Quatorze ans après le soulèvement qui a chassé Ben Ali, la Tunisie célèbre une date hautement symbolique, marquée cette année par des manifestations contre la répression du président Kaïs Saïed.
Le 14 janvier 2025, date emblématique marquant l’anniversaire de la révolution tunisienne de 2011, Sihem Ben Sedrine, présidente de l’Instance Vérité et Dignité (IVD), a entamé une grève de la faim illimitée depuis sa cellule à la prison de Manouba, près de Tunis. Par cet acte, elle proteste contre son incarcération injuste et arbitraire, reposant sur des accusations infondées et des procédures entachées d’irrégularités.
Voici le président tunisien, Kaïs Saïed, qui, sur fond d’une faillite économique retentissante et d’un populisme crapuleux contre les migrants, détecte chaque jour ou presque des complots et des tentatives d’assassinat pour expliquer les pénuries grandissantes ou les résistances à ses dérives autocratiques.
Où s’arrêtera la folle spirale répressive du chef de l’État tunisien qui a accaparé l’essentiel du pouvoir depuis son coup de force du 25 juillet 2021? Certes, ses récentes attaques indignes contre les migrants sub-sahariens, sources de tous les maux, lui valent un regain momentané de popularité auprès de certaines franges de la population tunisienne. Kaïs Saîed a même rallié ainsi le soutien du gouvernement italien d’extrême droite trop heureux de le voir contenir les flux migratoires. Pour le reste, le président tunisien, discrédité chez les occidentaux, est de plus en plus isolé sur le plan international. À l’exception du soutien discret des régime séoudien qui boucle les fins de mois de l’État failli et iranien et de l’engagement à ses cotés des services secrets algériens devenus omniprésents à Tunis.
Sihem Ben Sedrine, cette icone
Le14 janvier 2011, le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali renonçait au pouvoir sous la pression populaire et s’envolait précipitamment pour l’Arabie saoudite. Une fuite qui fut le point d’orgue d’une révolution qui trouve ses prémices dans le sort tragique de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de fruits et légumes qui s’immola par le feu un mois auparavant pour protester contre l’ultime humiliation infligée par une administration corrompue.
La révolution tunisienne, inédite de par sa rapidité et sa forme, inaugurant l’interaction entre les réseaux sociaux et la rue, avait été le point de départ d’une vague de contestation qualifiée de « printemps arabe » en Occident, et qui a touché plusieurs pays, du Maroc au Moyen-Orient en passant par l’Égypte.
Sihem Ben Sedrine, âgée de 75 ans, est une figure de la lutte pour les droits humains en Tunisie. Opposante farouche au régime de Ben Ali, elle a contribué à concrétiser les objectifs de la révolution tunisienne, notamment en présidant l’IVD de 2014 à 2018. Cet organisme a joué un rôle important dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle en Tunisie, documentant les graves violations des droits humains commises entre 1955 et 2013 et transmettant 205 dossiers aux juridictions spécialisées dans lesquels sont poursuivis plus de 1000 responsables sécuritaires. Malgré ses contributions majeures, elle fait face à un acharnement judiciaire manifeste visant à discréditer la justice transitionnelle et à perpétuer l’impunité pour les crimes passés.
Manifestation contre la répression
Des dizaines de manifestants se sont rassemblés à Tunis ce mardi pour célébrer le 14ᵉ anniversaire de la révolution de 2011 et dénoncer la répression politique sous le président Kaïs Saïed. Cette mobilisation intervient alors que le président tunisien a supprimé la commémoration officielle du 14 janvier pour la remplacer par le 17 décembre, date de l’immolation de Mohamed Bouazizi et point de départ des soulèvements populaires à travers tout le pays.
À l’appel du Front de salut national (FSN), coalition d’opposition dont fait partie le parti islamiste Ennahdha, les protestataires ont exigé la libération des détenus politiques. Des slogans comme « Libertés ! » et « Fidèles au sang des martyrs » ont résonné sur l’avenue Bourguiba, encadrée par une forte présence policière.
Les manifestants brandissaient des portraits de figures incarcérées, telles que l’ancien Premier ministre Ali Larayedh et le juriste Jawher Ben Mbarek, accusés respectivement dans un dossier qui concerne l’envoi de djihadistes en Syrie et de complot contre la sûreté de l’État.
Sihem Ben Sedrine, autre détenue politique, a choisi pour sa part cette date emblématique pour entamer une grève de la faim depuis sa cellule à la prison de Manouba, près de Tunis. La présidente de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) souhaite par cette action protester contre son incarcération jugée injuste et arbitraire par le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT).
L’inquiétant président Saïed
Selon l’expression consacrée par le livre d’Hatem Nafti, « notre ami Kaïs Saïed, essai sur la démocrature tunisienne » (éditions Riveneuve, 2024), l’homme incarne depuis son accession au pouvoir en 2019 une « démocrature » marquée par un populisme exclusif, une justice muselée et une rhétorique complotiste. Sous couvert d’assainissement, le président tunisien a érodé les contre-pouvoirs, transformant la justice en un outil pour réprimer ses opposants. Cette stratégie s’accompagne d’une vision populiste où le « peuple » se limite à ses partisans, même minoritaires, comme l’illustre l’adoption d’une nouvelle constitution avec seulement 28,5 % des voix rapportées au corps électoral.
Kaïs Saïed a également exacerbé les tensions raciales avec des politiques migratoires fondées sur la théorie du « Grand Remplacement », dénoncées comme racistes et discriminatoires. Cette approche, bien que critiquée, trouve un soutien implicite chez certains partenaires européens, qui privilégient la coopération migratoire au détriment des droits humains.
Le régime de Saïed s’appuie enfin sur un discours conspirationniste, accusant des complots externes pour justifier les échecs internes. Cette méthode lui permet de consolider son autorité, tout en détournant l’attention de la grave crise socio-économique que traverse le pays, héritage d’une révolution pourtant portée par des aspirations démocratiques et sociales.