En mettant fin à la coopération militaire avec les Etats-Unis, le Niger sort de son ambiguïté stratégique et facilite l’installation du partenaire militaire russe, déjà actif chez ses deux alliés de l’Alliance des Etats du Sahel.
Pour cette rupture, le Niger a choisi de laver son linge sale en public, au lendemain d’une mission américaine de haut niveau qui s’est déroulée du 11 au 14 mars dans un climat tendu de part et d’autre. Washington se voit ainsi rappelé à son tour au nouvel ordre mondial, qui a déjà coûté à la France le départ forcé de ses bases et de son ambassadeur.
Dans un communiqué publié le 17 mars, le gouvernement nigérien s’en prend autant à la forme qu’au fond des échanges. «La délégation américaine n’a pas respecté les usages diplomatiques», regrette le porte-parole du Conseil national pour la sauvegarde de la Patrie (CNSP), le colonel Amadou Abdramane. La mission a été décidée «de façon unilatérale» par le gouvernement américain, tant dans sa date, dans la composition de la délégation que dans son objet, qui n’avait pas été précisé, rapporte-t-il.
Cette forme de discourtoisie était peut-être volontaire. Ayant compris que le jeu tournait en leur défaveur, les autorités américaines semblent avoir tenté d’intimider Niamey dans une ultime opération de quitte ou double. Rappelons que la délégation menée par la sous-secrétaire d’Etat adjointe pour les affaires africaines, Molly Phee, comprenait la secrétaire à la Défense pour les affaires de sécurité internationale des Etats-Unis Celeste Wallander et le général Michael Langley, commandant en chef d’Africom.
Les questions militaires au coeur des débats
Bien que les échanges aient officiellement porté sur les aspects politiques de la transition en cours au Niger, il est clair que l’enjeu était surtout militaire, autour du maintien de la plus grande base de drones américaine sur le continent installée à Agadez, dans le nord du Niger et dont la construction a coûté 300 millions de dollars au Pentagone. Cette base est stratégique pour les Etats-Unis, qui s’en servent comme plateforme de surveillance et d’action militaire pour tout le nord du continent, bien au-delà des intérêts nigériens.
Le porte-parole a regretté «la volonté de la délégation américaine de dénier au peuple nigérien souverain le droit de choisir ses partenaires et le type de partenariat à même de l’aider véritablement contre les terroristes alors même que les Etats-Unis d’Amérique ont décidé unilatéralement de suspendre toute coopération entre nos deux pays.» Washington a interrompu la coopération militaire avec le Niger le lendemain du coup d’Etat du 26 juillet mais n’a pas cessé ses activités à partir d’Agadez.
Le communiqué gouvernemental nigérien dénonce «l’attitude condescendante assortie de menaces de représailles de la part de la cheffe de la diplomatie américaine vis à vis du gouvernement et du peuple nigériens.»
La Russie et l’Iran «focalisent particulièrement l’intérêt des Etats-Unis d’Amérique», selon le porte-parole, alors que ces deux pays entretiennent une coopération déjà ancienne avec le Niger. «Le gouvernement tient à porter à la connaissance du peuple nigérien et de la communauté internationale qu’il n’a jamais signé d’accord secret avec ces pays partenaires. Tous les accords signés avec le Niger depuis l’avènement (de la junte) respectent le droit international et les règles de transparence.»
L’Iran et la Russie au coeur du contentieux
Molly Phee aurait accusé le Premier ministre Lamine Zeine et son gouvernement d’avoir conclu un accord secret avec l’Iran pour la livraison d’uranium et ajouté que le Niger s’exposait ce faisant à des représailles de l’Agence internationale de l’Energie atomique.
Ces propos ont réveillé le souvenir des fausses accusations lancées en 2003 par George Bush contre Saddam Hussein pour justifier la guerre. En 2002, un diplomate nigérien basé à Rome, aujourd’hui décédé, avait été instrumentalisé pour un dossier fictif monté par des membres des services de renseignement italiens accusant Bagdad d’avoir acheté du yellow cake au Niger en vue de fabriquer la bombe atomique.
Le porte-parole du CNSP qualifie les accusations de Molly Phee de cyniques et estime que cette «approche (est) habituellement utilisée pour discréditer, diaboliser et justifier» les menaces américaines contre les Etats. Et de rappeler «les fausses preuves brandies par le secrétaire d’Etat américain devant le Conseil de sécurité pour justifier l’agression américaine contre l’Irak.»
«Dans cette affaire, le gouvernement du Président Tandja avait été accusé de façon mensongère d’avoir fourni de l’uranium aux autorités de Bagdad alors même qu’il est de notoriété publique que l’exploitation de l’uranium nigérien est totalement contrôlée par la France», poursuit le colonel Amadou Abdramane. L’uranium présent dans le nord du pays est, jusqu’à ce jour, exploité et commercialisé par Orano, qui n’a pas quitté le Niger et a repris récemment ses activités après une phase d’interruption dans la période la plus tendue de la crise entre Paris et Niamey. Les concurrents chinois et canadiens d’Orano n’ont pas commencé l’exploitation.
En ce qui concerne la Fédération de Russie, «il s’agit d’un partenaire avec lequel le Niger traite d’Etat à Etat, conformément aux accords de coopération militaire signés par les gouvernements antérieurs pour acquérir les matériels militaires nécessaires à sa lutte contre les terroristes.»
Une coopération militaire américaine sans utilité ni confiance
A l’inverse de cette coopération concrète sur le terrain militaire, les autorités nigériennes s’interrogent sur le fond des intentions américaines dans leur pays. En effet, le fondement juridique de la coopération militaire américaine avec le Niger est très ténu et ne prévoit aucune contrepartie pour Niamey.
Le porte-parole qualifie même la présence américaine d’illégale, n’ayant pas été soumise à l’Assemblée comme le prévoit la loi. Elle coûte des milliards de francs CFA aux contribuables nigériens, a dit le porte-parole, puisque c’est le Niger qui «paye des factures liées aux taxes pour les avions militaires américains dont ces derniers devraient normalement s’acquitter. »
Plus grave encore, les autorités nigériennes, y compris militaires, «n’ont aucune information sur les activités menées à partir des bases américaines au Niger, ignorent jusqu’aux effectifs civils et militaires ainsi que les matériels déployés sur le sol nigérien.» L’armée américaine n’a, d’ailleurs, «aucune obligation d’accéder aux demandes nigériennes d’appui contre les groupes terroristes.»
Devant cette situation, le ministre de la Défense, le général Salifou Modi, avait adressé à Molly Phee, en décembre, une proposition de mémorandum plus contraignant pour les Etats-Unis. Mais il n’a jamais reçu aucune réponse.
Enfin, le porte-parole de la junte dénonce «des activités illégales du survol de son territoire par des aéronefs américains et qui sont de nature à s’interroger sur la sincérité de leur partenariat.» L’un de ces survols, en février, aurait été coordonné avec un avion français à la frontière du Bénin. Le 19 octobre 2023, à l’occasion d’une tentative d’évasion manquée de Mohamed Bazoum, les Etats-Unis avaient mis à disposition du Président déchu deux hélicoptères basés à Niamey, comme l’avait révélé Mondafrique. Le porte-parole l’évoque d’ailleurs de façon allusive en parlant d’une confiance «entamée par les événements du 19 octobre 2023.»
Le soutien américain à la tentative d’évasion de Mohamed Bazoum