C’est une intervention rarissime. L’émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abou Obeida Youssef al-Annabi, a accepté de répondre aux questions de Wassim Nasr, le spécialiste des mouvements jihadistes à France 24, après près d’un an de tractations.
Vétéran du jihad, l’Algérien est l’un des fondateurs de l’ancêtre d’Aqmi, le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Haut cadre de l’organisation et personnalité médiatique, il a succédé en 2020 à Abdelmalek Droukdel, son chef historique, tué par l’armée française au nord du Mali lors d’une opération héliportée.
Au cours de cet échange exclusif, le chef terroriste s’est plus particulièrement attardé sur son pays natal, considéré comme une cible par Aqmi. « Il est ici dans le déni de la situation très grave d’Aqmi en Algérie, qui est sous pression », analyse Wassim Nasr, qui rappelle que de nombreux cadres de l’organisation ont été tués ou arrêtés par les autorités. « Ce qui explique aussi le choix de descendre plus au Sud, vers le Mali ».
Concernant les menaces qui pourraient peser sur le territoire français, Abou Obeida Youssef al-Annabi a assuré que les objectifs d’Aqmi et du Jnim étaient « locaux » mais s’est montré plus évasif sur les attaques qui viseraient des expatriés français.
Selon le chef d’Aqmi, le départ de l’opération Barkhane est « une victoire » pour son organisation. « Cependant, on sait que ce départ est surtout lié à l’arrivée des mercenaires de Wagner et aux tensions avec les autorités maliennes », décrypte Wassim Nasr. « Pour lui, la France et la Russie sont dans le même sac et le combat contre les forces qu’il qualifie de ‘coloniales’ sera le même ».
Confirmation de la détention d’Olivier Dubois
Le chef d’Aqmi a également confirmé officiellement détenir le journaliste Olivier Dubois, enlevé dans le nord du Mali en avril 2021. « C’est la première confirmation officielle de la tête d’Aqmi », note Wassim Nasr. L’émir assure toutefois « ne pas avoir cherché à piéger le journaliste » qui voulait interviewer un cadre du Jnim (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). Selon lui, la porte est ouverte à des négociations et désormais « la balle est dans le camp des autorités françaises ».
Abou Obeida Youssef al-Annabi a également vanté sa stratégie de recrutement au Sahel et revendiqué des gains territoriaux vers le Sud et le Golfe de Guinée. « Selon lui, il n’y a pas de limites à l’expansion. La stratégie consiste à s’insérer dans les conflits locaux et gagner les cœurs et les esprits », détaille Wassim Nasr, qui rappelle le contexte de rivalité sanglante avec l’Organisation État islamique.
Interrogé sur le massacre de Solhan au Burkina Faso en 2021, dans lequel est impliqué une unité d’Al-Qaïda et au cours duquel 160 personnes au moins ont perdu la vie, le chef terroriste a démenti toute implication de ses hommes dans la tuerie.
À propos d’éventuelles négociations avec des États africains, « des canaux restent ouverts ». « On sait que ces canaux existent avec la Mauritanie, le Niger, pendant un moment aussi avec le Burkina Faso », explique Wassim Nasr. « Chaque canal est différent selon le pays concerné. [Abou Obeida Youssef al-Annabi] explique qu’Aqmi adapte sa politique de négociation ou d’implantation aux conditions historiques de chaque pays ».
Enfin, l’émir a préféré botter en touche lorsque la question de son rôle au sein du Comité « Hattin » des dirigeants d’Al-Qaïda a été abordée. « Sans nier l’existence d’un tel organe de direction, [Abou Obeida Youssef al-Annabi] a simplement répondu qu’il n’était qu’un soldat de l’islam », détaille Wassim Nasr. « Il n’a pas du tout répondu sur les arcanes de la construction d’Al-Qaïda » même s’il a reconnu dans une autre réponse une architecture « très décentralisée ». « Les chefs locaux ont une grande liberté tant qu’ils suivent la grande stratégie tracée par le groupe », conclut le journaliste.
*Source : France 24