Le Premier ministre nigérien hostile à toute « chasse aux sorcières »

En présence de plusieurs membres du gouvernement, A s’est prêté, lors d’une première conférence de presse, dans une salle de la Primature pleine à craquer à l’exercice très attendu de la conférence de presse. Sobre et policé, il ne s’est que rarement emporté – contre la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest et la France – promettant le changement espéré des populations tout en se défendant de toute chasse aux sorcières.

Paradoxe de l’histoire, le discret économiste nigérien, qui dirigeait jusqu’à tout récemment la Banque Africaine de Développement au Tchad, est revenu au gouvernement de son pays à la demande de la junte qui a renversé le Président Mohamed Bazoum il y a six semaines alors qu’il l’avait quitté il y a treize ans, à la faveur d’un autre coup d’Etat, alors qu’il était ministre des Finances du Président Mamadou Tandja. Lamine Zeine avait fait partie des quelques ministres détenus plusieurs semaines à l’issue du coup du 18 février 2010.

Ses atouts principaux sont sa proximité avec les Tchadiens, son expertise technocratique face à une dette de huit millirds d’euros et son appartenance au MNSD, membre de la coalition gouvernementale de l’ex Président Bazoum. Ce qui en fait un Premier ministre consesuel

Mais la tension de ces lointains jours est peu de choses comparée à la situation actuelle du Niger, dans la tempête de sanctions internationales d’une gravité inédite et la fièvre d’une foule survoltée à laquelle il a rendu hommage. Le Premier ministre a remercié «nos populations  qui se sont massivement mobilisées pour apporter leur soutien au gouvernement et au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie.» «Ces populations ne l’ont fait pas pour les beaux yeux du gouvernement et du conseil, elles se sont mobilisées parce qu’elles sont animées d’un espoir de changement radical», a-t-il estimé, les invitant à rester mobilisées «dans la paix et dans la non-violence.»

Les trois priorités du gouvernement sur lesquelles Lamine Zeine s’est exprimé dans son propos liminaire sont la sécurité, la situation financière du pays et la préparation de la rentrée scolaire, début octobre. 

«Le plus important pour nous, c’est la sécurité. Nos forces de défense et de sécurité travaillent depuis plus d’un mois pour assurer la sécurité du territoire, des personnes, mais également des biens de ces personnes.»

Se félicitant de la toute récente neutralisation, le 1er septembre, de 10 terroristes, il a précisé que ces personnes avaient été «libérées armées et sont venus frapper nos populations.» Le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie avait déjà, dans un communiqué, affirmé que l’allié français avait libéré des prisonniers djihadistes sans préciser pourquoi ni dans quel contexte[1].

«Le gouvernement et le CNSP travaillent à assurer la sécurité du territoire. C’est une tradition pour l’armée nigérienne. Depuis toujours, nous avons réussi à conserver et sauvegarder la territorialité de notre pays», a-t-il dit. Il a répondu, sans jamais le citer, aux accusations du Président français selon lesquelles l’armée nigérienne avait abandonné le terrain de la lutte contre le terrorisme pour s’emparer du pouvoir : «Cela n’est pas exact.»

Supprimer du budget les dépenses superfétatoires

En ce qui concerne la situation économique et financière du pays, Lamine Zeine s’est étendu sur l’endettement du Niger «qui étouffe notre économie.» «Nous sommes aujourd’hui à un stock de dette estimé à 5200 milliards de francs CFA (8 milliards d’euros). Il est composé de 3200 milliards de dette extérieure et 2000 milliards de dette intérieure.» Se souvenant de son bilan au ministère des Finances au coup d’Etat du 18 février 2010, il a précisé qu’à cette époque «le stock de dette extérieure était évalué à moins de 300 milliards tandis que la dette intérieure était de moins de 2 milliards de francs.» Du fait de ce ré-endettement, le service de la dette est évalué, a-t-il dit, à 858 milliards de francs CFA par an (environ 1 milliard 300 millions d’euros). «La masse salariale payée entre janvier et juillet s’établit à 266 milliards. Les ressources internes mobilisées par les régies financières se situaient fin juillet à 524 milliards», a-t-il poursuivi. «Les deux mois, fin juillet et août, nous avons par le biais de l’effort de mobilisation des ressources internes assuré les paiements des salaires de la fonction publique et des forces de défense et de sécurité.»

Il a ajouté que le ministère des Finances s’était vu confier deux actions urgentes : l’élaboration d’une loi de finance rectificative «pour intégrer les nouveaux besoins et faire partir tout ce qui est superfétatoire» et, parallèlement, la préparation de «la loi de finances 2024». Le deuxième chantier concerne «un programme de résilience pour la sauvegarde de la patrie.» Ce programme «va intégrer tous les besoins des Nigériens pour que nous puissions ensemble sortir de cette situation en tenant compte de l’embargo qui vous le savez est injuste, illégal, inhumain, inacceptable.»

Le Premier ministre a enfin affirmé que toutes les dispositions étaient prises pour assurer une très bonne rentrée, dans moins d’un mois,  aux niveaux supérieur, secondaire et universitaire. Les deux ministres en charge de l’Education et de l’Enseignement supérieur ne sont pas des politiques mais des personnalités respectées dans ce secteur. 

Après ce rapide point, Lamine Zeine a répondu à un flot de questions sur tous les sujets.

Sur la dette, dont le montant a semblé le stupéfier lui-même, il a précisé que des instructions avaient été données «au ministre délégué de faire très rapidement une évaluation stricte et de procéder à une renégociation de ces dettes.» Il s’est montré optimiste pour la suite, ajoutant que «si le Niger se mobilise assez pour assurer ses dépenses de souveraineté, rien ne l’empêchera d’honorer ses engagements vis à vis de ses partenaires.»

Des sanctions injustes et illégales

En ce qui concerne les pressions intenses de la communauté internationale qui ont conduit à  abattre un arsenal de sanctions très lourdes sur le pays, le ministre s’est efforcé de démontrer, par un rappel historique, l’injustice de ces sanctions à l’égard d’un pays, le Niger, qui s’est toujours montré engagé dans l’intégration régionale.

«Dommage que notre grand voisin pays ami, le Nigéria, s’associe à cette entreprise de démolition», a-t-il dit, déplorant, en particulier, la rupture du contrat d’approvisionnement de l’électricité «qui date de Diori Hamani», le premier Président du Niger. «Vous avez coupé l’electricité. Ce n’est pas nous que vous pénalisez. Vous pénalisez le boutiquier du coin, la femme qui a son petit commerce de poisson, les pharmacies. Ce n’est pas acceptable. L’approvisionnement en énergie électrique est un aspect purement commercial entre deux sociétés. C’est un accord commercial que le Nigéria a foulé du pied.»

Concernant les discussions avec la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, il a évoqué la venue de plusieurs délégations ainsi que l’envoi d’une délégation du Niger. «Les discussions avancent dans le bon sens et je pense que, très bientôt, cette question sera résolue.» Il a remercié les efforts de l’Algérie qui a proposé un plan de sortie de crise pour faire avorter le projet d’intervention militaire de la CEDEAO. Il a également rappelé que des plaintes avaient été déposées pour contester les sanctions ordonnées par la CEDEAO et l’UEMOA. Le Mali avait gagné son procès devant la cour de justice de l’UEMOA contre des sanctions de même nature en 2022. «Le traité de la CEDEAO n’a nulle part prévu cette batterie de mesures comme celles prises par l’organisation avec la fermeture des frontières, le gel des avoirs, les embargos sur les médicaments et les vivres et même une menace d’intervention armée contre un Etat membre.»

L’espoir d’un départ rapide des forces françaises

«Aucun pays au monde n’a été sanctionné comme le nôtre l’a été ces dernières semaines. Ca ne se justifie pas qu’on empêche un pays de disposer des médicaments. Ca ne se justifie pas qu’on empêche un pays d’importer de la nourriture pour ses populations», s’est-il exclamé. «Par un moyen ou par un autre, légaux, nous sommes en train de mobiliser les ressources pour faire face à ça. Le ministre en charge du Commerce a été instruit pour s’assurer de la disponibilité de toutes les denrées alimentaires de 1ere nécessité et il est prévu l’opération de vente à prix modéré et dans les zones où cela s’exige, que la distribution soit gratuite.»

Lamine Zeine a eu des mots contrastés à l’égard de la France, l’un des pays les plus engagés dans le projet d’intervention militaire, qui refuse de reconnaître les autorités issues du putsch, réclame le rétablissement du Président Mohamed Bazoum à son poste et refuse de rapatrier son ambassadeur, déclaré non grata et désormais dépourvu de statut diplomatique à Niamey.

Evoquant les forces françaises déployées au Niger dans le cadre de la coopération anti-terroriste, il a rappelé que «le gouvernement avait déjà dénoncé les accords qui leur permettent d’être sur notre territoire. Elles sont dans une position d’illégalité. Et je pense que les échanges qui sont en cours devraient permettre très rapidement que ces forces se retirent de notre pays.»

Paris a reconnu mezzo voce, mercredi, que des mouvements étaient en cours, discutés entre les deux armées, pour déplacer une partie des hommes et du matériel militaires français déployés au Niger.

«En ce qui concerne l’ambassadeur, je pense qu’il n’y a rien à faire. Il n’a pas eu le comportement adéquat en tant que diplomate. Moi-même, j’ai demandé, pour préserver les relations entre Etats –  la France est un pays avec lequel nous avons toujours développé des relations de coopération – j’ai demandé au ministère des Affaires étrangères de lui envoyer un message officiel pour l’inviter à venir échanger avec nous, voir dans quelle mesure on pourrait procéder à un règlement, une désescalade. Il a refusé de le faire. C’est un comportement de mépris et ce n’est pas acceptable. Donc toutes les mesures qui doivent être prises envers un diplomate manquant au devoir de sa charge le sont et nous attendons simplement que ce partenaire non valable quitte notre pays le plus rapidement possible.»

Faire la lumière sur l’utilisation des ressources publiques

Répondant à des questions pressantes sur les mesures prises par les autorités concernant les détournements de fonds et la corruption reprochés au régime renversé, l’une des grandes revendications de la population qui manifeste dans les rues, il a répondu, là encore, avec modération. «S’agissant des audits, les instructions sont données, non pas pour faire la chasse aux sorcières, mais pour savoir l’usage qui a été fait des ressources publiques. Vous pouvez compter sur nous. La justice sera saisie pour  examiner les dossiers des inspections d’Etat, les rapports de la Cour des Comptes et tout ce qui est en lien avec la gestion des biens publics, tout en acceptant le droit des personnes concernées d’exercer leurs droits contradictoires.»

Il a salué le prochain retour de Hama Amadou, la personnalité morale de l’opposition, qui avait été emprisonné lors du scrutin de 2016 et interdit de se présenter, pour cause d’inéligibilité, en 2021. Hama Amadou a passé l’essentiel des dix dernières années en exil et en prison. Il a été le Premier ministre de Lamine Zeine dans les années 2000 et ce dernier  a jugé normal qu’il «rentre au pays pour participer à l’effort de mobilisation de toutes les énergies.»

Au-delà de Hama, la bête noire du parti rose au pouvoir depuis douze ans, le gouvernement a été instruit de décrisper la situation en libérant tous les prisonniers politiques.

Un dialogue inclusif, déjà annoncé par le général Tchiani lors de son allocution publique il y a quelques semaines, sera organisé pour discuter «de toutes les questions intéressant la vie de la nation. Il s’agit de refonder notre pays, notre nation et la détermination est sans faille. Tout le monde prendra part au dialogue.»

Revenant sur le risque d’intervention militaire étrangère, le Premier ministre a mis les choses au point. «En tant que gouvernement responsable, on s’attend à tout moment à ce que le pays soit attaqué et c’est ce qui est dommage. Toutes les dispositions sont prises pour que nous puissions nous défendre. Ce serait une guerre injuste si on décidait de nous attaquer. Nous sommes en pourparlers pour que la raison soit entendue», a dit le Premier ministre, précisant que «ces pays qui poussent (en faveur de l’option militaire) sont 3 ou 4 sur les 15 membres de l’institution communautaire.» «Mais nous sommes déterminés à nous défendre si jamais il y a une attaque et on ne parle pas au hasard.»

L’ambassadeur de France n’a pas à rester

Répondant à une question d’un journaliste français sur la situation de l’ambassadeur Sylvain Itté, il a martelé, un peu plus vif que dans son propos antérieur : « le gouvernement français peut raconter ce qu’il veut. Ce qui nous intéresse c’est si c’est possible de maintenir une coopération avec ce pays avec lequel nous avons partagé énormément de choses. Mais vous ne pouvez pas exiger, une fois qu’on a dit qu’un ambassadeur qui s’est mal comporté, on lui demande de partir, il n’a pas à rester ici. C’est chez nous. Vous pensez qu’on va envoyer la police rentrer dans l’ambassade ? Non, nous sommes respectueux de la réglementation. Nous reconnaissons que c’est un territoire français. Personne n’ira à l’intérieur. Mais votre ambassadeur s’il sort, c’est une personne en situation irrégulière. Imaginez qu’un Nigérien se présente à l’aéroport de Paris sans visa, sans passeport. Vous allez le laisser circuler? On souhaite simplement que très rapidement la raison prévale, que cette personne se dise qu’elle n’a rien à faire chez nous.»


Concernant le dialogue engagé avec la CEDEAO, il a expliqué que l’organisation ouest-africaine avait posé 3 conditions préalables à l’ouverture d’un dialogue. «La 1ere, il faudrait qu’on fasse preuve d’ouverture et de disponibilité pour que les échanges se fassent. La 2e, ils voulaient voir l’ancien Président parce qu’en Occident, on a dit que l’ancien Président est dans une cave, qu’il était malade, etc. Et ils ont posé comme condition qu’il fallait qu’ils aient accès à lui. Et la 3e condition, il fallait avoir une idée de la période que prendra la transition. Sur cette question, le chef de l’Etat l’a dit, il demande aux Nigériens qui vont se retrouver de travailler sur une période qui ne saurait excéder trois années. Il n’a jamais dit ‘trois ans, il faut faire trois ans’. C’est un plafond qui a été indiqué et par tradition, on connaît la durée des transitions qui ont eu lieu dans le pays. A l’intérieur de ça, les Nigériens décideront. Pas quelqu’un d’autre.»

[1] Toutefois, le Président Bazoum ne s’était pas caché de négocier avec les groupes armés terroristes, en particulier l’Etat islamique au Sahel, très actif dans la région des trois frontières, y compris en libérant certains combattants. On dispose de très peu d’informations et de données précises sur les détails de ces négociations qui semblent, cependant, avoir joué un rôle dans la frustration de certains officiers nigériens contre le régime. .