Avec la profonde restructuration de la dette publique africaine depuis vingt ans, la situation financière du continent, mise à mal par la pandémie du Covid-19, se complique, explique Adrien Hartemann dans un article publié le 18 novembre sur le site de l’IFRI (Institut français des relations internationales)
« Au choc d’offre occasionné par la désorganisation des chaînes d’approvisionnement est venu s’ajouter un choc de demande de la part des principaux marchés d’exportations, conjugué à un ralentissement de l’activité domestique », explique l’auteur, dessinant le contexte de la crise financière qui s’annonce.
Aggravés par la dépendance aux transferts des diasporas et le manque à gagner dans le secteur du tourisme ; ces chocs vont conduire, estime l’auteur, citant la Banque Mondiale, à « une récession de 3,3 % du produit intérieur brut (PIB) pour l’Afrique subsaharienne, une première en plus d’un quart de siècle ».
Confrontés à une diminution substantielle de leurs budgets, les pays du continent doivent relever un double défi : mobiliser des fonds d’urgence afin de faire face aux conséquences immédiates de la crise et garantir le remboursement des dettes publiques, afin de conserver l’accès aux sources de financements extérieures.
Or, la profonde restructuration de la dette africaine depuis vingt ans complique les choses. Les pays des G20 ont annoncé la mise en place de la Debt Service Suspension Initiative (DSSI), prévoyant un moratoire sur le service de la dette publique bilatérale de mai à décembre 2020 au bénéfice des économies à faibles revenus en faisant la demande.
L’adhésion de principe de la Chine à cette initiative portée par le Club de Paris et les institutions de Bretton Woods est remarquée, en ce qu’elle engage Pékin à suivre un processus multilatéral plutôt qu’une stratégie discrétionnaire. Dès lors, les deux principales banques chinoises présentes sur le continent – l’Eximbank of China et la China Development Bank (CDB) – sont concernées. Sur les 148 Mds USD de prêts chinois consentis au continent africain, 55 % sont à l’initiative de l’Eximbank of China et 25 % à l’initiative de la CDB.
« L’attention portée à la position chinoise illustre l’évolution de la structure des dettes publiques externes sur le continent depuis vingt ans. La Chine est devenue le premier créancier bilatéral en Afrique subsaharienne, détenant près de 21 % des encours de la dette publique externe du sous-continent en 2018, tandis que le Club de Paris n’en représenterait plus que 5 %. Les institutions multilatérales, qui détiennent près de 30 % du total dont 18 % pour la Banque Mondiale, ne participent pas au moratoire (exception faite du FMI). En l’état actuel, près de 60 % de l’effort financier consenti au titre du moratoire G20 concerne donc la Chine », souligne Adrien Hartemann.
Mais restent les créanciers commerciaux non-chinois qui, avec près de 44 % des encours fin 2018, détiennent la part la plus importante de la dette publique des pays d’Afrique subsaharienne. Les détenteurs d’obligations souveraines internationales -« Eurobonds » – composées en majorité de fonds de pension, de banques et de fonds d’investissement, concentrent près des trois-quarts de cette dette d’origine commerciale.
« De par le poids des détenteurs d’Eurobonds, la question du compartiment commercial des dettes externes publiques est sans conteste la plus délicate à traiter et constitue l’obstacle principal au déploiement de l’initiative DSSI à tous les pays en droit d’en bénéficier. Bien que le moratoire du G20 ne concerne pas les créanciers privés, sa sollicitation peut être perçue par les marchés comme une première étape avant que ces derniers ne soient également forcés d’accepter un gel du remboursement de leurs créances, et ainsi conduire à une hausse considérable du coût des emprunts futurs via une dégradation de la note souveraine, voire une fermeture temporaire de l’accès à ces marchés. Malgré le poids significatif de ces prêteurs, leur fragmentation et l’anonymat dont ils disposent rendent toute action collective particulièrement complexe. »
« L’approche centrée exclusivement sur la restructuration des dettes publiques des États africains fonctionne relativement bien lorsque la majeure partie en est détenue par des créanciers publics, car elle permet de mobiliser des fonds dans l’urgence sans limiter l’accès futur à des sources de financement. Au contraire, cette approche est particulièrement mal adaptée aux économies émergentes du continent, car elle comporte un coût réputationnel important sans nécessairement apporter un soutien suffisant face à l’urgence économique. Si certains pays en grandes difficultés tels que l’Angola ou la Zambie devront bénéficier d’un processus d’allègement de la dette, d’autres sont en réalité confrontés à un manque de liquidités immédiat et devraient pouvoir bénéficier de ressources supplémentaires sans devoir affronter les marchés en période de crise », poursuit l’auteur.
Le refus des institutions multilatérales d’accepter toute réforme substantielle de l’architecture financière internationale, dans un contexte d’influence financière croissante de la Chine, pourrait conduire à une nouvelle « décennie perdue » pour les pays ne disposant pas des réserves financières des grandes puissances économiques.
« Au-delà de la question de la réponse immédiate à la crise, c’est celle des modèles de financement pour les pays à faible revenus dans un contexte de recomposition du système international qui émerge. L’enjeu est de taille et constitue sans aucun doute un nouveau test majeur pour le système international », conclut Adrien Hartemann.