Le dernier espoir de sauver la Samir, fleuron du raffinage marocain

La plus grande raffinerie du Maroc, en sommeil depuis 2015, est plus proche de la fermeture que de la relance, comme le regrettent quatre partis politiques marocains parmi les plus influents.

Un long attentisme a caractérisé le gouvernement marocain, incapable de reprendre ou de revendre la Samir, la raffinerie la plus moderne du continent africain. Du coup, le groupe, à l’abandon, a perdu une part considérable de sa valeur. Même le coût d’une éventuelle remise en marche de la raffinerie devient de plus en plus élevé. Le gâchis est total.

Le sauvetage de la Samir est-il encore possible? Les initiatives des partis politiques se multiplient pour débloquer la situation. C’est au tour du parti de l’Istiqlal , le mouvement historique né pendant les années de l’indépendance, d’introduire une proposition de loi visant la cession de cette compagnie de raffinage à l’Etat. Ce texte a été transféré à la Commission des finances le 18 février dernier. Trois autres groupes politiques sont montés au créneau pour sauver eux aussi la raffinerie

Avant de discuter de grands principes, comme celui de l’intervention, même temporaire, de l’État – ce qui serait encore préférable à l’immobilisme – les parlementaires seraient fondés à désigner parmi eux les membres d’une commission d’enquête parlementaire et à solliciter, à l’avenir, l’avis d’économistes compétents en matière d’énergies fossiles et renouvelables. Nonobstant la sentence arbitrale tant attendue et à supposer que la raffinerie « reste sur le carreau », le gouvernement marocain ne ferait pas une erreur en mandatant un grand cabinet-conseil de fusion et acquisition rompu à ce genre de situation.

Mondafrique a interrogé l’homme d’affaires et spécialiste du pétrole, Xavier Houzel, qui a défendu une reprise de l’outil de raffinage portée par deux poids lourds de l’Industrie pétrolière mondiale. Plus récemment, cet expert a proposé une offre ferme de location des bacs de stockage de la SAMIR. Autant de propositions qui ont été, pour l’instant, écartées.

Nicolas Beau

Xavier Houzel

Mondafrique. Est-ce que vous croyez qu’il est encore possible de faire redémarrer la Samir?

Xavier Houzel : La plus importante et la plus moderne raffinerie du continent africain pourrait effectivement ne jamais redémarrer « faute de moyens pour le faire », comme l’explique le ministre concerné, Aziz Rabbah. La société holding de la Samir est pourtant riche d’actifs, même si son outil de raffinage est interrompu pour cessation de paiement.

En récusant l’idée d’une nationalisation de la Samir, le gouvernement déclare, par la voix de son ministre, qu’il ne dispose pas des moyens nécessaires ou qu’il ne souhaite pas les mobiliser. Il ne dit pas s’il s’agit d’une question de principe ou de faisabilité ! À la Justice de trancher ! Mon sentiment est qu’il y a un « loup ». Admettons qu’il ne se soit pas trouvé au Maroc, un pays dépourvu de pétrole, de repreneur potentiel. Mais pourquoi alors aucun investisseur étranger sérieux n’a été tenté par une reprise de la Samir? C’est incompréhensible

Mondafrique : Quelles ont été les démarches que vous avez tentées pour sauver la Samir?

Xavier Houzel Seuls un grand pays producteur de Pétrole ou un major pouvaient envisager la reprise d’une raffinerie. Il fallait encore que celle-ci soit bien placée, de bonne taille, relativement moderne et qu’elle ait été construite pour la qualité de Brut correspondant à la production de pays producteurs intéressés. Le profil de la Samir la qualifiait; des ingénieurs iraniens sont arrivés à Mohammédia parmi les premiers professionnels intéressés, sans sanctions en vigueur à l’époque. La partie marocaine s’est montrée réticente dès les premières conversations. L’Iran faisait peur.

Aussi, suis-je revenu très vite, deux mois plus tard, avec six ingénieurs irakiens de haut niveau. Trois jours complets pour inspecter la raffinerie de fond en comble, étant parfaitement bien reçus par le Syndic d’alors et par le personnel de la raffinerie. Mais là encore, c’était un refus! Je n’ai pas insisté.

Mondafrique : Pourquoi avoir choisi ces deux pays politiquement sensibles et qui sont l’un et l’autre sous influence chiite ?

Xavier Houzel :

Tout d’abord, il n’existe pas de Pétrole Chiite et de Pétrole Sunnite, pas plus qu’il n’y a de Pétrole Juif ou de Pétrole Musulman – le monde du Pétrole transcende de plus en plus ces tabous.

J’avais choisi ces deux groupes pour deux raisons. La première, parce qu’ils produisent du Pétrole acide – en Anglais sour crude oil – et que la raffinerie de la Samir a été construite et équipée après la guerre pour traiter ce type de Brut sulfuré. Beaucoup d’unités analogues, plus anciennes et moins sophistiquées, installées en Europe entre les deux guerres, avaient été fermées en créant un besoin.

La seconde raison est que seuls l’Irak et l’Iran n’ont pas de participation à l’étranger. Les autres grands producteurs de Pétrole acide du Moyen-Orient se sont tous dotés de capacités de raffinage à l’étranger : l’Arabie saoudite en possède pour plus de 10 millions de barils par jour, sans compter celles que cette monarchie pétrolière finance en Chine. Le Koweït en possède l’équivalent de la totalité de ses exportations et Abu Dhabi contrôle déjà 100% de la CEPSA en Espagne. La Libye est en état de quasi guerre civile et la frontière fermée entre l’Algérie et le Maroc.

Dans un deuxième temps, j’avais monté un « partenariat » de substitution entre un major réputé et l’un des plus importants traders du monde qui s’assura du concours d’une société d’ingénierie mondialement réputée, Beicip-Franlab du groupe de l’Institut Français du Pétrole (IFP). L’offre qui fut soumise était juridiquement astucieuse et financièrement solide;

Mondafrique : Quel fut le grain de sable qui bloqua tout rachat?

Xavier Houzel : Je ne connaissais pas le Maroc, à part deux expériences ponctuelles avec des gens admirables: la première sous feu sa Majesté Hassan II, la seconde au début du règne du souverain actuel par l’intermédiaire du général Hamidou Laanagri. Je sais que les Marocains sont ouverts , clairvoyants, rapides, directs. Je ne pouvais m’imaginer certains cercles du pouvoir aussi figés.

Quel gâchis ! La Samir n’est pas simplement une raffinerie relativement moderne capable de produire plus de 200.000 barils par jour et d’approvisionner 70% du marché marocain de produits raffinés. C’est un groupe intégré doté de filiales, toutes intéressantes, créées depuis sa privatisation. Si l’État planificateur s’en était avisé quand les marges de raffinage négatives et des prix du Pétrole devenus impraticables plombaient les raffineurs du monde entier, il lui aurait suffi d’imposer à la Samir la cession d’une partie de ses actifs non indispensables. La Douane de l’État se serait payée sur la bête sans faire les dégâts économiques et sociaux qu’elle a provoqués.

On ne joue pas avec la première entreprise privée du pays, stratégique, comme avec l’épicerie du coin. Bref, je crains que le mal n’ait été fait.

Mondafrique : Pourquoi la société Samir, propriétaire de l’outil de raffinage mais aussi d’autres actifs non stratégiques est conservée dans son intégralité? Est-ce parce que les comptes de la Douane de l’État ne sont toujours pas validés ?

XH : Il est vrai qu’il y a l’embrouillamini de la créance de la Douane entre les mains de la Justice. La parole du juge a un caractère sacré : elle protège ! Après trois ans de procédures « pour une non décision », c’est par une ordonnance rendue le 17 décembre 2019 que le juge-commissaire de la liquidation de la Samir se déclare finalement incompétent à statuer sur la créance de l’Administration des douanes et des impôts indirects. CELA N’A pu être qu’orchestré. Comme si les juristes conseillers de l’État avaient pu ignorer que ce dernier était incompétent !

Mondafrique . La raffinerie peut-elle encore être sauvée ?

XH : Nous avons été parfaitement bien reçus par le personnel de la raffinerie, par le Syndic, par le Tribunal, par les contrôleurs, notamment la Banque Centrale Populaire et même par l’Administration des Douanes à Rabat. Nous avons rencontré deux ministres. Nous avons même vu, en présence de nos conseils, un avocat de l’État, et cela nous fut fatal. Pas d’objections de principe, par de contre-proposition, mais pas de suite. Notre proposition fut mise sur étagère et oubliée.

Je lance une bouteille à la mer. Je dirais qu’un dialogue devrait être entamé sans juridisme étriqué entre les principaux plaignants pour éviter, en allant à l’essentiel que dans cette affaire, le royaume du Maroc ne soit le grand perdant.

4 Commentaires

  1. Cher lecteur, on ne peut pas dire que ce qui est arrivé à la grande
    raffinerie marocaine soit à l’actif de la gouvernance dans ce pays !
    Bonne journée

  2. Le même article sur l’Algérie et c’était une catastrophe industrielle ,là il y a toujours de l’espoir… Nicolas Bob et son parti pris légendaire

  3. Une bouteille à la mer dites vous! Plutôt, une citerne de Bakchich et la voix de son maître … la rectification reprendra certainement le dessus.

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