Faute de toute autre alternative, le président sénégalais Mack Sall a annoncé hier vendredi son intention de se conformer à la décision du Conseil constitutionnel lui enjoignant d’organiser la présidentielle et de quitter le pouvoir au plus tard le 2 avril prochain. L’arrêt du Conseil sonne le glas de la volonté de Macky Sall de prolonger son mandat : il pourrait même conduire à la défaite du camp présidentiel.
Le président sénégalais Macky Sall méditera longtemps la sagesse populaire qui dit : à trop tirer sur la corde, elle finit par se casser. Plus qu’un revers, l’arrêt du Conseil constitutionnel est une cinglante défaite pour le président sénégalais. Effet, en un seul arrêt les juges constitutionnels ont démoli l’ambition de Macky de rester au pouvoir, bien au-delà du 2 avril 2024 qui marque la fin légale de son mandat.
Marché des dupes
Dans une sorte d’arrangement, les députés de la majorité présidentielle et ceux du Parti démocratique sénégalais (PDS) de Karim Wade se sont mis d’accords pour que Macky Sall reste au pouvoir jusqu’à 15 décembre 2024. En échange, le président sortant devait entreprendre un dialogue national en vue d’une élection inclusive. Ce qui suppose la révision de la liste des candidats à la présidentielle et ce faisant le repêchage de Karim Wade. Contre la prolongation de son bail, Macky Sall était prêt à faire libérer Ousmane Sonko et même à le remettre dans la compétition électorale. A cet effet, le militant associatif Alioune Tine et l’architecte et hommes d’affaires Pierre Goudiaby ont eu des discussions avec Sonko à la prison de Cap Manuel, près de Dakar, où est detenu le leader du Parti des patriotes africains du Sénégal pour le travail, éthique et la fraternité (PASTEF).
Afin de marquer sa volonté de conclure ce deal avec Karim Wade et Sonko, Macky Sall a déjà fait libérer plusieurs dizaines de personnes que les opposants et la société civile considèrent comme des « prisonniers politiques ». Ils seraient entre 1000 et 1500 derrière les barreaux. Les tractations en vue de ce « deal » de l’histoire politique du Sénégal n’avait pas intégré les risques de refus du Conseil constitutionnel de toute prolongation du mandat de Macky Sall.
Double défaite
Outre le refus de la prolongation du bail de Macky Sall, la décision du Conseil constitutionnelle ouvre la voie à d’autres incertitudes politiques pour Macky Sall. Elle prive ainsi le président sénégalais de toute possibilité de changer de dauphin, comme le supplie une partie de son entourage.
À la veille du lancement de la campagne électorale, la plupart des études d’opinion commandées en catimini (elles sont interdites par la loi électorale) donnaient Amadou Ba largement perdant face à Diomaye Faye, le candidat alternatif du PASTEF. Rien n’indique aujourd’hui que le Premier ministre sénégalais pourrait mettre à profit le temps qui sépare du premier tour de la présidentielle, qui ne se tiendra pas le 25 février, comme envisagé initialement, pour refaire son retard. De toute évidence, pour la majorité présidentielle, il y a bien un problème Amadou Ba.
Alors qu’il ne présente pas toutes les garanties d’une victoire à la présidentielle dans un pays où le bon profil est celui de « cogneur » et de « bête des foules », le Premier ministre a quand même été retenu unilatéralement parmi de très sérieux prétendants par Macky Sall. Dans l’entourage de Macky, ils sont nombreux à redouter que ce choix se traduisent par un désastre dans les urnes. Une défaite d’Amadou serait une double peine pour Macky Sall en ce qu’elle viendrait s’ajouter à son échec d’avoir obtenu la prolongation de son bail bien au-delà du 02 avril prochain.
Rêve brisé
Alors qu’il avait toutes les cartes entre les mains pour réussir son départ du pouvoir en organisant un scrutin libre transparent et démocratique, Macky Sall a pris l’option d’écarter ses opposants les plus sérieux, de jeter la suspicion sur la Commission électorale nationale autonome (CENA) dont il a profondément remanié la composition et de vouloir imposer son dauphin à sa majorité et au peuple sénégalais. Par ses turpitudes, le président sénégalais a totalement écorné l’image du « Sénégal vitrine de la démocratie » en Afrique francophone. Il est allé dans la répression politique et la confiscation de la liberté de la presse ainsi que des libertés à un niveau jamais atteint dans le pays. A 62 ans seulement, beaucoup voyaient le président Macky Sall rebondir à l’international après son départ du pouvoir. Certains allant jusqu’à envisager qu’il brigue en 2025 la succession du Portugais Antonio Guterres à la tête du Secrétariat général des Nations unies.
Finalement, Macky Sall devra se battre pour pouvoir rester à continuer à vivre tranquillement au Sénégal, après son départ du pouvoir le 2 avril 2024, une date qui semble non négociable.
Francis Sahel
Le Sénégal retient son souffle