Algérie, des législatives entre mirage démocratique et brutalité policière

Les élections législatives du 12 Juin prochain revêtent un intérêt existentiel pour le haut commandement de l’armée algérienne (ANP) qui tient âprement à son déroulement dans le délai imparti.

Certaines voix ont tenté en vain de jouer la carte de leur report à l’automne. Le rapport de force a penché du côté du haut commandement. Si les précédente législatives du 4 mai 2017, organisées par Said Bouteflika, le frère de l’ex Président,  et son clan, ont enfanté un parlement croupion au service des oligarques, celui du 12 juin prochain sera un parlement mis en place par la seule volonté de l’Etat major garni d’élus jeunes et inexpérimentés. Les partis politiques, jouant traditionnellement le rôle de relais, feront de la figuration parlementaire.

Chengriha, chef d’orchestre

Si le président Tebboune a dissout le parlement et a convoqué le corps électoral dès son retour d’Allemagne, c’est pour desserrer l’étau sur son éventuel remplacement tant la question était âprement posée à l’époque. Depuis, il s’est éclipsé laissant place au Général Chengriha occuper l’espace médiatique par des tournées dans les régions militaires et des discours enflammés dans les casernes, des improvisations qui nous rappellent son prédécesseu, le général Gaïd Salah aujourd’hui disparu. Le slogan revendiqué chaque vendredi par la pression populaire « pour un État civil, non militaire » devient ainsi une réalité avérée. 

Durant sa dernière intervention, lors d’une inspection effectuée dans la première région militaire, la plus importante car incluant la capitale, le chef d’Etat-major a demandé ouvertement aux chefs militaires de veiller à toute tentative perturbant le bon déroulement des législatives du 12 Juin. « Notre pays va vivre dans les prochains jours une élection importante. Ces élections législatives seront un événement national d’une importance capitale pour notre pays. Elles marqueront également une halte encourageante dans la construction de l’Algérie nouvelle ». Dixit le chef de l’ANP. Et il ajoute, « il est du devoir des membres de l’armée d’accomplir leur obligation de citoyen, comme il est aussi de leur devoir de garantir la sécurité et la stabilité des opérations de vote. Ils doivent également appliquer strictement les instructions du haut commandement en veillant à mettre hors d’état de nuire toutes les tentatives tendant à perturber le bon déroulement de l’élection ». Une menace clairement déclarée.

Le discours de Chengriha tend à renforcer la cohésion de l’ANP déstabilisée par plus de deux ans de guerres intestines entre les clans qui se partagent le haut commandement, les services de sécurités, la gendarmerie. Les mises en cause des généraux devant le tribunal de Blida ont laissé des traces. On y trouve pêle-mêle, des généraux condamnés, d’autres affranchis, et certains innocentés par une justice militaire aux ordres.    

L’ANIE, un organe à caution

A chaque élection algérienne, le pouvoir crée une instance décorative jouant le rôle de faire-valoir. Ainsi on a assisté à la création de  la commission nationale de surveillance des élections législatives (CNISEL) qui entérine la fraude électorale de 1997 et la naissance du RND, qui rafle deux mois d’existence la majorité des sièges. Ce que feu Aït Ahmed, l’opposant historique adossé à son bastion kabyle, avait résumé d’une boutade: « le RND est un nouveau né venu au monde avec ses moustaches » fabriqué de toutes pièces par les militaires. La CNISEL été remplacée par La Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE) qui sévit sous l’ère Bouteflika. Désormais l’autorité nationale indépendante des élections (ANIE), dirigée par Mohamed Chorfi ancien ministre de la justice de Bouteflika, assure la continuité des précédentes instances de régilation.

L’ANIE déploie tous ses efforts pour mobiliser les algériens à voter le 12 Juin prochain. Le spectre du boycott, à l’image des élections amendant la constitution, est dans l’esprit des détenteurs maîtres du pays. Plus de 80% des algériens ont tourné le dos à une constitution élaborée dans les arcanes des chambres obscures loin des lumières exigées par la jeunesse du hirak. Justement, c’est cette jeunesse contestataire que Monsieur Chorfi, président de l’ANIE, veut coopter. Il lui propose le remboursement à hauteur de 30 millions de centimes pour tous les candidats de moins de 40 ans. Constatant le manque d’engouement des candidatures, il prolonge d’une semaine le retrait des candidatures ainsi que le recueil des signatures.

Tentations autoritaires

L’ombre de la prochaine chambre législative du pays prend forme lors de la conférence de presse du président de l’ANIE où il révèle les listes des candidats ainsi que les motifs du rejet de certaines candidatures. L’ANIE a validé 1483 sur 4900 qui étaient présentées, 646 présentées au titre des partis politiques et 837sur des  listes indépendantes. L’objectif est d’affaiblir le rôle des partis traditionnels, le FLN ou ke RND, dans le prochain parlement à configuration fragmentaire qui permettrait au pouvoir réel, à savoir l’ANP, de manœuvrer à sa guise dans l’élaboration des lois.  

L’Armée a assurément besoin d’avaliser aux forceps les nouveaux articles introduits dans la nouvelle constitution, notamment ceux relatifs aux questions de sécurité et de défense. L‘article 30 lui octroie le pouvoir d’intervenir dans le champ politique  sur le mode des pronunciamentos latino-américains des années 70 et 80. « L’armée défend les intérêts vitaux et stratégiques du pays conformément aux dispositions constitutionnelles », rappelle le texte qui justifie l’intervention de l’armée en cas de crise.  

 L’article 31 qui rappelle que « l’Algérie se défend de recourir à la guerre pour porter atteinte à la souveraineté légitime et la liberté d’autres peuples ». Les engagements pris par les chefs militaires de participer aux opérations extérieures, assurément au Sahel, leur donneront  une légitimité plus forte sur le plan international. Le président Tebboune a promis que ces dispositions  feraient l’objet d’une approbation des deux tiers par les parlementaires.

Seule une assemblée fragmentée où les partis affaiblis et des indépendants isolés auraient pour seul rôle d’entériner les projets gouvernementaux, laisserait vraiment les mains libres au pouvoir militaire.