Niger, le dilemme du général Tiani, longtemps protégé d’Issoufou

Alors que le coup d’Etat militaire du 26 juillet au Niger approche de son deuxième mois, le général Abdourahamane Tiani se trouve confronté à un choix douloureux entre sa fidélité absolue à Mahamadou Issoufou et la revendication de plus en plus forte de la rue pour une arrestation de l’ex-président nigérien. De la décision qui sera prise sur le sort de l’ex-président dépendra la cohésion interne à la junte. 

Que va faire désormais le général Abdourahamane Tiani ? La question revient avec insistance au Niger et bien au-delà. Et pour cause : depuis quelques semaines, chaque grande manifestation se transforme en occasion pour exiger du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) l’arrestation de l’ancien président Mahamadou Issoufou (2011-2021). Signe de l’importance prise par cette revendication : des banderoles et de T-shirts ont été confectionnés à l’effigie de l’ex-président pour exiger son arrestation. Certains allant jusqu’à exiger qu’il soit envoyé à la prison civile de Filingué, à environ 150 km au nord-ouest de Niamey : là où lui-même avait fait incarcérer son principal opposant, l’ancien Premier ministre Hama Amadou.

Circulez, rien à voir !

Pour l’instant, la junte fait le dos round et reste sourde aux demandes réitérées de la rue de voir l’ex-président Issoufou derrière les barreaux. Selon différentes sources, si la revendication de la rue nigérienne n’a toujours pas prospéré, c’est parce que le général Tiani tient coute que coute à protéger celui qui l’a fait roi.

En effet, pendant les deux mandats du président Issoufou, le général Tiani a été le chef de la garde présidentielle, le garant de la sécurité du régime, l’homme qui a déjoué toutes les tentatives de coups d’Etat (des vraies et des fausses), y compris celle du 31 mars 2021, à la veille de l’investiture du nouveau président élu Mohamed Bazoum. Sauf qu’en choisissant cette posture de protéger absolument Issoufou, le général Tiani opte pour la rupture avec une partie de plus en plus grande des soutiens de la junte qui portent cette revendication. Pour cette frange des manifestations, la sanction de la mauvaise gouvernance du régime renversé le 26 juillet passe forcément par l’arrestation de l’ex-président Issoufou qui en fut le principal architecte. Le retour à Niamey dans la nuit de lundi à mardi derniers de l’ex-PM Hama Amadou pourrait apporter du renfort à ceux tiennent l’ex-président Issoufou pour responsable de tous les maux que le Niger a connus ces 12 dernières années. Après avoir été un temps alliés, Hama Amadou et Mahamadou Issoufou sont désormais de pires ennemis.  

La junte militaire divisée

Bien plus que le divorce avec la rue, la volonté obstinée d’offrir une assurance-vie à l’ex-président pourrait ébranler la cohésion interne si fragile à la junte. Entre décalage générationnel et différence d’agendas personnels de ces 16 membres titulaires, le CNSP apparait comme un attelage vulnérable à l’épreuve du choix de demander ou non des comptes à l’ex-président Issoufou.

La personnalité du chef de la junte ajoute du reste à cette vulnérabilité. Le général Tiani n’est pas un homme populaire dans les rangs des forces armées nigériennes (FAN). Beaucoup d’officiers voient sa main dans la chasse aux sorcières organisée au sein de l’armée pendant les deux mandats de Mahamadou Issoufou. Outre des mises à la retraite d’office de plusieurs officiers supérieurs et généraux, Issoufou vait fait éloigner des militaires valeureux et aguérris dans les ambassades du Niger à l’étranger.  

Nombreux sont ceux qui pensent que le général Tiani a joué un rôle clé dans cette stratégie de « neutralisation » d’officiers des FAN qu’il a mis dans son viseur, souvent pour des raisons tout à fait personnelles. Si Tiani a été préféré à la présidence du CNSP à d’autres officiers généraux de la junte plus connus et apprécié dans les rangs tels que Salif Mody, Moussa Salaou Barmou ou Mohamed Toumba, c’est simplement parce que c’est la garde présidentielle qui est à l’origine du coup d’Etat. Rien n’indique toutefois que tous continueront à le suivre dans sa volonté obstinée à garantir le parapluie de la junte à l’ex-président Issoufou. Au risque d’un divorce total avec la rue.

 

Emmanuel Macron, l’allié objectif de la junte 

Le président français Emmanuel Macron offre un vrai répit à la junte, en persistant à refuser le rappel à Paris de l’ambassadeur Sylvain Itté et le désengagement des forces françaises au Niger. Les militaires au pouvoir à Niamey ont en effet réussi à ériger la confrontation avec la France en priorité absolue, ce qui leur permet de passer au second plan d’autres décisions importantes dont le sort de l’ex-président Issoufou. Derrière la mobilisation, qui vaut désormais consensus national, pour obtenir le départ des troupes françaises et de l’ambassadeur Itté se cache pour le CNSP un vrai répit qui lui permet de retarder le divorce avec la rue et ses tensions internes sur le sort de l’ex-président nigérien. Finalement, plus vite Macron se rangera aux appels à la raison et au pragmatisme qui commandent d’accéder aux demandes nigériennes de départ d’Itté et des 1500 soldats français, plus vite il mettra le général Tiani devant sa lourde responsabilité et son choix cornélien de devoir choisir entre, d’un côté, la protection absolue de mon mentor Mahamadou Issoufou et, de l’autre, le divorce avec la rue et la cohésion interne au CNSP. 

Francis Sahel  

2 Commentaires

  1. Je pense que Tchiani trouvera une parade pour Issoufou si la pression de la rue continue de monter pour arrêter Issoufou. Tchiani dira à Issoufou d’aller vivre à l’étranger, comme s’il avait fui son pays, ça lui permettra de dire au peuple: “il a fui la justice”, et une façon pour lui Tchiani de ménager le chou et la chèvre.
    Je dis cela, car comme vous l’avez dit dans votre article, Tchiani a été fait roi par Issoufou, il est loyal et reconnaissant envers Issoufou, et ici même dans ce magazine vous aviez parlé de ce qui peut-être des causes lointaines, profondes et immédiates de la chute de Bazoum, qui sont la main mise du clan Issoufou sur le pétrole du Niger, et Tchiani a été le pion utilisé par Issoufou pour destituer son compagnon Bazoum et pour qu’il (Tchiani) devienne calife à la place du calife Bazoum. Donc ce qui revient à dire que si ces causes s’avèrent vraies, alors le vrai parrain du coup d’État c’est Issoufou, ainsi logiquement on comprend que Tchiani ne peut pas arrêter le commanditaire d’un coup d’État dont lui est largement bénéficiaire, ça serait de la folie, l’ingratitude totale, et prendre des risques sur lui-même Tchiani si ce dernier tentait d’arrêter Issoufou.
    Pour ce qui est de Macron, comme allié, ça peut être conscient que réellement Macron soit un allié, dans le sens qu’ils font du théâtre, de la comédie sur cette affaire d’ambassadeur et des militaires français entre lui Macron et la junte pour distraire le peuple, le peuple devient juste une masse politique pour légitimer le coup d’État croyant que la junte est à leur service, au fond la réalité est que la junte est au service de la France, tenant compte de l’hypothèse justement de Issoufou commanditaire du coup d’État, et qui dit Issoufou dit la France (j’avais parlé de ce théâtre dans un commentaire de l’un de vos récents articles sur le Niger en long et en large, et le pourquoi la France ne retire pas ses troupes au Niger s’il faut qu’un pro français du clan Issoufou accède au pouvoir après la transition).
    Ou Macron est allié mais inconsciemment dans le sens que vous l’avez expliqué ici, et dans ce cas le coup d’État actuel n’a pas été l’œuvre de Issoufou mais de Tchiani lui-même, et Issoufou dans ce cas s’il ne cherche pas à remettre Bazoum du pouvoir, en conseillant Tchiani de le faire (car Issoufou a le pouvoir et l’influence sur Tchiani vues les relations entre les deux, comme vous l’avez dit dans votre article), c’est parce qu’il sait son pion Tchiani est tellement loyal à lui et qu’il ne peut le contrarier dans son règlement de compte avec Bazoum (si c’était un règlement de compte), ou dans son initiative de coup d’État pour des raisons que les putschistes ont expliquées pour destituer Bazoum. Voilà mon analyse.

  2. Tout à fait vrai, ce que voud dites, surtout concernant ce que les Nigériens appellent désormais « l’Union sacrée », c’est-à-dire mettre en sourdine toutes les divergences, de quelque nature qu’elles soient, pour obtenir d’abord et avant tout le départ des forces françaises et Macron est leur meilleur allié de ce point de vue. Comme disait un militant  »anticolonialiste », « Macron est la meilleure chance qui nous soit arrivée dans toute l’histoire de l’anticolonialisme. » Et en effet personne n’aide autant les discours anticolonialiste que Macron en « prouvant » à chaque instant qu’ils ont raison.

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