Allié des islamistes d’Ennahdha, l’irréductible imam de la grande mosquée Zitouna à Tunis, Houcine Laâbidi, est poussé vers la porte par les autorités
Mercredi 25 mars 2015, Abdessattar Badr, le directeur de cabinet du ministre des Affaires religieuses, a annoncé que le tribunal administratif de Tunis avait émis une décision judiciaire intimant à Houcine Laâbidi et à ses sbires de débarrasser le plancher de la mosquée Zitouna une bonne fois pour toutes.
Mais l’imam auto-proclamé, ancien électricien de profession désormais à la retraite, s’accroche à « son bien » tel le Gollum de Tolkien à son précieux, éperdument. Impossible de le déloger de la mosquée depuis 2012, année depuis laquelle il squatte la noble institution multiséculaire afin, d’après lui, d’en redorer un prestige terni depuis les années Bourguiba.
Retour sur une plaisanterie qui n’a que trop duré et appuyée en sous-main par les islamistes d’Ennahdha.
Laâbidi, l’imam irréductible
En 1958, un Bourguiba pas forcément très inspiré fait apposer les scellés sur les bâtiments qui dispensent l’enseignement religieux de l’illustre mosquée Zitouna. Cette décision, jugée par les orthodoxes comme étant dictée par des considérations exogènes, voire laïcardes, alimentera des années durant une vive tension entre les pouvoirs publics et les islamistes soucieux de reconquérir leur emblématique lieu de savoir et de pouvoir.
Dans la seconde moitié des années 1980, Ben Ali lui-même essaiera d’apaiser les tensions en réactivant progressivement et sous contrôle la fonction d’enseignement religieux de l’institution.
Mais c’est le 19 mars 2012 qu’un juge autorise enfin la levée des scellés iniques, les élections d’octobre 2011 ayant porté le parti islamiste Ennahdha au pouvoir étant passées par là.
Profitant d’une décision signée à l’époque par les membres de la Troïka (coalition de partis satellites emmenée par les islamistes) et garantissant « l’indépendance » administrative de l’institution, Houcine Laâbidi — lui-même ancien zeitounien — entre en scène. Il s’autoproclame imam de la plus grande et plus ancienne mosquée de Tunis et en fait changer illico toutes les serrures, allant jusqu’à en interdire l’accès aux chercheurs de l’Institut national du patrimoine, les flanquant tout bonnement à la porte !
Et Laâbidi a de l’ambition pour l’institution qu’il s’est arrogée, beaucoup d’ambition. Il veut en faire un nouveau phare qui dispensera les trésors de la pensée musulmane, espérant parvenir à faire de l’ombre à l’éternelle rivale, Al Azhar ! Pour transmettre son idée très personnelle des lumières de l’Islam, rien de mieux que de nouvelles ouailles pour dispenser la bonne parole. Il propose donc des cours, dès le mois d’octobre de la même année, avec un cursus qui commence à partir de l’âge de douze ans et se poursuit jusqu’au baccalauréat… De quoi former des têtes bien pleines… mais de quoi au juste ? Un flou inquiétant persiste à ce sujet. Car Laâbidi, qui entretient les meilleurs rapports du monde avec le ministre nadhaoui des Affaires religieuses d’alors, le très à droite Noureddine Khadmi, entend ne voir aucune administration et encore moins un vulgaire ministère interférer dans l’enseignement qu’il compte bien prodiguer à ses classes où, cela va sans dire, la non mixité est de rigueur. Quid du contrôle de l’institution, de l’origine de ses financements, du recrutement des enseignants ? Les réponses sont soit évasives soit lénifiantes.
Toutefois, concernant le contenu de cet enseignement, le « Cheikh » — qui exige qu’on lui donne du « sidi Cheickh » systématiquement — explique que toutes les matières seront enseignées, des plus classiques comme les sciences, les langues vivantes, la littérature, la médecine, l’ingéniorat, etc., aux plus inattendues, comme… la recherche nucléaire. On imagine la séance de travaux pratiques sur les paillasses…
Depuis lors, Houcine Laâbidi va multiplier les déclarations outrancières ou farfelues avec une régularité de métronome. Florilège.
La Zitouna en otage
En juin 2012, après le saccage par des salafistes de l’exposition de peintures d’El Abdellia, à propos des auteurs des œuvres jugées « provocantes » ayant déclenché la colère des extrémistes religieux : « celui qui a fait çà (NDLR l’auteur de l’œuvre) est un mécréant selon les textes explicites, son sang doit être versé et il doit être exécuté » ; il demande à ce qu’« Allah bénisse Rached Ghannouchi (NDLR le leader des islamistes tunisiens) », formule habituellement réservée au prophète Mohamed. Prophète, d’ailleurs, qui lui apparaît en songe pour lui insuffler la force de poursuivre sa « mission » contre vents et marées. Ainsi, en mai 2013, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, l’imam n’hésite pas à affirmer « le prophète m’est apparu, attendri et chimérique, puis dans un sursaut je me suis réveillé et j’ai décidé de poursuivre ma mission, quoi que cela m’en coûte »… sans commentaire.
Depuis sa prise de fonctions, les plaintes pleuvent : on le menace d’expulsion, de prison, certains fonctionnaires consciencieux du ministère, outrés par ses déclarations et son attitude, tentent de le déloger légalement, mais le ministre lui est acquis et rien n’y fait. L’imam se cramponne à « sa » Zitouna. Profitant d’une déliquescence manifeste de l’État et d’une passivité de l’administration qui lui est favorable, il contre-attaque, exploite des failles juridiques, déboute certains de ses adversaires, remporte des procès, gagne des supporters. Mais son comportement finit par agacer jusqu’au sein du mouvement Ennahdha, dont la popularité s’émousse au fil des attaques terroristes et qui ne sait plus comment gérer les sursauts fantaisistes du bouillant ludion.
Vendredi 27 mars 2015, les forces de l’ordre tunisiennes devront veiller, une nouvelle fois, à la bonne exécution de la décision de justice exigeant le départ de l’imam et superviser l’entrée en fonction de son remplaçant désigné officiellement par le ministère. Mais ayant plus d’un tour dans sa manche et toujours épaulé par son bataillon d’avocats bénévoles, l’imam a déjà déposé trois requêtes auprès du tribunal… rien n’est acquis.
La politique de l’autruche
Aujourd’hui en 2015, notamment après l’attentat du musée du Bardo du 18 mars dernier, on sait ce qu’il en coûte en Tunisie d’abandonner les mosquées à des imams fantaisistes ou extrémistes et les dégâts considérables que leur « science » peut occasionner auprès d’esprits où ne poussent plus que l’appétit de revanche sur une société qui les méprise ou les ignore et la soif d’une gloire post-mortem obtenue par le « martyre. »
Pour l’heure, la Tunisie, comme elle l’a longtemps fait, semble vouloir poursuivre sa politique de l’autruche en n’apportant pour seule réponse à une question sociale une militarisation de l’espace public et des esprits. Le débat et le vote (?) qui devraient avoir lieu dans les prochains jours concernant la loi antiterroriste et de lutte contre le blanchiment d’argent qui a, enfin, atterri à l’Assemblée depuis hier, jeudi 26 mars, fournira des éclaircissements en la matière.
Espérons simplement que le législateur gardera présent à l’esprit que la prolifération de fusils d’assaut et d’uniformes aux quatre coins des rues n’a jamais réglé les questions de sous-développement économique et culturel.