Président égyptien démocratiquement élu en 2012 avant d’être évincé, un an plus tard, par un coup d’état militaire, Mohamed Morsi est mort brutalement le 17 juin dernier alors qu’il comparaissait devant la cour criminelle du Caire.
Voici le troisième et dernier volet de l’enquête signée Rabha Attaf
LA MISE A MORT POLITIQUE DU PRESIDENT MORSI
Une logique d’affrontement, le camp laïque contre le camp, islamiste transforme la coalition d’hier, unie contre la dictature, en adversaires irascibles. Des heurts dans la rue se soldent par des morts et des dizaines de blessés éclatent les 4 et 5 décembre 2012, devant le palais présidentiel d’Ittihadiya, entre partisans et opposants au président Morsi.
D’un coté, la gauche laique a reçu l’accord discret d’agents de la police politique. De l’autre, les Frères Musulmans sont bien décidés à défendre le président issu de leurs rangs.
Sous la pression de la rue, Morsi renonce finalement aux pouvoirs élargis. La nouvelle Constitution, finalement adoptée par le référendum du 25 décembre 2012 avec 64% des voix, le conforte momentanément. Une victoire « à l’arrachée » pour le camp islamiste, mais de bien courte durée !
Des « milices » islamistes
Début janvier 2013, vingt-et-un supporteurs du club El-Masry sont condamnés à mort pour leur participation à des émeutes meurtrières en février 2012 lors d’un match de foot à Port-Saïd. Cette sentence met le feu aux poudre. Durant deux mois, de violentes émeutes embrasent les villes du delta du Nil. L’Égypte du Sud est touchée. Le bilan, ce sont une quarantaine de morts et des centaines de blessés.
Devant l’inefficacité de la police, le président Morsi promulgue alors l’état d’urgence et des chars sont déployés dans les rues. Des photos de « miliciens islamistes » alignés devant les bâtiment officiels enflamment les réseaux sociaux égyptiens.
Dès lors, Morsi devient la cible d’une campagne médiatique d’une violence inouïe, menée par les grands journaux et télévisions privées, l’accusant de vouloir « frériser » l’appareil d’état et de réprimer les manifestants comme l’avait fait lex président égyptien, Hosni Moubarak.
La résistance de l’Etat profond
En réalité, Morsi n’a pas le contrôle du ministère de l’Intérieur dont le ministre a été imposé par le CSFA. De plus, la hiérarchie policière redoute de devoir rendre des comptes, notamment concernant les exécutions extra-judiciaires et les tortures infligées aux manifestants durant la période « révolutionnaire ». Quant à la redoutable Sûreté d’État, elle continue ses basses besognes, en relation avec l’appareil judiciaire. Difficile en effet d’imaginer la police -tous corps confondus- puisse obéir à un président issu d’une formation combattue par elle durant des décennies !
Dans ce contexte de contestation permanente, les bureaux de la Confrérie des Frères Musulmans sont incendiés à travers tout le pays, et des incidents confessionnels sporadiques se multiplient.
Le compte à rebours
Pour Mohamed Morsi, la fin departie est programmée. Le 28 avril 2013, un mouvement, Tamarod (Rébellion, ndla), fait son apparition en lançant une pétition à travers toute l’Égypte. Objectif : réunir 15 millions de signatures pour demander la démission du président. La campagne est soutenue matériellement et médiatiquement par les milieux d’affaires, dont le magnat des Télécom et du BTP Nagib Sawires -par ailleurs propriétaire de plusieurs chaînes de télévision grand public et fondateur du parti des Égyptiens libres, membre du FSN.
Galvanisés par leur fulgurant succès sur fond de désastre économique, les leaders de Tamarod, lancent un appel à manifester pour le 30 juin 2013, premier anniversaire le l’investiture de Morsi. Le Front de Salut National et d’autres formations d’opposition se joignent à cet appel. Car en Égypte, comme dans d’autres pays où la culture démocratique n’est pas encrée, tout se joue dans la rue.
En sous-main, l’état profond active ses réseaux pour une « contre-révolution ». Dès lors, le sort de Morsi et de ses partisans est scellé. Après trois jours de manifestations réunissant des millions d’Égyptiens dans les grandes villes du pays, le président est destitué par un coup d’état militaire et jeté en prison, de même que les principaux dirigeants Frères Musulmans. Le Conseil Suprême des Force Armée, fort d’un soutien populaire savamment orchestré, vient de mettre un terme à la première tentative de transition démocratique de l’histoire de l’Egypte.
Rabha Attaf, grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-OrientAuteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19