.

Menaces systémiques

Malgré une relative politesse du président Bouteflika à son arrivée comme chef d’état en 1999, les mœurs ont rapidement dégénéré, le président lui-même, affaibli, ne se souciant plus de rehausser son image ou celle du pays. En novembre 2015, au moment où un caricaturiste est condamné à de la prison ferme à cause d’un dessin sur le gaz de schiste et le président en fauteuil roulant coincé dans un sablier, les méthodes se corsent.

D’abord Hamid Grine, ministre de la communication, qui convoque les annonceurs privés pour leur conseiller de ne plus alimenter les deux quotidiens El Watan et El Khabar, premiers relais de l’opposition. Ensuite Abdeslam Bouchouareb, tout puissant ministre de l’économie et pressenti en remplacement du premier ministre Sellal, fait la même chose, ciblant cette fois le journal en ligne TSA, menaçant les annonceurs de redressements fiscaux. Dernière en date, le ministre des finances, Abderrahmane Benkhalfa, en charge donc de la loi contestée, menace directement au téléphone Abderrahmane Mebtoul, un économiste indépendant et critique.

Corruption généralisée

Des méthodes qui en disent long sur le mode de gouvernance, comme jamais depuis l’indépendance. Un nombre impressionnant d’hommes très louches se retrouvent dans le premier cercle des décideurs. Plusieurs ministres sont impliqués dans des scandales de corruption et ne sont jamais appelés à témoigner dans les affaires de justice liées à leurs secteurs. L’impunité est reine comme l’explique un ex-ministre : « quand on est nommé par Bouteflika, on peut faire ce qu’on veut. »

Seule exception à cette règle : critiquer le président. Un affront qui vaut des mesures de rétorsion de la part du chef suprême, qui préfère encore un voleur loyal qu’un honnête homme incontrôlable. Mais au moment où des officiers militaires sont emprisonnés ou sous contrôle judiciaire, les civils de haut rang restent impunis, très loin de la dictature militaire des années 70. Ce qui a fait dire à Saïdani, patron du FLN et chef de file de la majorité à l’Assemblée, en clin d’œil au limogeage du général Toufik et la récente lettre qu’il a diffusée : « cette époque où le pouvoir se cachait derrière un rideau est révolue puisqu’aujourd’hui le Président a toutes les prérogatives. »

Sauf que depuis, l’indice de corruption de Transparency International a bien reculé. Pour 2014, l’Algérie a eu une note de 3.6/10, correspondant à la 100ème place mondiale sur une liste de 175 pays les moins corrompus. Derrière la Tunisie et l’Egypte, et surtout le Maroc.

La dernière bataille de Louisa Hanoune

Mais qui est l’opposition ? Comme la majorité au pouvoir, c’est un ensemble hétéroclite et mouvant, dans lequel on trouve des Kabylo-démocrates du FFS d’Aït-Ahmed et du RCD de Saïd Sadi, les islamistes de « L’Alliance verte » (non, ils ne sont pas écolos), le parti de Ali Benflis, ex-chef du gouvernement et candidat malheureux à la dernière élection présidentielle, le nouveau groupe des 19, et le nouveau groupe informel d’anciens ministres et de d’indépendantistes de la guerre de libération.

Et bien sûr en première ligne, Louisa Hanoune, chef inamovible du Parti des Travailleurs. Alliée à l’origine au le président Bouteflika, dont elle a soutenu la candidature pour son 4ème mandat en passant toute la campagne à fustiger l’opposition, elle a changé de cap, s’attaquant ouvertement à « l’oligarchie et le pouvoir parallèle qui dirige le pays », puis au « clan présidentiel », incluant le frère du président, pour finir par s’en prendre au chef de l’état lui-même. « Lorsqu’on est diminué par la maladie et qu’on ne peut pas se déplacer, on devient tributaire des autres. » avait-elle osé déclaré.

Allant plus loin, elle accuse « ceux qui servent les intérêts étrangers, notamment français », d’avoir rédigé cette loi de finances, dénonçant « une totale dépendance à la France », jusqu’à affirmer que « nous savons qu’il y a des velléités de ramener EDF et GDF à Sonelgaz (la compagnie publique algérienne d’électricité et de gaz). Des attaques violentes, qui renseignent sur le climat actuel, où tout peut rapidement dégénérer. Pour l’Algérie, novembre est un mois très symbolique et Lakhdar Benkhellaf, chef du groupe parlementaire d’opposition El Adala, souligne un « renoncement clair à la souveraineté nationale » dans cette loi de finances. « Le 1er novembre (en 1954), la guerre de Libération du pays s’était déclenchée. Le 30 novembre (cette année) est la date de la vente de ce pays. »