Les autorités sénégalaises
(Nairobi, le 22 janvier 2024) – Les autorités sénégalaises
Cette répression a commencé en 2021 dans le contexte des procédures judiciaires concernant l’éminent leader de l’opposition Ousmane Sonko et de préoccupations suscitées par l’éventualité d’un troisième mandat du président Macky Sall, mais il y a eu une vague d’arrestations d’opposants politiques et de dissidents au cours des derniers mois.
Selon des groupes de la société civile et des partis d’opposition, près de 1 000 membres et militants de l’opposition ont été arrêtés dans tout le pays depuis mars 2021. Soixante-dix-neuf personnes ont présenté une demande au Conseil constitutionnel pour être candidates à l’élection présidentielle, dont Amadou Ba, actuel Premier ministre du Sénégal et membre de la coalition au pouvoir, et Ousmane Sonko, leader d’opposition emprisonné et dirigeant du parti politique dissous Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF). À l’issue du processus de vérification du Conseil, elles ne sont plus que 20. La candidature d’Ousmane Sonko a été rejetée sur la base de sa condamnation par la Cour Suprême du Sénégal à 6 mois de prison pour diffamation à l’encontre d’un ministre.
« La promesse du président Macky Sall d’organiser des élections libres et équitables est en contradiction avec le fait que les autorités remplissent les prisons de centaines d’opposants politiques depuis trois ans », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités devraient s’assurer que tous les Sénégalais sont en mesure d’exprimer librement leurs opinions et d’exercer leur droit de vote de manière équitable et pacifique. »
Entre novembre 2023 et janvier 2024, Human Rights Watch a interrogé en personne et par téléphone 34 personnes, dont 9 membres de partis d’opposition, 13 membres de groupes de la société civile sénégalaise, 6 journalistes, 2 professeurs d’université, 3 avocats sénégalais et 3 proches d’activistes. Human Rights Watch a également examiné des reportages de médias nationaux et internationaux, des photographies montrant les blessures d’un manifestant à la suite d’actes de torture en juin 2023 et son dossier médical, ainsi qu’une vidéo montrant des gendarmes qui torturent un manifestant, également en juin.
Le 9 janvier, Human Rights Watch a envoyé un e-mail à Julien Ngane Ndour, Directeur des droits humains auprès du ministère de la Justice, pour lui faire part de ses conclusions et solliciter des réponses à des questions spécifiques. Human Rights Watch n’a pas reçu de réponse.
Des vagues d’arrestations ont commencé en 2021 à la suite de manifestations violentes liées à des procédures judiciaires concernant Ousmane Sonko et à la perspective d’un possible troisième mandat du président Macky Sall. Les forces de sécurité ont ciblé des dirigeants, des membres et des partisans du parti d’Ousmane Sonko. Sonko a été plus récemment arrêté le 28 juillet pour incitation à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, provocation de troubles politiques graves et association de malfaiteurs, entre autres. Bassirou Diomaye Faye, Secrétaire général du PASTEF, est en détention depuis le 14 avril, devant répondre de chefs d’accusation similaires à la suite d’un message critiquant les magistrats qu’il avait publié sur son compte Facebook.
« Critiquer les autorités n’est pas un crime et personne ne devrait encourir une peine de prison pour cela », a déclaré l’avocat de Bassirou Diomaye Faye. Le 31 juillet, le ministre de l’Intérieur du Sénégal a annoncé la dissolution du PASTEF, au motif que ce parti aurait mobilisé ses partisans lors de manifestations violentes en juin 2023 et en mars 2021.
« Nos dirigeants sont en prison, nos partisans sont en prison, beaucoup d’entre nous sont en liberté provisoire ou sont surveillés électroniquement comme moi », a indiqué El Malick Ndiaye, responsable de la communication du PASTEF, arrêté le 22 mars pour avoir prétendument diffusé de fausses nouvelles et commis des actes susceptibles de compromettre la sécurité publique. Ce jour-là, il a publié un message sur son compte Facebook alléguant qu’un individu en uniforme de la police avait pulvérisé une substance inconnue sur Ousmane Sonko. « Le gouvernement banalise la pratique de l’arrestation et fait tout pour nous réduire au silence », a-t-il expliqué.
Les autorités ont utilisé le système judiciaire pour s’en prendre aux opposants politiques et aux dissidents. Les avocats représentant les personnes arrêtées dans le cadre de manifestations organisées par l’opposition se sont dits préoccupés par le manque de respect des droits de leurs clients à une procédure régulière, notamment les accusations inventées de toutes pièces, le manque de preuves à l’appui des accusations, la détention provisoire prolongée, ainsi que les mauvais traitements et la torture en détention ou lors de l’arrestation.
« Le parquet use d’abus de qualification pour demander un mandat de dépôt [permettant la détention] des personnes arrêtées et s’oppose à toute demande de liberté provisoire des détenus», a déclaré un éminent avocat spécialisé en droits humains, Moussa Sarr, qui représente pro bono des centaines de manifestants détenus. « Il arrive que des personnes participent à une manifestation non autorisée, mais au lieu d’être poursuivies pour participation à une manifestation non autorisée, elles sont poursuivies pour association de malfaiteurs. L’infraction retenue n’est plus la conséquence juridique des faits commis»
Human Rights Watch a précédemment documenté l’emploi d’une force excessive par les forces de sécurité, y compris des balles réelles et un usage inapproprié de gaz lacrymogène, pour disperser des milliers de manifestants dans tout le pays en mars 2021 et juin 2023. Au moins 37 personnes ont été tuées lors d’affrontements violents depuis mars 2021 et personne n’a eu à répondre de ces actes. « Des jeunes sont morts et leurs familles attendent toujours que justice leur soit rendue », a indiqué Alioune Tine, éminent défenseur des droits humains et fondateur de l’organisation de recherche AfrikaJom. « Le fait que nos autorités n’aient pas amené les agents de sécurité fautifs à rendre des comptes ne fera que les encourager à continuer. »
Les manifestations violentes de mars 2021 ont conduit les autorités sénégalaises, invoquant la nécessité de protéger la sécurité publique, à restreindre la liberté de réunion en interdisant les meetings, les manifestations et les rassemblements publics. Le 29 décembre 2023, les autorités locales de la capitale, Dakar, ont interdit un meeting prévu le 30 décembre au cours duquel Ousmane Sonko devait être investi candidat à l’élection présidentielle, alléguant une menace pour l’ordre public.
« Depuis deux ans, les autorités rejettent presque toutes les demandes de manifestation des organisations de la société civile et des partis politiques », a indiqué Moundiaye Cissé, directeur exécutif de l’organisation de la société civile 3D. « Le droit à la liberté de réunion est une pierre angulaire de la démocratie, nous nous sommes battus pour ce droit, il ne peut pas nous être arraché. »
Certains candidats ont expliqué qu’on les empêchait de recueillir les signatures nécessaires pour être inscrits sur les bulletins de vote. Le 28 octobre, Khalifa Sall, chef du parti Taxawu et candidat à l’élection présidentielle, a déclaré que la police avait arrêté son convoi de 30 véhicules pendant plusieurs heures, l’empêchant d’entrer dans la région de Fatick, au sud-est de Dakar, où il était censé recueillir des signatures. La police a indiqué que le convoi n’avait pas été autorisé.
« Nous n’avions besoin d’aucune autorisation », a expliqué Moussa Taille, porte-parole de Taxawu. « La loi stipule que tout candidat peut recueillir ses parrainages. À l’approche des élections, le gouvernement tente de restreindre les droits des opposants. »
Les journalistes ont déclaré que depuis 2021, ils subissent une pression accrue de la part des agents du gouvernement et des forces de sécurité dans l’exercice de leur profession, ainsi que des arrestations arbitraires et des intimidations. Des dizaines de journalistes ont été arrêtés de manière arbitraire, menacés
Dans un communiqué publié le 8 janvier, l’Union européenne a annoncé qu’à l’invitation des autorités sénégalaises, elle déploierait une mission d’observation électorale au Sénégal le 25 février.
Le droit international relatif aux droits humains, y compris le droit régional tel que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, interdit la détention arbitraire. Toute accusation portée par les autorités doit être prévue par la loi, concerner une activité légitimement sanctionnable et être étayée par des preuves crédibles qui correspondent à l’infraction. Les personnes détenues ont le droit d’être informées des motifs de leur arrestation, de contester leur détention devant un juge indépendant et impartial, de ne pas se voir refuser arbitrairement une libération sous caution, d’avoir accès à un avocat et aux membres de leur famille et de faire examiner leur cas périodiquement. Le droit international relatif aux droits humains garantit également les droits à la liberté de réunion et d’expression et interdit l’usage excessif de la force par les responsables de l’application des lois et la détention dans des conditions inhumaines et dégradantes.
« Alors que le Sénégal s’apprête à tenir des élections, les enjeux pour sa démocratie sont élevés », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les autorités sénégalaises devraient ouvrir des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur tous les cas d’usage de la force par les forces de sécurité tout au long de la crise pré-électorale et veiller à ce que les forces de sécurité respectent le droit de manifester pacifiquement. »