Tunisie, Bernard Henri Lévy sur le banc des accusés d’un procès stalinien

Dans l’affaire dite du  « complot contre la sécurité de l’État » très largement médiatisée à Tunis ces dernières semaines, de graves chefs d’inculpation ont été fabriqués contre les principaux opposants du président autocrate Kais Saïed, mais aussi, à la surprise générale,  contre l’écrivain français Bernard Henri Lévy, qui n’a pas réagi pour l’instant à cette parodie de procès teintée d’antisémitisme (ce qui ne lui ressemble pas). Les personnes citées dans ce dossier risquent la peine de mort.
Le juge d’instruction tunisien, le 15 avril 2024, vient de clôturer l’instruction et de transmettre le dossier de cette affaire à la chambre d’accusation du tribunal criminel de première instance du pôle anti-terroriste. Laquelle devrait se réunir le 2 mai pour confirmer ou infirmer ces accusations. Suivra sans doute un recours en cassation pour confirmer ou infirmer l’ensemble de la procédure,  avant la tenue d’un procès. Autant d’étapes qui ne sont pas suspensives des peines prononcées puisqu’il s’agit de terrorisme.

A chaque étape, les juges peuvent lancer un mandat de dépôt pour les personnes encore en liberté. Juridiquement, les personnes emprisonnées depuis 14 mois devraient être libérées et jugées le 2 mai par la chambre d’accusation. Laquelle pourrait décider de les incarcérer de nouveau, terrible épée de damocles pour tout opposant au pouvoir alors qu’une Présidentielle compliquée à gérer pour le régime autocratique actuel est prévue en Tunisie à l’automne prochain.

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Notre site Mondafrique s’est procuré le compte rendu de l’instruction tel qu’il a été transmis au tribunal criminel de première instance du pôle anti-terroriste de Tunis, quantre vingt pages d’élucubrations policières vite torchées. À la page 78 de ces affirmations grossières et dénuées de tout commencement de preuves, l’acte d’accusation indique: « Nous décidons et nous déclarons qu’il y a assez de preuve pour que ces personnes soient soupçonnées » de crimes particulièrement graves, dont le premier est la participation à la constitution d’une entreprise terroriste en vue de déstabiliser la sécurité interne et externe de la Tunisie.

Le 40e accusé cité est Bernard Henri Levy, dont le nom figure, en français et légèrement déformé, sous l’appellation de « Bernard Henri LIVY »..

Une liste suit où figurent les quarante noms des personnalités poursuivies. Qu’elles soient emprisonnées depuis 14 mois (Khayam Turki, Jahwar Ben Mbraek, Issam Chebbi) ou qu’elle représente le noyau dur de l’opposition historique, encore en liberté mais la plupart en exil, dont Neji Chebbi et Kamel Jendoubi qui ont joué un rôle clé dans le processus démocratique du printemps arabe des années 2011-2019. La 40e personne citée est Bernard Henri Levy, dont le nom figure, en français et légèrement déformé, sous l’appellation de « Bernard Henri LIVY »..

La liste des chefs d’accusation est actée par la signature des juges, notamment le premier assistant du procureur de la République, daté du 12 avril 2024, trois jours avant la clôture du dossier.

Le Président tunisien, obsessionnel du complot

Un procès politique

Les éléments de preuve présentés comme les plus tangibles tournent autour de rencontres qui ont eu lieu entre certains des accusés et des diplomates occidentaux, cités nommément dans le rapport d’instruction, parmi lesquels Marcus Cornaro ambassadeur de l’UE à Tunis et André Parent, ancien ambassadeur de France à Tunis. Pour preuve de son obsession à couper son pays de sa réputation traditionnelle d’ouverture vers l’étranger et notamment la France, le Président tunisien convoquait l’ensemble des ambassadeurs pour les mettre en garde contre toute ingérence dans la vie publique tunisienne. Ce qui n’a provoqué, à l’exception des Américains (1), aucune réaction des chancelleries occidentales qui avaient pourtant toujours souhaité, durant ces dernières années, accompagné la transition démocratique tunisienne.

Le Président de la République tunisien intervient régulièrement dans ce dossier dit « du complot », et encore récemment, par des déclarations publiques. Après avoir estimé que « celui qui les acquitterait était leur complice dans le crime », le voici qui martelait, lors du Conseil national de sécurité du 15 avril dernier, le jour même de la cloture du dossier,que «les procédures judiciaires (dans cette affaire) sont intègres ».

Le président de la République tunisien est revenu, jeudi 18 avril 2024 lrs de la cérémonie de célébration du 68e anniversaire des forces de sécurité intérieure, sur la nécessité d’assurer la sécurité dans le pays. « C’est un signe d’appartenance à la patrie. Cependant, nous ne pouvons rien attendre de ceux qui prétendent aimer la patrie alors qu’ils sont déjà démasqués, même s’ils tentent de manoeuvrer et de se cacher… La liberté ne signifie pas l’anarchie et l’atteinte aux institutions de l’État, encore moins la diffamation, les insultes et la propagation des rumeurs … Ceux qui aspirent à un retour en arrière n’ont qu’à vivre dans leurs illusions », a-t-il déclaré.

Des attaques antisémites 

Les extraits de l’acte d’accusation qui concernent Bernard Henri Lévy sont particulièrement indignes. L’argumentation est  manifestement délirante et clairement antisémite. Autant de dérapages grossiers qui traduisent bien la dégradation totale des valeurs politiques dans la Tunisie de KaIs Saied qui se positionne en victime d’un complot hypothétique et en défenseur de la souveraineté perdue de la Tunisie. 

« Bernard-Henri Lévy possède des investissements en Tunisie sous des noms empruntés auprès de certains juifs tunisiens, et il est lié à l’authenticité subversive et aux mouvements sécessionnistes berbères. En Algérie, il a des liens avec les groupes armés islamiques. Il fait partie des agences masquées israéliennes, comme le Mossad, le Shin Bet et les Qayyun (ceux qui mènent des opérations d’assassinat en dehors d’Israël) ».

« BHL tente depuis 2013 jusqu’il y a environ un an de s’implanter en Tunisie, en Algérie et en Libye. afin de servir l’entité sioniste et les pays qui lui sont alliés en exploitant les résultats du Printemps arabe. Il a également des liens avec certaines personnalités et institutions médiatiques, comme Sky News et BFM. Bernard Henry Levy conspire contre l’État tunisien, en perturbant la production de phosphate ».

« Le but est de nuire à l’économie tunisienne en vue de sa soumission à la normalisation avec l’entité sioniste. De plus, la personne soupçonnée, Bernard Henry Levy, a adopté l’idéologie maçonnique et est lié à certains des accusés dans cette affaire qui ont participé à certaines soirées des clubs en Tunisie, le Rotary Club et le Lions Club, intensément actifs au Moyen-Orient pour diffuser cette idéologie maçonnique qui cherche à contrôler l’économie, les politiques et les armes. »

BHL, la bête noire

Lors d’une visite au gouvernorât de Nabeul, en novembre 2023, le président de la République, Kaïs Saïed avait lui même estimé que la révolution avait échoué, attribuant cette défaillance à ce qu’il perçoit comme une collusion entre les médias qu’il a désignés comme coupables. Selon lui, les médias auraient été sollicités pour établir des alliances avec le sionisme mondial.

Durant son entretien avec la gouverneure de Nabeul, Sabeh Malek, le président tunisien, en confondant plusieurs personnalités,  a également parlé des travaux de l’assemblée constituante, précisément l’étape de l’écriture de la constitution et les visites du philosophe controversé Bernard-Henry Lévy.« On a oublié les visites de Bernard-Henri Lévy à l’Assemblée nationale constituante… Il a écrit quelques dispositions… ». Ce qui est absolument faux, BHL ne se rendant alors en Tunisie que pour rencontrer des contacts libyens.

BHL en compagnie de diverses personnalités libyennes sur une terrasse d’hôtel à Gammarth

Les medias tunisiens les plus crédibles avait alors retracé l’historique des visites de Bernard-Henry Lévy en Tunisie. La seule visite au territoire tunisien date du 31 octobre 2014, quelque mois après l’adoption de la constitution le 26 janvier 2014. Cette visite avait fait polémique en Tunisie où Bernard-Henry Lévy a été accueilli par des manifestants dés son arrivée à l’aéroport de Carthage.

Interviewé par la chaine France 24, BHL avait affirmé à ce moment-là que sa visite en Tunisie vise à poursuivre le processus de réconciliation nationale en Libye. Une image a fait le tour de la toile durant cette visite le montrant en compagnie de diverses personnalités libyennes sur une terrasse d’hôtel à Gammarth. Sur la photo, on voit Fadil Lamine, président du Conseil de dialogue national libyen, Gilles Hertzog, un proche du philosophe français, et Nouri Cheriou, une éminente figure des Amazighs libyens.

Une telle rencontre, voici dix ans avec des amis libyens, vaut à BHL de risquer une condamnation à mort. Voici le genre d’absurdité qui caractérise désormais la gouvernance du Président Kaïs Saïed.

(1) Pour l’année 2025, la diplomatie américaine a décidé de ne pas rétablir son aide au développement octroyée jusqu’en 2023 – 11,3 millions de dollars –  à la Tunisie. Dans leur proposition de budget au Congrès pour l’année 2025, publiée début mars, les équipes d’Antony Blinken ont laissé, comme en 2024, la case de la Tunisie vide dans le tableau Development Assistance.

Le capitalisme autoritaire inefficace du président Xaïs Saied