En Côte d’Ivoire, les groupes libanais victimes de la guerre du cacao

Une quarantaine de coopératives soupçonnées de travailler pour des hommes d’affaires d’origine libanaise ont été interdites de vente et d’achat de cacao par le Conseil café-cacao qui se défend de viser une communauté en particulier.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Le directeur général du Conseil Café-cacao, Yves Ibrahima Koné

Pourtant, les faits sont là, accablants. La quarantaine de coopératives suspendues sont en effet les seules qui sont soupçonnées de travailler pour des hommes d’affaires libanais. Ces derniers sont accusés de s’emparer des fèves et de les acheter au-delà du prix réglementé dans un contexte de pénurie généralisée de cacao qui exerce une pression considérable sur le régulateur.

Car la campagne intermédiaire n’est pas un franc succès, loin s’en faut. Les conditions climatiques médiocres et les menaces de la majorité des producteurs réclamant le relèvement du prix minimum bord-champ à 2500 FCFA ont eu des conséquences désastreuses sur la récolte et donc sur le volume de cacao disponible. Or, le Conseil café-cacao (CCC) s’attendant à récolter le quart du volume correspondant à la campagne principale, avait reporté de nombreux contrats d’exportateurs déçus à cette campagne et cédé à la demande de dédommagement des multinationales victimes de ces contrats d’achat reportés.

L’intérêt des barons locaux 

A cette double pression, il faut ajouter celle du lobby local comprenant les Kineden Commodities de Stéphane Apoque, Africa Sourcing, de Loïc Folleroux, fils aîné de la Première dame, et d’autres membres influents du Groupement des négociants ivoiriens (GNI) de Malick Tohé qui sont tous des habitués des couloirs des palais ivoiriens. Tous ayant vu leurs volumes fondre comme neige au soleil, ont appuyé là où ça pouvait faire le plus mal. La décision du Conseil garantit ainsi plus les intérêts du lobby des exportateurs qui ne sont pas contents de payer ce prix bord-champ dans un contexte de pénurie du cacao sur le marché national.

Pour preuve, l’agrément des coopératives suspendues n’est pas menacé et le CCC assure que cette suspension est temporaire. Le régulateur se défend même d’avoir ciblé les libanais exclusivement mais, bien au contraire, d’avoir sanctionné « la rétention inexpliquée des stocks au-delà de la durée admise », ainsi que « la fraude massive sur les déclarations de volumes de produits certifiés » dans le but de « bénéficier indûment de la prime de certification ». La question de la surenchère est aussi omniprésente puisque le Conseil café-cacao dit avoir frappé les coopératives qui ont payé le kilogramme au-delà du prix garanti qui est de 1500 FCFA et estime avoir empêché l’exportation illicite du cacao ivoirien vers le Libéria et la Guinée sans expliquer ce qu’a pu faire chacune de ces coopératives.

Les libanais dans le collimateur

Mais quelles que soient les explications du Conseil, la suspension des coopératives travaillant avec des libanais remet clairement en cause les acquis sur lesquels s’était forgée leur place dans la société ivoirienne. Environ 80. 000 Libanais vivent en Côte d’Ivoire, dont plus des 90 % résident à Abidjan. Cette communauté pèse entre 8 % à 10% du Produit Intérieur Brut (PIB) de la Côte d’Ivoire à travers 3 000 entreprises exerçant dans l’immobilier, l’industrie, les transports et la grande distribution, leur activité de prédilection. Et même si elle est accusée de vivre en autarcie et d’éviter les mariages mixtes, la communauté libanaise possède 60 % du parc immobilier en valeur d’Abidjan, 80 % des activités de distribution, 50 % de l’industrie, 70 % du conditionnement et de l’imprimerie.

Ils sont également très présents dans le domaine médical puisqu’une vingtaine de cliniques privées haut de gamme appartiennent à des Libanais qui participent par ce fait activement aux soins des populations ivoiriennes. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la décision du Conseil café-cacao fait l’objet de vives réprobations. Pour circonscrire les débordements, le Conseil café-cacao tente de faire peur aux médias en promettant des poursuites judiciaires à ceux qui vont relayer la mesure comme ciblant la communauté libanaise en priorité. Le Conseil veut également faire redescendre la tension en faisant savoir que la suspension du programme Fairtrade fonctionne à nouveau après une suspension d’à peine une semaine.