Depuis son accession au pouvoir, Al-Sissi mène une répression féroce contre les Frères Musulmans (FM) qu’il accuse de tous les maux. Mais les Salafistes du Parti « Ennour*, un courant politique d’extrême droite au regard duquel les FM font pâle figure, n’ont rien à craindre !
Une chronique de Rabha Attaf, grand reporter et auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée »
Depuis la destitution brutale de feu le président Mohamed Morsi, le parti populiste Ennour, d’inspiration salafiste, fait preuve d’un appui indéfectible au maréchal Al-Sissi, soutenant successivement, en 2014 puis en 2018, la candidature de ce dernier aux élections présidentielles. Un partage des taches s’est opéré entre le Président égyptien et le courant salafiste. Au premier, adossé à l’armée, le pouvoir régalien; aux seconds, bien implantés dans les mosquées, les clés de la vie sociale qui dans l’Égypte actuelle, est soumise aux valeurs coraniques les plus conservatrices.
Le pouvoir égyptien est souvent perçu par ses alliés occidentaux, notamment la diplomatie française, comme un rempart contre l’idéologie islamiste dans la mesure où le maréchal Sissi, en prenant le pouvoir en 2013, a pourchassé et enfermé les Frères Musulmans qui lors du printemps arabe, avaient réussi à faire élire un des leurs à la Présidence. La réalité, la voici: le dictateur égyptien qui a adopté une posture hostile à l’islam politique, défend dans les faits, via ses alliés salafistes et grâce à une police omniprésente, les valeurs les plus rétrogrades, qu’il s’agisse du maintien de la peine de mort, de la situation des femmes ou des droits des homosexuels.
Opportunistes toujours
L’opportunisme des dirigeants d’Ennour ne date pas d’hier. Alors que le mouvement salafiste faisait partie prenante du gouvernement de coalition constitué fin 2012 sous la présidence dMorsi pour défendre « l’identité islamique » de l’Egypte lors des discutions houleuses sur la nouvelle constitution, les mêmes firent rapidement volte-face. Début 2013, ils s’étaient en effet rapprochés des libéraux du Front de Salut National, reprenant à leur compte les accusations d’ « hégémonisme » et de « frérisation de l’État ».
Dès lors, pas étonnant qu’on les retrouve positionnés pour réclamer la démission du président Morsi. Et ce, une semaine avant la manifestation orchestrée du 30 juin 2013 annonciatrice du coup d’état militaire. Dès le lendemain du coup de force, Ennour se joignait aux partis d’opposition pour le tour de table organisé par le Conseil suprême des forces armées en vue de la composition d’un gouvernement par intérim. Son président, Yunis Makhyun, figurait même aux côté du pape copte, du cheikh d’Al-Azhar et de Mohamed Al-Baradey -chef de file du Front de Salut National- pour servir de caution civile lors de l’annonce par le maréchal Al-Sissi de la destitution de Morsi.
Mais finalement, les représentants du parti salafiste claquèrent la porte à cause de la probable nomination de Mohamed Al-Baradei, considéré par eux comme la figure de proue du camp laïc.
Un jeu d’équilibristes
Ennour avait ensuite dénoncé, devant le siège de la garde-républicaine au Caire, les massacres des partisans du président déchu, survenus du 3 au 5 aoùt sur les places Nahda et Rabea Al-Adawiya, certainement pour ne pas se couper de sa base et justifier son retrait. Dans le même temps, les manifestants étaient priés de rentrer chez eux « pour protéger la paix sociale ».
A ce jeu d’équilibriste, le parti Ennour s’est mis à dos les autres mouvements du camp islamiste, notamment les Gami’a islamiya (groupes islamiques) et le Hezb Ettawra (Parti de la révolution) de Hazem Abou Ismaïl, le candidat évincé de la première présidentielle post Moubarak. Ces formations politiques soutenaient le président Morsi, pas forcément par adhésion, mais parce qu’il était un solide rempart à leur éventuelle répression. Sans oublier qu’une grande partie de sa base, dépitée par les retournements et les calculs politiciens de ses dirigeants les accuse de trahison. Le fait est qu’aux dernières élections législatives, l’électorat d’Ennour a fondu. Mais malgré de sérieuses défections, Ennour a maintenu le cap. La répression sanglante qui s’est abattue contre leurs « frères en religion » a eu, certainement, l’effet fulgurant de leur indiquer la voie de la lumière !
LA DEMOCRATIE « IMPIE » DES SALAFISTES D’ENNOUR
Ennour (La Lumière) a surgi d’une soudaine dissidence, peu avant les élections législatives de fin 2011 où ils firent un score de 25% des suffrages. A l’époque, l’annonce de ce nouveau parti dans un climat d’effervescence « révolutionnaire » avait surpris les observateurs avisés de la scène égyptienne. L’organisation qui lui donna naissance, « Al-daawa al-salafiya » (la prédication salafiste ), avait en effet toujours rejeté le jeu partisan, et ses cheikhs s’étaient ouvertement prononcé contre la démocratie, considérée par eux comme étant un « système impie ».
Les Salafistes sont en effet traditionnellement des piétistes prônant une réforme de la société par la « daawa » (la prédication) et l’exemple, en dehors du champ politique. D’où cette théorie en vogue en Egypte parlant de l’existence de liens structurels entre la « prédication salafiste » et l’appareil sécuritaire égyptien. Selon les tenants de cette thèse, le création d’al-Nour serait le fruit d’une manipulation destinée à diviser le camp islamiste et à faire échouer la transition démocratique.