Le Sénégal sur le qui-vive face à la menace terroriste au Sahel

Frontalier de la Mauritanie, qui a connu les affres du terrorisme, mais aussi du Mali toujours confronté aux agissements des filiales d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique, le Sénégal ne baisse pas la garde face à la progression de la menace terroriste au Sahel. La vigilance est d’autant plus de mise qu’une attaque terroriste a été récemment enregistrée à Kayes, non loin de la frontière commune sénégalo-malienne, en face des régions minières de Kédougou et Tambacounda, au Sénégal. Entre création d’unités spécialisées et développement d’activités économiques et sociales, le tandem Bassirou Diomaye Faye/Ousmane Sonko, à la tête du Sénégal, affine sa stratégie pour anticiper la menace et prévenir la contagion djihadiste. 

Par Ibrahima Dieng à Dakar 

L’attaque terroriste perpétrée le 19 février près de Kayes, région située sur la frontière commune sénégalo-malienne, non loin des villes sénégalaises de Kédougou et Tambacounda, a sonné comme une piqure de rappel à Dakar. En réalité, le pays n’avait pas attendu cet épisode pour parer à la menace terroriste dans une Afrique de l’Ouest est en proie ces dernières années à une instabilité sécuritaire.

Par son mode opératoire et ses cibles, l’opération terroriste aux alentours de Kayes, sud-est du Mali, présentait un caractère stratégique puisqu’elle visait un poste de gendarmerie et un bureau de la douane. Les assaillants sont ensuite repartis avec quelques armes, des motos. Kayes, au Mali, présente les mêmes caractéristiques que Kédougou et Tambacounda, au Sénégal :  exploitation des richesses minières et aurifères ainsi que la pauvreté accrue et le chômage des jeunes, malgré les généreuses ressources du sous-sol.

Pour le journaliste sénégalais et auteur de plusieurs sur le terrorisme dans le Sahel dont la dernière en date est « Insécurité au Sahel. Sortir de la crise», paru aux Editions du Carré culturel en février 2025, Mouth Bane, l’offensive terroriste est une alerte évidente et sérieuse pour le Sénégal. Car, selon lui, une analyse lucide amène à constater la progression des groupes terroristes du Nord vers le Sud du Mali, en traversant la capitale Bamako. « Nous aurons véritablement des craintes. Comment les groupes violents ont-ils réussi à traverser tout le territoire malien du nord jusqu’à sud (de Kidal à Kayes), en échappant à la vigilance des forces maliennes ? C’est de la défaillance des services maliens. Cette situation de fragilité dévoilée par les défaillances du côté malien devrait interpeler les autorités sénégalaises », considère le spécialiste. 

Vigilance renforcée aux frontières

Pour Mouth Bane, malgré la menace persistante, l’État du Sénégal a fait une excellente lecture de cette situation. Les Forces de défense et de sécurité (FDS) sénégalaises se sont déployées dans les zones frontalières pour renforcer la sécurité, surtout au niveau des villages situés le long des frontières. « Certes, aucune stratégie n’est infaillible toutefois, reconnaissons que les FDS sénégalaises veillent avec l’appui des services de renseignement à Kédougou, à Kidira, à Salémata, à Bembou, Missirahet surtout dans les zones situées le long du Fleuve Falémé plus particulièrement dans les sites d’orpaillage », analyse, l’auteur du livre « le crime organisé dans le Sahel », paru aux Editions Harmattan/Sénégal.

 Pour lui, plusieurs jeunes membres de groupes terroristes ont été arrêtés par les services sénégalais et jugés, sans que les média ne soient impliqués. C’est, à ses yeux, une démarche efficace qui permet d’épargner aux populations la diffusion d’informations inquiétantes.

(FILES) In this file photo taken on March 27, 2019, a French armoured vehicle drives by the Mount Hombori during the start of the French Barkhane Force operation in Mali’s Gourma region. Three French soldiers were killed on December 28, 2020 in Mali when their armoured vehicle struck an explosive device in the Hombori region in the centre of the poor Sahel state, the French presidency said. The deaths brought to 47 the number of French soldiers killed in Mali since France first intervened militarily in January 2013 to help drive back Islamist jihadists who had overrun parts of the west African country. / AFP / Daphné BENOIT

L’autre réponse apportée par le Sénégal est la mise en place avec le soutien de l’Union Européenne, du Groupe d’Action Rapide de Surveillance et d’Intervention (GARSI). L’objectif était de renforcer les moyens de la gendarmerie sénégalaise à lutter contre la menace terroriste. Après quelques années d’opérations sur le terrain, Mouth Bane considère que les éléments de GARSI ont effectué un travail remarquable au sud-est du Sénégal surtout à Kidira où ils ont mis la main sur des membres du groupe d’Amadou Kouffa (Katiba Macina) dans le village d’Ouro Amadou à Kidira. « Le chef du groupe s’appelle Demba Sow. Il gérait une boutique dans ce village. Ce groupe de Koula recrute de jeunes peuls pour en faire des combattants. D’un montant de 41 millions d’euro, le mandat de GARSI a pris fin en 2021. D’ailleurs, le Gouvernement a sollicité un soutien de l’Union européenne pour renforcer la sécurité au sud-est du Sénégal. On peut s’attendre, peut-être, à un renouvellement du mandat de GARSI », estime M. Bane. 

Coopération renforcée avec les pays voisins

Aujourd’hui, le Sénégal semble privilégier l’approche concertée avec ses voisins tels que le Mali. Le but est de réduire autant que possible les menaces. C’est d’ailleurs dans ce sens que le Ministre des Forces armées le Général Biram Diop a effectué une mission très importante au Mali. Le choix de ce pays n’est pas fortuit selon Mouth Bane. « Sa visite au Mali a eu lieu le jeudi 06 février 2025.  C’est dans le cadre de la coopération militaire bilatérale entre le Mali et le Sénégal. Il a eu un entretien avec le ministre de la Défense et des Anciens Combattants, du Mali, le Général de Corps d’Armée Sadio Camara. Au cours de cette visite, le Ministre sénégalais a parlé de la situation sécuritaire au niveau du fleuve Falémé qui accueille plusieurs maliens et d’autres étrangers », analyse notre expert.

Après la fermeture, ajoute-t-il, des sites d’orpaillage autour du fleuve Falémé, le Sénégal souhaite que le Mali joue sa partition pour renforcer la sécurité sur la frontière commune, par la surveillance des mouvements  des populations et des voix d’accès sur les territoires entre les deux pays. Le journaliste et auteur considère également que la lutte contre le terrorisme au Sahel doit s’opérer dans un cadre global. Car, aucun Etat ne pouvant à lui tout seul réussir cette lutte, la coopération transfrontalière devient indispensable.

 « Les pays de l’AES et de la CEDEAO qui ont cette menace en commun, sont tenus de coopérer. Puisque les groupes terroristes constituent une menace transfrontalière qui ne font pas de distinction entre AES et CEDEAO. Par conséquent, les dirigeants doivent mettre en place une stratégie communautaire globale avec l’aide des puissances étrangères qui acceptent de coopérer dans ces conditions transparentes sans aucune intention malveillance », propose-t-il. 

Des réponses non militaires

Dans sa stratégie d’anticipation et de lutte contre le terrorisme, le Sénégal mise également sur des activités économiques et sociales afin de sortir les populations de la pauvreté et d’éviter toute tentation. C’est dans ce sens que le Programme d’Urgence de Modernisation des Axes et Territoires Frontaliers (PUMA) a été lancé en 2017. Il est consacré aux zones frontalières du Sénégal. Elles sont connues pour leur éloignement, et l’insuffisance de services sociaux de base, Ainsi selon le Gouvernement sénégalais, déveloper ces zones permet de réduire les risques.

Les dix régions ciblées par le PUMA sont : Fatick, Kaffrine, Kaolack, Kédougou, Kolda, Matam, Saint-Louis, Sédhiou, Tambacoundaet Ziguinchor. Ces régions partagent des frontières avec cinq pays voisins la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée Conakry, le Mali et la Mauritanie.

Ainsi entre 2017 et 2024, 20 000 hectares de terres agricoles ont été aménagées, pour 569 infrastructures hydrauliques installées, ainsi que 583 structures sanitaires. Soit des investissements de 23 milliards FCFA (environ 34,5 millions d’euros). Ceinturés par des pays en proie aux menaces sécuritaires, le Sénégal veut par tous les moyens réduire la menace, qu’ils soient sécuritaires, économiques ou sociaux.