80% des Iraniens vivent en dessous du seuil de pauvreté

D’après Hamid Enayat, figure de l’opposition au régime iranien à Paris et universitaire reconnu, les mollahs au pouvoir à Téhéran sont menacés s’abord par la montée du mécontentement populaire dans le pays.

« Le régime iranien n’a jamais pris l’initiative de révéler lui-même ses sites nucléaires »

Mondafrique Quelle est votre évaluation au sujet des éventuels aspects militaires du programme nucléaire iranien ?

Hamid Enayat Dès le début, le régime iranien a eu pour objectif de construire une bombe atomique. Ce projet était complètement secret, et si le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) n’avait pas révélé ce projet secret pour la première fois en 2002, le régime iranien aurait déjà construit sa bombe stratégique. L’insistance sur l’enrichissement de l’uranium à 20%, 60% et 90% montre clairement les dimensions militaires de ce funeste programme.

Le régime iranien n’a jamais pris l’initiative de révéler lui-même ses sites nucléaires. Ce sont l’opposition iranienne et les autres instances qui l’ont fait à sa place et à son grand dam.

Mondafrique Comment évaluez-vous l’atmosphère sociale en Iran à la fin des sept cycles de négociations nucléaires ?

H E Des centaines de milliers d’enseignants et les couches conscientes de la classe moyenne ont récemment manifesté à travers l’Iran. La convocation de l’équipe de négociation iranienne le 16 décembre, qui a surpris tout le monde, serait notamment due à cette manifestation à l’échelle nationale.

Le salaire moyen des enseignants en Iran est de 6 millions de Tomans (monnaie iranienne) et le seuil de pauvreté officiellement est un salaire de 12 millions de Tomans. Il y eu aussi le soulèvement des habitants d’Ispahan et du Khouzistan en raison du manque d’eau, ainsi que la révolte des habitants du Baloutchistan en raison des discriminations. La société iranienne est une société explosive. C’est pourquoi le Guide suprême des mollahs est devant un gravissime dilemme.

Mondafrique. Quelles solutions d’offre au régime de Téhéran? 

H E Ou bien il doit répondre positivement aux demandes des P5 + 1, démanteler son infrastructure nucléaire et ses missiles balistiques et renoncer à son influence déstabilisatrice dans la région – dans ce cas, comme l’a dit le Guide suprême, il doit s’engager dans une reculade sans fin et notamment répondre aux demandes du peuple réprimées d’Iran.

Au cours du massacre des prisonniers politiques en 1988, plus de 30 000 intellectuels ont été exécuté et de plus en plus de voix s’élèvent pour demander des comptes aux auteurs de crime contre l’humanité qui sont toujours à des postes clés à Téhéran.

Sa deuxième option est de ne pas céder aux exigences des P5 + 1 et tenter de gagner assez de temps pour obtenir suffisamment d’uranium enrichi pour construire sa première bombe atomique. Pendant ce temps il risque de faire perdre patience à l’ « armée des affamés » constituée par pas moins de 80% des Iraniens qui croulent sous la misère et peuvent se révolter à tout moment. Si en 2019 le Guide suprême a pu mater la population en ordonnant de tirer sur les jeunes insurgés, cette fois les vagues de protestations sera bien plus violentes et risque d’emporter le régime intégriste.

Mondafrique Pourquoi malgré le fait que l’Iran soit confronté à une situation économique alarmante, le régime n’est pas pressé pour conclure un accord ?

H E  Au cours des 43 dernières années, le régime iranien s’est toujours appuyé sur deux piliers. Une répression brutale à l’intérieur et l’exportation du terrorisme et l’instabilité à l’extérieur. Si l’un de ces deux piliers est rompu, le régime basculera. L’équilibre des forces en 2022 a beaucoup changé depuis 2015. Dans un nouvel accord, les P5 + 1 chercheront à démanteler les infrastructures nucléaires et balistiques du régime et à faire barrage à son influence régionale déstabilisatrice. Mais le régime iranien ne veut pas l’accepter. Car le dictateur iranien sait que céder à ces conditions revient à amputer un pilier de son régime. C’est ce qui a appelé le « danger d’une reculade sans fin ». C’est pour cela qu’il traîne les pieds dans les négociations afin de pouvoir contraindre les p5 + 1 à respecter l’accord de 2015, tout en continuant à produire de l’uranium enrichi pour construire la bombe fatale. C’est l’essence de ses efforts.

Mondafrique. Ces derniers mois, on a pu constater des manifestations anti-gouvernementales dans diverses régions d’Iran. Cela pourrait-il influencer le processus de négociation ?

H E Le comportement étrange de l’équipe de négociation iranienne, comme son départ soudain de Vienne le 16 décembre dernier, ou le fait qu’il ait reporté les pourparlers de huit mois sous prétexte de l’entrée en fonction du nouveau cabinet, sont dus à la situation explosive dans le pays. Des protestations sociales de grande ampleur ont paralysé le régime iranien ces derniers mois. Quand l’Ayatollah Khomeiny, le fondateur du régime, a été forcé d’accepter le cessez le feu avec l’Irak en 1988, il a dit avoir été obligé de « boire le calice de poison ». Aujourd’hui, on dit à Téhéran que si le régime veut s’entendre avec le P5 + 1, il devra également boire le calice de poison et accepter ses conséquences.

Mais s’il refuse de céder, il devra tôt ou tard accepter un autre soulèvement populaire, qui pourrait emporter cette fois la théocratie. D’autant plus que les Unités de résistance de l’opposition iranienne, à l’instar de la résistance française, sont désormais disséminées dans tout l’Iran. Le régime craint qu’à la moindre étincelle, la Résistance iranienne ne cherchent à prendre le contrôle de la situation.

Mondafrique Il y a un an, on disait qu’avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Biden, le processus s’accélèrera pour parvenir à un accord nucléaire rapide. Cela ne s’est pas produit…Pour quelles raisons? 

H E La communauté internationale s’est rendu compte que l’accord imparfait de 2015, a non seulement échoué à empêcher le régime dans sa dérive nucléaire, mais lui a donné l’occasion d’étendre son réseau de milices extrémistes dans la région du Moyen Orient, grâce notamment à l’argent du pétrole. Il a développé un système de missiles avancés et nous constatons aujourd’hui qu’il veut passer à l’enrichissement à 90% de l’uranium. Ainsi, la communauté internationale, et en particulier les pays de la région, ont compris qu’aucun autre accord ne peut être évoqué sans le démantèlement complet du programme nucléaire de Téhéran et la cessation de son activité déstabilisatrice dans la régionale. Ces jours-ci, le régime iranien a fait semblant de céder à un accord intérimaire proposé par les Etats-Unis. Cela vise encore à gagner du temps pour le régime. Mais je ne pense pas que les mollahs puissent tromper cette fois la communauté internationale.

Mondafrique À votre avis, quelle est la solution ultime à la crise nucléaire iranienne ?

H E Le scénario le plus probable et le seul que je puisse imaginer est un changement de régime qui proviendrait de l’intérieur du pays par les Iraniens eux-mêmes. C’est la situation explosive à l’intérieur de l’Iran et les unités de résistance qui détermineront le sort de l’Iran et de la région. Un Iran non-nucléaire et en paix avec son peuple et ses voisins est une perspective tout à fait plausible.

 

 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)