L’Imam Tareq Oubrou, l’allié encombrant de Juppé

La proximité d'Alain Juppé avec l'Imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, vaut au candidat de la primaire une campagne de haine sur les réseaux sociaux contre "Ali Juppé". Mondafrique décrypte les ressorts de cette mauvaise querelle

Lorsque la sociologue des religions Leïla Babès évoquait dans son livre d’entretiens avec Tareq Oubrou,« Loi d’Allah, loi des hommes »(*) le statut mineur de la femme dans l’islam, l’imam de Bordeaux développait alors des positions franchement rétrogrades. Ces écrits datent d’il y a une quinzaine d’années. L’Imam est-il devenu depuis un allié fréquentable pour le maire des Bordeaux et candidat aux primaires de la droite, Alain Juppé?

Le poids du cerveau et le choc des mots

Sans son ouvrage paru en 2002? la chercheuse évoquait le faible poids d’un témoignage féminin dans certains pays musulmans qui ne vaudraient que « la moitié de celui d’un homme». Des inepsies que Tareq Oubrou, à l’époque, était loin de dénoncer. A en croire son témoignage d’alors, des recherches scientifiques confirment l’existence d’une différence cérébrale entre l’homme et la femme. « Le cerveau de l’homme est plus gros et plus lourd que celui de la femme, de 10 % à 15%, c’est-à-dire cent grammes environ de différence ». Pour l’imam de Bordeaux, il ne s’agit pas seulement d’une différence de milliards de neurones corticaux. Le plus sérieusement du monde, il explique que « aussi l’hypophyse, glande située à la base du cerveau, contrôle-t-elle les glandes sexuelles entre autres glandes, laquelle hypophyse, elle-même, est sous contrôle d’une autre partie du cerveau : l’hypothalamus. Il n’est donc pas exclu que les deux sexes utilisent la mécanique cérébrale de façon différente, pour résoudre un problème ».

Dans un tout autre domaine, l’imam de Bordeaux justifie que pour la prière à la mosquée les femmes se retrouvent derrière les hommes. Cela ne signifie pas « qu’elles soient moralement, spirituellement derrière leurs frères dans la foi », écrit-il. Seulement voilà, « voir des hommes devant elles ne risque pas de les perturber dans leur concentration et la prière. Le contraire n’est pas garanti pour les hommes » (page 236).

« Frappez les », mais avec douceur

Enfin, analysant l’injonction « frappez-les » ou « tapez-les », que l’on retrouve dans le Coran, autorisant les hommes à battre leurs femmes, Tareq Oubron déclare : « L’injonction “tapez-les“ désigne les tapes qui ne font pas mal, et a rappelé un hadith ou le prophète a désapprouvé cette attitude. C’est un simple geste de dissuasion, gardé en secret dans l’intimité du couple » (page 272).

Dans ce livre toujours, cet intellectuel d’origine marocaine, arrivé en France à l’âge de 19 ans, s’oppose personnellement à ce que l’on puisse frapper une femme. De la même façon, il déclare que la polygamie, culturellement parlant, lui déplaît. Toutefois, il la considère « comme une permission coranique qui ne peut être abrogé irréversiblement. Elle peut être valable exceptionnellement et limitée dans le temps » (page 110 et 111).

La conversion d’un notable pieux

Menacé de mort par l’Etat Islamique en 2016, Tareq Oubrou  a fait en quelques années un virage à 180 degrés. Le voici en notable pieux, au mieux avec les Pouvoirs Publics, qui prône aujourd’hui « une pratique républicaine » et « une visibilité discrète » de l’Islam. Après les attentats de Charlie, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, fait de lui son principal interlocuteur au sein de la communauté musulmane. En février 2014, Alain Juppé lui remet la Légion d’honneur à l’intellectuel musulman en février 2014. Mais la proposition de lui remettre les insignes de  Chevalier de la Légion d’honneur avait été faite dès 2012 par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, intransigeant défenseur d’une laidité de combat. Inquiet en effet de l’influence de Tariq Ramadan sur les jeunes musulmans de France, le gouvernement socialiste avait choisi, tout comme Juppé, de privilégier les contacts avec Tareq Oubrou et de le présenter, un peu rapidement, comme le tenant d’un islam modéré.

« Ali Juppé » au pilori

Durant les primaires de la droite et du centre, alain Juppé a été pris à partie violemment, et « de façon dégueulasse » a t-il affirmé à Europe 1, en raison de cette proximité avec l’Imam de Bordeaux. Les réseaux sociaux les plus islamophobes et extrémistes  se sont saisis du passé salafiste de Tareq Oubrou pour s’en prendre ouvertement à « Ali Juppé », coupable à leurs yeux de défendre l’islam le plus moyennageux.      

Ces polémiques haineuses sont bien loin du débat serein que la campagne présidentielle devrait susciter sur la pratique de l’Islam. Après des années de terrorisme, de crise de civilisation et de dérive identitaire qu’a connu la France, le Tareq Oubrou de 2016 n’est ni « modéré », ni « salafiste ». D’une part, l’interlocuteur actuel d’Alain Juppé et de Bernard Cazeneuve a évidemment évolué depuis la publication du livre en 2002. D’autre par, l’Imam de Bordeaux est resté responsable de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), le plus important mouvement de la communauté musulmane, traversé de courants contradictoires. En son sein, les uns sont plus « internationalistes » et restés proches des Frères musulmans, souvent nourris aux pétrodollars du Golfe. Les autres, sont tentés par la recherche d’une identité bien française, débarrassée de ses liens avec l’étranger et tournée vers une laïcité ouverte.

Ce débat vaut la peine d’être posé. Il ne tient pas en 140 signes de tweets revenchards contre « Ali Juppé ».

 

(*) Leïla Babès, Tareq Oubrou, « Loi d’Allah, loi des hommes. Liberté, égalité et femmes en Islam », Albin Michel, 2002.    

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)