Tunisie, les chiffres noirs de l’économie

Alors que les Tunisiens se sont mobilisés dans la rue les 6 et 7 janvier contre l’austérité, le professeur Hachemi Alaya assure que le pronostic vital de l’économie est engagé en Tunisie.

Pas de panique, la Tunisie (économique) n’est ni le Zimbabwe, ni le Venezuela. Mais, à force de tourner le dos au monde, d’ignorer les lois de la gravitation économique et les règles du jeu mondial, de rechigner aux mesures d’austérité et aux réformes radicales qu’exige le délabrement de sa situation économique, notre pays se rapproche dangereusement des Etats en faillite.

La hausse des prix à la consommation a atteint au mois de novembre 2017 son plus haut pic depuis le déclenchement de la crise économique à la fin des années 2005-2010. L’arrière saison touristique se révèle, à en croire les recettes en devises engrangées cet automne, plus que décevante. La dette extérieure du pays, à mi-parcours de l’année, atteint de nouveaux sommets et flirte désormais avec 80% du PIB. Mais la dette que la Tunisie démocratique crée avec autant de zèle que d’aveuglement dans le champ de son attractivité et de son image dans le monde est devenue insoutenable. L’Union européenne –le partenaire industriel, commercial et financier de loin le plus important de notre pays– l’a inscrit sur la liste (noire) des «Etats fiscalement non coopératifs ».

Une inflation vertigineuse

Désormais la Tunisie a intégré le club des paradis fiscaux qui remplissent les quatre critères que retient l’Organisation de Coopération & de Développement Economique (OCDE) : impôts inexistants ou insignifiants, absence de transparence, législation empêchant l’échange d’informations avec les autres administrations et enfin tolérance envers les sociétés-écran ayant une activité fictive, on peut dire sans exagérer, que le pronostic vital est indubitablement engagé.

La menace inflationniste est plus forte que jamais ; les risques d’une spirale inflationniste sont réels. A +6,3% en rythme annuel en novembre, la hausse des prix endurée par les tunisiens a atteint un plus haut depuis plus de quatre ans. L’inflation qu’il ressent (l’inflation ressentie) mesurée à l’aune de la valse des étiquettes des produits d’alimentation libres s’est établie à +10,4% en rythme annuel et à plus de 16,0% lorsque mesurée en rythme annualisé. La fin de la période la Troïka pendant laquelle l’inflation a culminé à +6,6% (milieu de l’année 2013), mise à part, jamais la Tunisie n’a connu en plus de deux décennies, une telle flambée des prix. Et le plus préoccupant c’est que les sources auxquelles s’abreuve l’inflation tunisienne sont loin de se tarir. La forte demande de consommation sur fond d’une politique monétaire accommodante va perdurer au moins jusqu’en 2019.

La dévaluation sauvage du dinar

La hausse des salaires qui s’établit à plus de 6% en rythme annuel moyen depuis 2011, conjuguée avec l’alourdissement des charges sociales supportées par les entreprises inscrit dans la loi de finances 2018, va obérer encore plus que par le passé, les coûts salariaux. La dévaluation lisse et rampante du dinar n’a aucune raison de se modérer au vu du rythme auquel se détériore la compétitivité tunisienne. On échange aujourd’hui trois dinars contre un euro. La situation ne peut être  qu’aggravé dans le proche avenir par la hausse des prix mondiaux des matières premières. En bref, l’inflation a encore de beaux jours devant elle.

Une arrière saison touristique décevante

Ce qui ressort des chiffres du tourisme engrangées au cours des deux premiers mois du quatrième trimestre 2017. Les recettes touristiques qui ont afflué au cours des onze premiers mois de l’année ont progressé à un rythme de +18,2% à peine supérieur à celui de la dépréciation du dinar : 19,6% vis-à-vis de l’euro et 9,2% vis-à-vis du dollar. L’élan touristique qui s’est manifesté à travers le retour en nombre des visiteurs étrangers semble d’essouffler : les recettes touristiques des deux premiers mois du quatrième trimestre (octobre-novembre) ont progressé à un rythme (+12,9% en g.a) inférieur à celui du début de l’arrière saison 2016 (+15,0% en g.a). Les revenus réels en devises recueillis au cours des mois d’octobre et novembre (124 millions euros-dollars) sont inférieurs aux 126 millions réalisés au cours de la même période de l’année dernière.

Autant de données qui, bien évidemment, ne rendent pas compte de l’entièreté des flux de recettes générées par l’activité touristique, consécutif à la hausse de la fréquentation touristique qu’affiche le ministère du tourisme de manière sporadique. Tout comme elles ne rendent pas compte de l’impact réel du boom de fréquentation sur le reste de l’économie. Il reste cependant que la reprise du tourisme cette année semble avoir profité à l’économie informelle autant sinon plus, qu’au secteur structuré comme en témoigne l’atrophie de ses retombées sur les avoirs de réserve du pays et sur le déficit de son compte extérieur.

La spirale de l’endettement 

Avec un endettement extérieur qui flirte avec 80% du PIB, la Tunisie encourt un risque de surendettement. Le stock de dette extérieure du pays s’établit à mi-parcours de l’année à l’équivalent en dinars de 75,8 milliards. En gros, cela représente l’équivalent de 80% de la valeur totale des richesses produites en une année (79,2% du PIB si nous considérons que la croissance du PIB aux prix courants va s’établir à +7,5% cette année). Rapportée à la population tunisienne (11 446 300 tunisiens au milieu de l’année selon les chiffres de l’INS), il en résulte que chaque tunisien supporte désormais une dette contractée à l’égard des autres pays, supérieure à 6600 dinars contre 5570 dinars en 2016 à la même date. Un fardeau qui a plus que doublé depuis 2011où il était de 2970 dinars. Au rythme effréné avec lequel elle enfle (+19,4% en rythme annuel depuis le début de l’année ; +13,3% depuis l’année 2011), la Tunisie encourt un risque réel d’inscription sur la liste des pays surendettés.

Une capacité de remboursement hypotéquée

L’un des deux critères fondamentaux de viabilité du remboursement est mesuré par le service de la dette rapporté aux recettes budgétaires. Avec 30,7% à fin septembre, notre pays est d’ores et déjà au-delà de la norme communément admise de 30%. Le deuxième critère considère le service de la dette extérieure sur les exportations des biens et services : la norme est à 20% alors que la Tunisie est déjà au-delà de 16,0%.

Autant de chiffres qui mettent en cause les responsables politiques qui se sont succédé depuis la Révolution tunisienne de janvier 2011

Dans le deuxième volet de notre enquête, nous examinerons la responsabilité des élites politiques tunisiennes dans la quasi faillite actuelle

Des élites politiques en cause

 

Article précédentL’antisémitisme de Céline vu du Québec
Article suivantLa Mauritanie dans les filets chinois
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)