Selon le dernier rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, (ONUDC) paru en avril, le trafic de drogue explose au Sahel et dans toute l’Afrique de l’Ouest. Etonnement, ce document ne mentionne la Guinée Conakry qu’à la marge alors que ce pays longtemps considéré comme une plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe semble renouer avec son passé.
Pour établir ses constats, l’ONUDC se base essentiellement sur les saisies de drogue qui ont effectivement grimpé en flèche dans la région du Sahel. Mali, Tchad, Burkina Faso, Niger aucun pays de cette région n’est épargné. Cependant, concernant la cocaïne, ces Etats sont avant tout des routes de transit, cette drogue en provenance d’Amérique du Sud arrive par la mer et est débarquée dans les ports du Golfe de Guinée. Les autorités brésiliennes indiquent que le Bénin, le Nigéria la Guinée, et le Cabo Verde sont les destinations les plus courantes de ce trafic. En mars dernier, par exemple, la marine française, déployée dans le cadre de l’opération Corymbe, a intercepté un bateau de pêche battant pavillon brésilien qui transportait plus de 10 tonnes de cocaïne dans les eaux de cet espace maritime. Les autorités françaises n’ont toutefois pas jugé utile de nommer le pays de destination de l’embarcation. Néanmoins, plusieurs prises réalisées au Sahel montrent en effet que les véhicules arrêtés au Mali comme au Burkina Faso étaient partis de Conakry. Ce sont les seuls éléments factuels qui figurent dans le rapport de l’ONUDC. En effet, si les autorités d’un pays ne combattent pas elles-mêmes ce fléau, ne mettent pas un coup de pied dans la fourmilière en n’interceptant pas les marchandises, elles passent à travers les mailles du filet des statistiques.
Du menu fretin arrêté
Plusieurs Etats d’Afrique de l’Ouest, comme le Togo, le Bénin, le Sénégal ou encore le Niger se sont illustrés ces dernières années en réalisant des saisies record. En 2022, le directeur adjoint de l’Office antidrogue de Guinée assurait que 984 kg de cocaïne avaient été saisis. En 2023, aucun chiffre n’est disponible et les quelques arrestations connues ne concernent que des petits poissons d’origine étrangère. Le mois dernier, par exemple, un Bissao-Guinéen a été interpellé avec de la cocaïne dans ses bagages à l’aéroport Sékou Touré en provenance du Brésil sur un vol Emirates. Il a été lourdement condamné à dix années de prison.
En revanche aucun réseau n’a été démantelé sur le sol guinéen. Pourtant selon les témoignages de nombreux habitants de Conakry, les « narcos » ont pignon sur rue. Un journaliste témoigne à Mondafrique : « C’est un secret de polichinelle, tout le monde sait, même s’il est très délicat de réunir des preuves matérielles. ». Pour avoir une idée de l’importance de cette criminalité, il faut s’intéresser ajoute-t-il « aux réalisations gigantesques, aux résidences de plusieurs dizaines de millions de dollars qui sont en train d’être construites avec cet argent. »
Les forces de l’ordre mis en cause
Cela se passe au vu et au su de tout le monde et bien entendu les autorités ne peuvent pas l’ignorer. Selon un rapport de l’Enact une institution financée par l’Union européenne qui travaille sur la criminalité en Afrique : « certains responsables des forces de l’ordre auraient été impliqués dans des affaires de corruption. » Des faits que tous les guinéens constatent tous les jours. À Conakry de nombreuses histoires circulent sur l’implication des forces de l’ordre dans les trafics et au plus haut niveau. La junte militaire contrôle les deux débarcadères de Bonfi, situés près de la capitale qui sont un haut lieu de réception de ces marchandises très particulières et cela ne paraît pas beaucoup la préoccuper.
En 2022, le journal Guinée news écrivait à propos de ces deux débarcadères : « les colis sont débarqués de jour comme de nuit au su et au vu de tout le monde. » Les pirogues filent jusqu’en haute mer récupérer la marchandise en provenance d’Amérique latine et la ramènent tranquillement sur le port.
A ciel ouvert, la Guinée redevient une plaque tournante du trafic de cocaïne sans que personne ne semble s’en préoccuper, ni Mamadi Doumbouya, le président de la transition, ni les institutions internationales chargées de lutter contre la criminalité. Bruxelles devrait peut-être y regarder de plus près puisque la destination finale de cette marchandise est le marché de l’Union européenne.