On a probablement enterré un peu vite le maréchal Haftar, présent ce mardi 29 mai à Paris pour le sommet sur la Libye organisé par Emmanuel Macron. Mais les candidats sont nombreux qui convoitent sa succession.
La guerre pour la succession du maréchal Haftar, le chef de l’armée nationale libyenne (ANL) gravement malade, ne devrait pas être une tache aisée dans un pays détruit par la guerre civile après la chute de Khaddafi en 2011. Militaire charismatique, issu de la tribu des Ferjani proche de Syrthe, le maréchal Haftar a réussi à s’imposer sur la scène politico-militaire libyenne en constituant un état-major opérationnel dans sa lutte contre les différents groupes armés islamistes. Il est officiellement soutenu, militairement, financièrement et diplomatiquement par l’Egypte et les Émirats Arabes Unis.
En décembre 2017, compte tenu des tensions internes au sein de son état-major, le maréchal opère un changement dans la composition de son cabinet en faisant entrer ses proches. Ainsi, il intègre ses deux fils, Seddam et Khaled dans la direction des brigades opérationnelles, l’une sécurisant Benghazi et l’autre dans le Fezzan. Ses deux autres fils, dont l’un rentré précipitamment des Etats Unis, Oqba et Saddik, sont intégrés dans son cercle le plus restreint comme conseillers économique et diplomatique.
Succession Familiale
L’alliance tribale est un enjeu majeur dans la construction d’un pouvoir stable et durable en Libye. C’est le consensus tribal qui a permis à la dynastie des Senoussi de se maintenir au pouvoir de 1869 à 1969. Il en est de même pour le régime de Khaddafi.
Les mêmes processus opèrent avec les Haftar. A peine sorti de l’académie militaire d’Amman en Jordanie, avec le grade de capitaine, un des fils, Seddam Haftar est promu en un temps record au grade de commandant. Il a intégré la Brigade 106 de l’opération Al Karama « dignité ».
Commandant SEDDAM Haftar lors de sa sortie de l’académie militaire d’ Amman co-dirigée par les officiers américains.
Son frère Khaled Haftar a suivi le même cursus, sorti au grade de capitaine dans les services du renseignement fraichement installés. « Pour sa première mission, il a chargé son représentant à Washington de faire du lobbying auprès du congrès américain. A ce titre, 120 000 Euros ont été injectés dans ce projet », révèle Mohammed Boubsir ancien conseiller du maréchal Haftar.
Conciliabules familiaux
Tout récemment, l’entourage du maréchal Haftar a reconnu que des transactions bancaires ont été effectuées par des banques émiratis sur les comptes des deux fils, Khaled et Saddam, mais bien sûr au titre de budget de fonctionnement de l’ANL. L’entourage familial des Haftar est constitué par des membres de la tribu Al Farjani qui se sont exilés avec lui en Virginie dans les années 80. Le clan est composé essentiellement de Aoun Al Farjani conseiller militaire, Belgacem Al Ferjani de la sécurité intérieure, Ayoub Al Ferjani chargé de la logistique militaire, Fadel AL Dib conseiller stratégique auprès d’Okba et Sadiq Haftar.
KHALED HAftar capitaine au sein du nouveau service du renseignement.
Une réunion familiale s’est tenue à Paris en présence des fils du maréchal et du cercle le plus restreint de son état-major. Elle a été suivie par une seconde réunion le 27 Avril au sein de la base d’El Merj oriental. Les enfants de Haftar sollicitent également des soutiens régionaux, via les parrains égyptiens et émiratis, mais également des puissances occidentales.
Abdesellam Al Hassi, le favori de la famille Haftar
Al Hassi fut parmi les premiers ayant déserté le camp de Khaddafi. Il fut également le premier ayant collaboré avec les conseillers et les forces spéciales des pays étrangers présentes sur le sol libyen durant l’intervention de l’OTAN en 2011. Ce qui explique le soutien dont il dispose de la part des occidentaux.
Il a gagné la confiance totale du maréchal Haftar en matant la rébellion de Faredj Al Barsaai qui a failli disloquer l’ANL. Il a eu toujours recours au consensus tribal dans les dénouements des crises personnelles. Il est pour une collaboration élevée avec les l’Europe, une façon de faire contrepoids au duo égypto-émirati.
Le même a refusé le poste du ministre de la défense proposé par l’émissaire des Nations Unies Bernadino Leon. Il est de toutes les missions secrètes du maréchal Haftar. En début avril, il a fait le voyage à Khartoum pour engager des négociations avec Omar Al Bachir, comme il a entamé des arrangements avec Idriss Deby pour une politique de désescalade à la frontière tchadienne pour mettre fins aux affrontements récurrents de la tribu Toubou.
Son activité régionale, sur le plan militaro diplomatique, lui procure une posture de dauphin au maréchal. Fin politique, il est le premier avoir démenti le décès de Haftar préférant se positionner sur la question de stabilité et de la construction d’un état fort.
Abderezzak Al Nadhouri, le chef d’Etat Major de l’ANL
Fidèle parmi les fidèles du maréchal Haftar, il a directement intégré l’ANL dès sa sortie de prison où il a passé 13 années condamné par Khaddafi. Il fut l’artisan de la bataille de Benghazi contre la brigade « les loyaux » du régime de Khaddafi. Il a perdu un de ses fils Mohammed Al Nadhouri dans un avion militaire proche de la base aérienne d’Al Abrouk près d’Al Beidha en Avril 2016. Il a réussi à anéantir les groupes islamistes dans la Cyrinaique avec sa brigade Al Radaa (« dissuasion »). En Aout 2014, il a été désigné chef des forces armées pour l’Est libyen. Il devient ainsi le numéro deux dans la chaine de commandement après le maréchal Haftar.
En Octobre 2016, il est désigné par le conseil de Toubrouk comme chef militaire pour la zone entre DERNA Est et BenJouad ouest lieu des opérations les plus acharnées contre les djihadistes mais aussi la zone la plus pétrolifère de la Libye.
Al Nadhouri est connu pour son hostilité aux frères musulmans, au Qatar et à la Turquie. Ses sorties médiatiques contre les frères musulmans et les pays cités, lui ont valu le sobriquet du « faucon ». Il a été l’émissaire de Haftar dans les coordinations opérationnelles avec l’armée égyptienne et les Emiratis. Ses ambitions suscitent des émules au sein de l’état-major dont certains de ses membres le considèrent ouvertement comme un agent du président égyptien Al Sissi.
Juste avant l’hospitalisation d’Haftar, Al Nadhouri a été désigné pour assurer la sécurité à Benghazi -ce qui a suscité la critique de son rival de la brigade « Al Saaika » Ouanis Boukhmada. Il est à noter que les quatre fils de Haftar voient les ambitions d’Al Nadhouri comme une menace à leur existence au sein de l’ANL en cas de la disparition de leur père.
Sakr Al Jarouchi, le chef des forces aériennes.
L’un des piliers de l’opération Al Karama, Sakr Al Jarouchi a déserté le 17 Février 2011 aux premières heures de la révolution. On lui impute une brutalité dans la gestion des troupes. Connu pour avoir menacé publiquement d’arrestation le ministre de la défense, Mehdi Al Berdhati, du gouvernement de l’union nationale reconnu par la communauté internationale si ce dernier se rend à Benghazi. Il a traité publiquement Fayze Al Seradj président du conseil Libyen de terroriste. Comme il a traité le porte-parole et dissident de l’opération Al Karama, de trahison.
Il s’est fait connaitre, en septembre 2015, par l’ordre qu’il a donné pour arrêter le premier ministre issu du parlement de Toubrouq Abdellah Al Thini, lors de sa sortie du territoire pour un voyage à Malte. Il l’a accusé d’engorger 200 millions de dollars dans une transaction d’armes. D’autre part, il collabore étroitement avec les forces spéciales britanniques, américaines et françaises sur la base aérienne Al Benina près de Benghazi dans la lutte contre Daech.
Dépourvu de vision politique, Al Jarouchi pourrait jouer un rôle dans la future guerre des alliances.
Ouanis Boukhmada, le chef des forces spéciales
Les forces spéciales que dirige Boukhmada sont connues sous la dénomination Al Saaiqa «la Foudre». Membre actif de l’opération Al Karama, il vient d’intégrer, depuis octobre passé, l’état-major des opérations coordonnées dont le siège est à Benghazi.
Son handicap majeur tient aux éxactions commises par ses subordonnés contre les civils. Des vidéos circulent montrant son adjoint, Mahmoud Al Ouarfili, exécutant sommairement, et sans jugement, des jeunes suspects. D’autres vidéos montrant des hommes, présumés membres de Daech, déterrés et trainés dans les villes.
Ces violations des droits de l’homme ont valu l’arrestation d’Al Ouarfili. Ses troupes ont menacé de se rebeller s’il était livré au tribunal pénal international qui le réclamait. Cet épisode a affaibli Ouanis Boukhmada, au point qu’un des chefs militaire à Benghazi, Faredj Qauiim, décida de rejoindre le gouvernement à Tripoli.