Madagascar, la mascarade de l’élection présidentielle

Le président sortant a obtenu 58,95 % des voix, selon la commission électorale le 25 novembre, au terme d’un scrutin tendu. L’opposition ne reconnaît pas les résultats et demande l’annulation de l’élection présidentielle. Un article de nos confrères du site « Le Sphinx »

Voici un score que peu de dirigeants du continent africain osent s’attribuer dès la fin du premier round.  Le vainqueur, Andry Rajoelina, est un ancien DJ qui a réussi dans la publicité et se lance dans la politique pour remporter la mairie de la capitale malgache. De cette place, où il a été imposé par les milieux économiques hostiles au président élu, Marc Ravalomanana, il conquiert la présidence à travers le coup d’État de 2009. La France de Sarkozy va soutenir le putschiste, ami de Balkany, entre autres. En retrait apparent du pouvoir qu’il laisse à son ministre des finances en 2014, il est naturalisé français avec sa famille la même année. En étant élu en 2023, il a devant lui encore un nouveau mandat en dépit d’un bilan social ou économique désastreux que la presse internationale fait semblant de découvrir.

Au Niger, privé des nombreux atouts de l’île de l’Océan indien, 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ; à Madagascar, 80% de la population stagne dans la misère et les 2/3 des ménages n’ont pas d’électricité.

Le challenger de Rajoelina se voulait le représentant de ces pauvres qui souffrent quotidiennement,  particulièrement dans le Sud dont il est originaire. Il s’agit de Siteny Randrianasoloniaiko, qui après ses études en Communication et Gestion à l’International Leadership School de Pretoria, retourne à Madagascar où il fonde des entreprises dans le secteur de la télécommunication et des médias, y compris la création de Radio Siteny en 2013. Il parle mieux l’anglais qu’Andry Rajoelina et s’inspire plus de l’économie de marché que du modèle russe. Cependant les communicants français du président sortant et lui-même français, Andry Rajoelina, vont axer leur campagne de dénigrement sur sa proximité avec Poutine, voire de Wagner. Siteny Randrianasoloniaiko a pu mener sa campagne impressionnante parce que des partenaires extérieurs comme Abu Dhabi ou des riches malgaches exilés à Dubai. Il a aidé de son argent les 10 autres candidats pour corriger les distorsions du cadre électoral. Mais en vain les manœuvres des caciques de la politique malgache servent leurs carrières plus qu’ils n’ont d’ambition pour leur pays.   

Les politiciens apprentis sorciers 

Dès que les élections 2023 approchent tous les candidats font front commun contre Andry Rajoelina avec des motifs variés, mais dont le principal reste sa nationalité française. La critique dénonce aussi qu’il tient sous sa coupe la cour constitutionnelle (HCC) et la Commission électorale nationale et « naturellement » indépendante (CENI). Tout cela n’est pas faux mais n’est pas nouveau. Rajoelina est le fils d’un colonel de l’armée française et on pouvait se douter qu’il se sentait, comme beaucoup de membres de la nomenklatura de ce pays, plus à l’aise à Levallois que dans les rizières de la côte malgache.

Quant à la captation des organes judiciaires, sécuritaires et électoraux par le pouvoir en place, les plus tonitruants des candidats qui refusent de faire campagne, par pingrerie, auraient pu la décrier plus tôt. Ainsi, Hery Rajaonarimampianina, ancien ministre des finances de Rajoelina, depuis 2009, puis président de la République de 2014 à 2018.  En 2023, il est le chef du HVM qui à travers le Fisandratana (Émergence) souhaite remettre le pays sur le chemin de la croissance.

L’autre poids lourd qui jette le gant avant le début du match, c’est Marc Ravalomanana. Il a été président avant d’être renversé par Andry Rajoelina en 2009, soutenu alors par les diplomates français qui nomment Ravalomanana le «loser». En 2023, à la tête du TIM, son parti qui s’est délabré, il mise sur la reprise du Madagascar Action Plan (MAP), le programme qu’il avait tenté de mettre en œuvre durant son mandat, mais il y a déjà 20 ans. Le MAP était axé, entre autres, sur la réhabilitation des infrastructures routières, l’accroissement de la productivité agricole, la lutte contre l’insécurité, etc. Les premiers fruits de ce programme apparaissaient quand Rajoelina, avec l’aide de colonels de l’armée malgache, le destituent. Mais au lieu de faire l’état de la situation dramatique du pays, Ravalomanana comme Roland Ratsiraka, neveu de l’ancien président, et de proposer une alternative commune, l’opposition multiplient les attaques personnelles contre le président sortant et son entourage. Pourtant Madagascar partage un point commun avec le Mali, nommé JIRAMA, en malgache l’acronyme de l’EDM du Mali. La JIRAMA est une source d’enrichissement pour ses fournisseurs français, indiens installés dans l’ile, et malgaches. Sans aucun résultat satisfaisant, sauf dans les beaux quartiers de la capitale où tous les candidats ont une villa et leurs entreprises. Et la liste est longue de la perpétuation de l’incurie dans des secteurs décisifs de la vie de la nation. Les leaders malgaches semblent avoir réduit l’échéance du 16 novembre à un règlement de comptes avec celui qui s’est installé au pouvoir par un second coup d’État, institutionnel cette fois. Siteny Randrianasoloniaiko semble un outsider qui dérangeait autant le président en place que les vieux routiers du système politique malgache.

La farce de la médiation

Le boycott des élections présidentielles par les candidats menaçaient l’apparence de légitimité du scrutin, car seul le semblant de compétition lui confère un peu de crédibilité. La communauté internationale et les instances habituelles de médiation à Madagascar ont donc plaidé pour un dialogue entre le pouvoir et les forces d’opposition. Les Églises, catholiques et protestantes, représentent un arbitre politique et institutionnel régulièrement sollicité dans la République malgache, pourtant laïque. Une fois de plus, séparément ou à travers des plateformes «démocratiques », elles ont remis en cause l’organisation des élections sans jamais dire clairement qu’elles étaient une farce. Les organisations pluri-étatiques comme la SADC, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), regroupant 16 pays d’Afrique australe, réunie en sommet extraordinaire, le samedi 4 novembre, à Luanda (Angola) avait réitéré son soutien aux élections par le déploiement de la mission d’observation électorale pour Madagascar.

La CEDEAO a produit une jurisprudence sur la « succession démocratique » au pouvoir, que la SADC reprend avec le principe de la tenue des élections, malgré les innombrables problèmes entourant le déroulement du scrutin malgache. Cette subsidiarité qui confère à la CEDEAO et à la SADC un pouvoir considérable pour décréter le caractère autorisé des processus politiques permet à l’Union africaine comme aux Nations-Unies de se défausser de toute responsabilité. Le représentant résident des Nations Unies dans la capitale malgache et le PNUD ont été courageusement aux abonnés absents. 

Du coté malgache, la société civile essaye de mettre en place des observatoires des élections mais c’est Christine Razanamahasoa, présidente de l’Assemblée nationale (PAN), une luthérienne revendiquée et déjà associée au système politique lors de la transition suivant le putsch d’Andry Rajoelina qui mène la fronde dès le mois d’octobre contre le processus électoral. Elle réclame très vite plus d’implication des partenaires techniques et financiers de la Grande île et affirme son engagement pour une «médiation parlementaire». « J’exhorte la communauté internationale, face à l’urgence, à agir », lance Le président de la Chambre basse dans son discours d’ouverture de la session parlementaire, mardi à Tsimbazaza. «Je sais et je suis convaincue que vos constats respectifs rejoignent les nôtres, sur certains domaines et secteurs vous êtes dissuasifs, le temps n’est plus à la diplomatie», argue-t-elle. «Les germes des provocations pour une guerre fratricide sont visibles et ne cessent pas de s’amplifier, votre responsabilité respective est aussi engagée plus que la nôtre », prévient-elle.

Un front se crée associant Christine Razanamahasoa, la PAN, et le Conseil œcuménique des Églises chrétiennes (FFKM) au sein de la plateforme de l’opposition (PAN/FFKM) pour contester la poursuite du «simulacre d’élection organisée de force». La plateforme finira par appeler au boycott de l’élection après avoir en vain réclamé un report. A l’opposé, comme d’habitude, la communauté internationale va soutenir et pire valider le processus électoral et dans l’infamie, les organisations francophones comme l’OIF et la CEMAC (on se demande ce qu’elle vient faire à Madagascar quand on sait les turpitudes du Tchad ou du Congo)  vont se distinguer.

Le jour d’après

Après la proclamation des résultats, une abondance de constats sur la fausseté du fichier électoral et de dénonciations des achats de vote fleurit. Il est trop tard, mais la SADC et les observateurs internationaux et malgaches se donnent bonne conscience pour que la comédie électorale continue et qu’Andry Rajoelina poursuive son règne. L’anesthésie de la médiation fait son retour. Ainsi la «Plateforme de dialogue et de médiation» confirme qu’elle poursuit ses efforts pour explorer toutes les voies pouvant conduire à la stabilité, à l’apaisement et à la réconciliation du peuple malgache. 

Cependant l’accumulation de critiques de l’épisode électoral aboutit à une dévaluation du président réélu. Il se retrouve en position de faiblesse par rapport à ses alliés et ses concurrents. Les oligarques cosmopolites et nationaux qui l’entourent et les officiers généraux qui prospèrent dans son sillage pourront exiger encore plus de prébendes et de libertés pour s’approprier les richesses du pays. L’ambassadeur de France n’a plus à redouter la contestation de l’opinion publique qui s’insurgeait contre l’étrangeté du candidat Andry Rajoelina qui avait choisi d’être naturalisé français. Emmanuel Macron peut plus aisément maintenir la confiscation des îles éparses et un rôle de protecteur du sud-ouest de l’Océan indien. Le challenger Siteny Randrianasoloniaiko sait bien et le président réélu aussi que son score a été réduit. Les sponsors qui l’ont soutenu vont cependant obtenir des concessions pour réintégrer le club des milliardaires encastrés dans l’appareil du pouvoir. La faiblesse du président de 49 ans se verra rapidement lors des législatives et des sénatoriales. Les candidats défaillants de la présidentielle vont obtenir sur des bases régionalistes et clientélistes des sièges nombreux au détriment du parti présidentiel complètement discrédité.

Les église chrétiennes par leur ambiguïté ont su maintenir l’exécutif et les parlementaires engagés dans une fronde complètement déconnectée du peuple.

Emmanuel Macron gère, de loin, la crise malgache